Alors que les recherches médicales sur l’embryon humain bénéficient régulièrement d’avancées techniques et scientifiques considérables, s’est posée, en 2013, la question de la révision du régime juridique leur étant applicable en France. Objet de nombreuses controverses sociologiques, et sujet éthique des plus sensibles, la recherche médicale sur l’embryon sera désormais autorisée par la loi. Oui, mais pas sans condition.
« Bien entendu, on ne se contentait pas de couver simplement des embryons : cela, n’importe quelle vache est capable de le faire. En outre, nous prédestinons et conditionnons. Nous décantons nos bébés sous forme d’êtres vivants socialisés, sous forme d’Alphas ou d’Epsilons, de futurs vidangeurs ou de futurs… Il était sur le point de dire « futurs Administrateurs Mondiaux », mais, se reprenant, il dit « futurs Directeurs de l’Incubation » »[1]. Déjà en 1932, Le meilleur des mondes interrogeait ses lecteurs, et plus encore la société toute entière, sur l’utilisation probable par la science de l’embryon humain. Si la dérive eugénique d’une société reproduisant et sélectionnant ses membres par fécondation in vitro ne saurait, à aucun moment, représenter l’une quelconque de nos sociétés modernes, il n’en demeure pas moins que le débat relatif à l’usage de l’embryon demeure toujours aussi vif et tenace.
Pour autant, l’utilisation de l’embryon est aujourd’hui devenue une pratique médicale quasi quotidienne. En atteste le nombre croissant de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) par des couples atteints d’une infertilité « dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué »[2], et ce grâce aux progrès de la science. Cette utilisation « thérapeutique » de l’embryon, instaurée en 2004[3], soulève toujours, malgré tout, de nombreuses interrogations.
Plus encore, c’est l’utilisation de l’embryon à des fins de recherche scientifique qui suscite les plus nombreuses controverses. En atteste l’adoption, le 6 août dernier, de la proposition de loi tendant à modifier la loi de bioéthique de 2011[4] et à autoriser la recherche sur l’embryon. Un nouveau texte qui donna lieu à la décision du Conseil Constitutionnel n°2013-674 du 1er août 2013 suite à sa saisine par une soixantaine de députés.
Déclarée conforme à la Constitution et désormais promulguée, cette loi offre l’occasion de revenir sur l’évolution du cadre juridique relatif à la recherche sur l’embryon (I) et de présenter ce nouveau cadre, conforme à la Constitution, qu’elle institue (II).
I – Une recherche jusqu’ici prohibée, sous réserve d’exceptions
Si les questionnements éthiques entourant l’utilisation de l’embryon humain ont pu naitre dans la première moitié du XXème siècle, il aura fallu atteindre 1994 pour que la France adopte le premier cadre juridique prohibant la recherche (A). Malgré tout, les évolutions de la science et les avancées technologies ont amené le législateur à modifier ce régime en l’assortissant de quelques exceptions strictement encadrées (B).
A – La loi 1994, acte fondateur de la prohibition
L’année 1994 marque indubitablement la première étape de l’encadrement législatif de la recherche sur l’embryon. Il n’en demeure pas moins que le législateur avait, dix-neuf ans plus tôt, déjà adopté un texte relatif à l’embryon humain : la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG)[5]. Si cette loi concernait l’embryon in vivo, et non in vitro, comme ce peut être le cas des textes directement visés par les présents développements, il faut noter qu’elle permit au Conseil Constitutionnel de poser les premières bases des exigences supra legem relatives à l’embryon.
Dans sa décision du 15 janvier 1975[6], le Conseil avait jugé « que la loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse respecte la liberté des personnes appelées à recourir ou à participer à une interruption de grossesse, qu’il s’agisse d’une situation de détresse ou d’un motif thérapeutique ; que, dès lors, elle ne porte pas atteinte au principe de liberté posé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Plus généralement, le Conseil a alors jugé « qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose qu’il ne puisse être porté aucune atteinte à l’embryon »[7]. Une certaine liberté semblait donc être offerte au législateur en matière de réglementation sur l’utilisation de l’embryon humain.
Malgré tout, le législateur décidera en 1994[8] de légiférer à l’encontre de cette recherche en instaurant deux articles nouveaux dans le Code de la Santé Publique[9] qui prohibent « toute expérimentation sur l’embryon »[10].
L’article L.152-8 du CSP nouvellement créé permettait néanmoins, par dérogation, que soient menées des études qui devaient « avoir une finalité médicale » et qui ne pouvaient « porter atteinte à l’embryon ». Ces études ne pouvaient être menées qu’après accord écrit de la part de « l’homme et la femme formant le couple » et avis de l’ancienne Commission nationale de médecine et de biologie, de la reproduction et du diagnostic prénatal. Le législateur, malgré la décision du Conseil Constitutionnel de 1975, optait alors pour l’interdiction de toute atteinte à l’embryon humain.
Cette première loi relative au droit à la recherche sur l’embryon fut une nouvelle fois l’occasion de voir le Conseil Constitutionnel se prononcer sur cette question. Saisi par le président de l’Assemblée Nationale et par soixante députés, le Conseil, dans sa décision du 27 juillet 1994[11], jugea cette loi conforme à la Constitution et mit en avant, et ce pour la première fois, le « principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». Maintes fois rappelé depuis, dans divers domaines[12], ce principe ne s’opposait nullement à ce que la recherche sur l’embryon soit autorisée de façon exceptionnelle.
Cette absence d’opposition de la Constitution envers ce texte fut accompagnée de plusieurs plaidoyers en faveur de la recherche, formulés par plusieurs hautes instances scientifiques. Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE)[13], dans son avis n°8, indiquait à ce propos que « la recherche sur l’embryon humain est cependant aujourd’hui une réalité qu’on ne peut ignorer et qui doit être réglementée. Malgré l’opposition de certains de ses membres, le Comité estime qu’on ne peut a priori exclure toute recherche sur l’embryon in vitro, ni interdire le don d’embryons surnuméraires à cette fin. Cependant, le Comité estime que les recherches parce qu’elles concernent l’embryon, personne potentielle, et en raison de leurs conséquences, doivent impérativement être soumises à des règles et doivent faire l’objet d’un contrôle social par des instances dont la composition reflète les différents courants de pensée. Ces règles et ces contrôles s’imposent pour maîtriser la puissance de la science sur la genèse de la vie humaine et pour imposer à ceux qui sont amenés à mettre en œuvre de telles recherches de rendre compte de l’exercice de leur pouvoir ».
Ces différents éléments ainsi que les avancées technologiques et le développement des possibilités de recherche, pousseront le législateur, dix ans après la loi de 1994, à instaurer un nouveau régime confirmant l’interdiction de principe, assortie une nouvelle fois d’exceptions.
B – Les lois de bioéthique de 2004 et 2011, vers l’instauration d’exceptions mieux encadrées
La première grande loi de bioéthique de 2004[14] fut l’occasion pour le législateur de revenir sur le régime juridique entourant la recherche sur l’embryon. S’il ne souhaitait alors, d’aucune manière, revenir sur le principe de prohibition de la recherche, celui-ci désirait instaurer un régime plus souple, dans la droite ligne des courants scientifiques et éthiques souhaitant voir se développer de telles recherches.
Le législateur substituait alors à l’article L.152-8 l’article L.2151-5 du CSP qui disposait, dans son premier alinéa : « la recherche sur l’embryon humain est interdite ». Bien que la sémantique utilisée dans ce texte diffère quelque peu de celle de son aîné, les notions de « recherche » et d’« expérimentation » n’ayant pas l’exacte même acception, le principe demeure le même : celui de l’interdiction de la recherche sur l’embryon.
Mais une évolution notable allait transparaitre de ce nouveau texte, puisque dorénavant « à titre exceptionnel, lorsque l’homme et la femme qui forment le couple y consentent, des études ne portant pas atteinte à l’embryon peuvent être autorisées sous réserve du respect des conditions posées aux quatrième, cinquième, sixième et septième alinéas ». Cette exception, prévue pour « une période limitée à cinq ans », posait les mêmes exigences que celle prévue en 1994, à savoir l’absence d’atteinte à l’embryon. À cela près que les conditions pour mener une telle étude se voyaient plus largement encadrées.
Ainsi, cette recherche ne pouvait être conduite « que sur les embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation », embryons qui ne devaient « plus faire l’objet d’un projet parental ». Là encore, le consentement du couple à la recherche était exigé par écrit, lui-même « révocable à tout moment et sans motif ».
Le nouveau texte remplaçait également l’avis de la Commission nationale de médecine et de biologie par une véritable procédure d’« autorisation » de l’Agence de la biomédecine (ABM). Tout projet de recherche devait ainsi être soumis par son promoteur à l’ABM, qui l’étudiait à l’aune de sa pertinence scientifique, de ses conditions de mise en œuvre au regard des principes éthiques et de son intérêt pour la santé publique. Décision d’autorisation qui faisait alors l’objet d’une transmission aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui pouvaient, le cas échéant, interdire ou suspendre la réalisation de cette recherche lorsqu’elle ne répondait pas, ou plus, aux exigences précitées. Enfin, le nouveau texte exigeait que « les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation ».
Là encore, au fil des années, de nombreuses voix s’élevèrent en faveur d’une évolution de ce régime juridique vers un régime d’autorisation sous conditions, comme ce put être le cas des Etats Généraux de la Bioéthique de 2009.
La seconde grande loi de bioéthique de 2011[15] fut, dès lors, une nouvelle occasion de revenir sur ce régime. Sans en revoir le principe fondamental, celui de la prohibition de la recherche, ce texte nouveau entérinait définitivement l’exception prévue à titre transitoire en 2004. Conservant le régime d’autorisation du protocole de recherche par l’ABM ainsi que le consentement écrit préalable du couple, le texte prévoyait de nouvelles conditions à la délivrance de cette autorisation. Tout d’abord, il fallait que « la pertinence scientifique du projet » soit établie, puis que la recherche soit « susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs », qu’il soit « expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains » et enfin que « le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ».
Ce texte était alors emprunt de peu de changements profonds, hormis la pérennisation de l’autorisation délivrée à titre dérogatoire par l’ABM et soumise au contrôle des ministres chargés de la santé et de la recherche. Or, c’est cette absence de modification du régime applicable, et ses conséquences, qui amèneront le législateur, seulement deux ans plus tard, à légiférer une nouvelle fois sur ce sujet si sensible.
II – Une recherche aujourd’hui autorisée, sous conditions
Dix-neuf ans après l’adoption de la première loi prohibant la recherche sur l’embryon, le Parlement allait, en 2013, avoir à connaître d’une proposition de loi modifiant profondément ce régime juridique en autorisant la recherche sous conditions (A). Saisi par des députés d’opposition, le Conseil Constitutionnel allait pour sa part juger ce texte conforme à la Constitution (B).
A – Le passage d’un régime de prohibition à celui d’autorisation sous conditions
Comme l’indique le commentaire de la décision du Conseil Constitutionnel[16], plus que les différents rapports et autres avis plaidant en faveur de l’instauration d’un régime autorisant la recherche sur l’embryon sous conditions, c’est l’instabilité juridique créée successivement par les lois de 2004 et de 2011 qui rendra nécessaire l’élaboration d’un nouveau texte.
En effet la condition exigeant que soit « expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains » pouvait faire craindre aux chercheurs qu’il soit nécessaire d’apporter une preuve quasi voire tout simplement impossible à démontrer. Liée à un nombre croissant de recours contre les différents projets de recherche déjà débutés, cette situation pouvait, à terme, mettre fin aux possibilités de recherche entraperçues dans les textes précédemment cités.
C’est dans ce sens qu’une proposition de loi fut déposée le 1er juin 2012 au Sénat, à l’initiative de Monsieur Jacques Mézard, sénateur du Cantal. Conformément aux préconisations du Conseil d’Etat datant de 2009[17], ce nouveau texte allait définitivement inverser les perspectives en matière de recherche sur l’embryon en instaurant un régime d’autorisation sous conditions, en lieu et place d’un régime de prohibition assorti d’exceptions.
La nouvelle formulation du premier alinéa de l’article L.2151-5 du CSP était à ce titre sans équivoque : « Aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation ». Un changement fondamental qui s’inscrit alors dans la droite ligne des évolutions éthiques, scientifiques et sociales entourant la recherche sur l’embryon.
Si, à première vue, ce nouveau régime semble en de nombreux points semblable au régime d’autorisation dérogatoire prévu par la loi de 2011, il convient de noter plusieurs modifications assouplissant la délivrance de cette autorisation.
La nécessité de « la pertinence scientifique de la recherche » a ainsi été préservée tout comme l’exigence que « le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». Les deux autres critères fondamentaux ont, quant à eux, été révisés.
Ainsi le critère exigeant que la recherche soit « susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs » s’est-il mu en : « la recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ». Le caractère « majeur » des progrès médicaux issus de la recherche est abandonné, seule la finalité médicale de celle-ci sera aujourd’hui recherchée.
La condition jugée comme la plus « sensible », exigeant qu’il soit « expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains » est remplacée par le critère suivant : « en l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ». La notion de résultat est ici supprimée, tant elle laissait craindre qu’il soit impossible d’apporter la preuve du respect de cette condition. Le recours à « l’état des connaissances scientifiques » rappelle pour sa part la notion bien connue des « données acquises de la science », issue de critères scientifiques aisément identifiables et faisant référence à un critère objectif, dont la preuve sera plus facilement apportée.
Les autres critères fixés par la loi de 2011 sont en grande partie repris. Ainsi, la recherche ne peut être menée que sur des embryons conçus in vitro, dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation, et ne doivent plus faire l’objet d’un projet parental. La nécessité d’un consentement écrit préalable de la part des parents est maintenue alors qu’est abandonnée la notion explicite de « consentement libre et éclairé » pourtant instituée en 2011. Est conservée la possibilité pour le couple de révoquer son consentement sans motif, à la condition que les recherches n’aient pas débuté, comme évoqué en 2011. Consentement qui devra être confirmé après un délai de réflexion de trois mois.
Concernant la délivrance de l’autorisation, celle-ci est maintenue dans le champ des compétences de l’ABM. À cela près que les ministres de la santé et de la recherche ne dispose désormais plus du pouvoir de mettre un terme aux études, mais seulement de demander à l’Agence, dans un délai d’un mois à compter de sa décision, un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à cette même décision pour plusieurs cas limitativement énumérés.
Enfin, l’exigence selon laquelle « les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation » est maintenue.
Ce régime novateur ne pouvait dès lors faire l’économie d’une saisine du Conseil Constitutionnel, après que les lois de 2004 et de 2011 n’aient pas été soumises à une telle procédure.
B – Un régime jugé conforme à la Constitution
Saisi par une soixantaine de députés, le Conseil Constitutionnel devait se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’article unique de la proposition de loi, et ce au regard de plusieurs critères. Lors de la saisine, il était fait grief au texte de : méconnaitre les règles de procédure d’adoption d’une loi relative à la bioéthique, de méconnaitre l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et enfin de porter atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Sur le premier grief, les requérants reprochaient que ce texte ait été présenté au Parlement sous forme de proposition et non de projet, contrevenant ainsi à la procédure prévue à l’article L.1412-1-1 du Code de la Santé Publique[18]. Sur ce point, le Conseil s’est montré laconique, en indiquant que cette règle de procédure avait une valeur législative et non constitutionnelle et qu’aux termes de l’article 39 de la Constitution « L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement ». Ce grief n’était donc pas fondé, en cela « qu’aucune règle constitutionnelle ou organique ne faisait obstacle au dépôt et à l’adoption de la proposition de loi dont est issue la loi déférée ».
Sur le second grief, avait été soulevée l’imprécision des différents critères définis dans l’article L.2151-5 nouvellement rédigé. Sur ce point, et notamment sur la nécessité que le projet de recherche respecte « les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon », le Conseil indique que « le législateur a entendu faire référence aux principes fixés notamment aux articles L.2151-1 et suivants du Code de la santé publique […] et aux principes fixés notamment aux articles 16 et suivants du code civil et L.1211-1 et suivants du Code de la santé publique ». Pour les juges constitutionnels, les dispositions nouvelles ne sont alors « ni imprécises ni équivoques » et dès lors « ne sont pas contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ».
Les requérants, conjointement à la question de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, avait reproché une incompétence négative du législateur, en cela que ce dernier confiait à une autorité administrative le rôle de contrôler les projets de recherche. Sur ce point, le Conseil a indiqué « qu’en subordonnant au respect de ces conditions la délivrance de toute autorisation de recherche sur l’embryon humains ou les cellules embryonnaires issues d’un embryon humain, le législateur n’a pas confié à une autorité administrative le soin de fixé des règles qui relèvent du domaine de la loi ; qu’il (le législateur) n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence ».
Sur le troisième et dernier grief tiré de l’atteinte supposée au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, les requérants reprochaient au texte de méconnaitre tant le principe de respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, que les principes d’intégrité de l’espèce humaine, d’inviolabilité et de non patrimonialité du corps humain. Rappelant, en préambule, la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le Conseil a précisé que l’existence d’une autorisation préalable indispensable à la tenue des recherches, ainsi que les garanties effectives instituées par le législateur autour de la délivrance de cette autorisation, constituent des critères suffisant pour reconnaître que ce texte ne méconnaissait pas le principe ci-avant énoncé.
Ainsi, au regard de l’ensemble de ces développements, le Conseil Constitutionnel décidait que « la loi tendant à modifier la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est conforme à la Constitution ».
La proposition de loi adoptée, et jugée conforme à la Constitution, pouvait dès lors être publiée au Journal Officiel[19]. Toutefois, même si le législateur a su entourer ces recherches de « garanties effectives », comme a pu le souligner le Conseil Constitutionnel, il n’en reste pas moins que les questionnements éthiques entourant ces études sur l’embryon demeurent, et ne sauraient être écartés du simple fait de l’adoption de ce nouveau cadre juridique.
Les prochains états généraux de la bioéthique, qui devraient se tenir en 2014 sous l’égide du CCNE, devront inévitablement se saisir du sujet afin que le monde scientifique puisse bénéficier d’une nouvelle réflexion, à la fois éthique et citoyenne, à l’aune de ce nouveau texte de loi. Au XVIème siècle, François Rabelais formulait la maxime « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », qui trouvera, une fois encore, une application toute justifiée en matière de recherche sur l’embryon.
Robin MOR
[1] Aldous HUXLEY, Le meilleur des mondes, Ed. Chatto and Windus, Londres, 1932
[2] Article L.2141-2 du Code de la Santé Publique
[3] Loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique
[4] Loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique
[5] Loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse
[6] Conseil Constitutionnel, décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975
[7] Conseil Constitutionnel, Commentaire de la décision n°2013-674 du 1er août 2013, p. 14
[8] Loi n°94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal
[9] Anciens articles L.152-7 et L.152-8 du Code de la Santé Publique
[10] Ancien article L.152-8 du Code de la Santé Publique
[11] Conseil Constitutionnel, décision n°94-343/344 DC du 27 juillet 1994
[12] Décision n°96-377 DC du 16 juillet 1996 relative au droit des étrangers ; Décision n°2001-446 DC du 27 juin 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse ; Décision n°2004-498 du 29 juillet 2004 relative à la bioéthique
[13] CCNE, Avis n°8 du 15 décembre 1986
[14] Loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique
[15] Loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique
[16] Conseil Constitutionnel, Commentaire de la décision n°2013-674 du 1er août 2013
[17] CE, Assemblée Générale Plénière, Les révisions des lois de bioéthique, Collection Les études du Conseil d’Etat, La Documentation Française, 2009
[18] Article L.1412-1-1 du Code de la Santé Publique : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
A la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation.
En l’absence de projet de réforme, le comité est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans. »
[19] Loi n°2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, JORF n°0182, 7 août 2013, p. 13449