Cour de cassation, deuxième chambre civile, 17 février 2011 : La réaffirmation de l’objectivation de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur
« Pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité »
Dès l’attendu de principe rendu par sa 2ème chambre civile le 17 févier 2011, la Cour de cassation s’est inscrite dans la continuité d’une jurisprudence amorcée par l’arrêt Fullenwarth rendu par son Assemblée plénière le 9 mai 1984, concernant la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur.
Les faits sont les suivants : alors qu’il faisait du vélo le long de la piste cyclable de l’Hippodrome de Longchamp, un individu heurte un enfant de 10 ans qui était en rollers. Le cycliste blessé assigne alors en responsabilité les parents de l’enfant mineur, dans le but de se voir indemniser son préjudice.
Si la Cour d’appel de Paris (30 novembre 2009) déboute le demandeur de sa requête en réparation en lui opposant sa propre faute de nature à exonérer les parents de l’enfant de toute responsabilité, la Cour de cassation, en cassant l’arrêt attaqué, a entendu indemniser la victime en retenant la responsabilité de l’enfant que cette dernière avait heurté ; par cet arrêt en date du 17 février 2011, la Haute Juridiction a rendu un arrêt témoignant de l’évolution de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur, construite au fil de différents « épisodes jurisprudentiels » sur lesquels il convient de revenir.
Le 9 mai 1984, la Cour de cassation rend son arrêt Fullenwarth dans lequel elle affirme que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime »
Les parents d’un enfant mineur qui n’a pas commis de faute sont tout de même responsables du dommage causé par ce dernier, dès lors qu’il a été la cause directe du dommage. Suite à cette solution, nul besoin qu’un fait soit susceptible d’engager la responsabilité d’autrui pour que la responsabilité du fait d’autrui soit engagée. Selon les mots du professeur Patrice Jourdain, « on passe ainsi d’une responsabilité indirecte et complémentaire postulant celle, préalable, du mineur, à une responsabilité directe et principale, indépendante de la responsabilité de l’auteur du dommage ».
Si la solution a selon certains bouleversé les fondements même de la responsabilité du fait d’autrui, c’est dans le but de faciliter l’indemnisation des victimes des dommages causés par les irresponsables que la Cour de cassation a rendu ces arrêts, et a amorcé l’objectivation de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur. Le principe a été pleinement consacré par la Cour de cassation dans son arrêt Levert, le 10 mai 2001.
Faute ou non de l’enfant, en 1804, les rédacteurs du code civil avaient déjà prévu à l’alinéa 4 de l’article 1384 le régime de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur, reposant sur une présomption de faute de ces derniers. Dès lors, si un dommage était causé par l’enfant mineur, il avait été le fait d’un défaut de surveillance ou d’éducation de la part de ses parents. Cette responsabilité pour faute permettait aux parents de s’exonérer en prouvant leur absence de faute.
Toutefois, c’est par l’arrêt du 19 février 1997 que la Cour de cassation a modifié la nature de la présomption pesant sur les père et mère ; à partir de cet arrêt Bertrand, les père et mère furent responsables de plein droit. Cette présomption de responsabilité ne leur permettait dès lors plus de s’exonérer en prouvant l’absence de faute, mais en prouvant un cas de force majeure, le fait d’un tiers ou la faute de la victime ayant les caractères de la force majeure.
La responsabilité des père et mère est dès lors plus aisément retenue et l’indemnisation des victimes du dommage causé par l’enfant en est facilitée: l’arrêt Bertrand est l’illustration d’un nouveau pas de la Cour de cassation vers une logique indemnitaire.
L’attendu de principe de l’arrêt du 17 février 2011 semble donc synthétiser la jurisprudence Bertrand et la jurisprudence Levert, en exigeant que le dommage ait été « directement causé par le fait même non fautif, du mineur », et en rappelant la présomption de responsabilité pesant sur les père et mère.
L’acceptation des risques a été une des justifications de ce mouvement d’objectivation de la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant. L’enfant étant susceptible de causer des dommages, les parents se devaient d’accepter les risques de la garde de l’enfant qui a même parfois été comparé à « une chose dangereuse ».
Ce mouvement révélant une certaine sévérité du régime de responsabilité des parents du fait de leur enfant est-il susceptible de s’étendre aux autres régimes de responsabilité du fait d’autrui ? Le visa de l’arrêt du 17 février 2011 peut susciter des interrogations quant à un possible rapprochement des régimes. Si les alinéas 4 et 7 sont classiquement retenus par la Cour de cassation en matière de responsabilité des père et mère, cet arrêt de cassation a en effet également été rendu au visa de l’alinéa 1er de l’article 1384.
L’article 1384, alinéa 1er a d’abord été retenu pour consacrer un principe général de responsabilité du fait des choses. C’est ensuite par l’arrêt Blieck du 29 mars 1991 que l’alinéa 1er a été utilisé quant à la responsabilité du fait d’autrui ; il s’agissait d’admettre en l’espèce la responsabilité d’une association qui avait la garde d’un individu dément – par hypothèse privé de discernement – ayant causé un dommage. Pèse sur de telles associations une responsabilité de plein droit et la faute des personnes dont elles répondent est exigée afin d’engager leur responsabilité. Les associations sportives se voient également reconnaître par la jurisprudence une responsabilité de plein droit, si un de leurs membres a commis une faute susceptible d’engager sa propre responsabilité ; une faute caractérisée par une violation des règles du sport.
Dès lors, casser l’arrêt d’appel au visa du premier alinéa de l’article 1384 du Code civil pourrait revenir à assimiler les responsabilités des père et mère du fait de leur enfant, aux cas admis dans la construction du principe général de responsabilité du fait d’autrui. Déjà, par ses deux arrêts du 13 décembre 2002, la Cour de cassation avait employé l’alinéa 1er de l’article 1384 pour traiter d’un cas de responsabilité parentale. Toutefois, le mouvement d’objectivation de la responsabilité des père et mère tendant à retenir plus facilement l’indemnisation des victimes semble a priori en contradiction avec le recul du seuil de culpabilité qui domine le champ des associations sportives notamment. Dans son commentaire sur les arrêts rendus le 13 décembre 2002, Patrice Jourdain évoquait alors le risque que le régime de responsabilité des père et mère « contamine les autres cas de responsabilité du fait d’autrui, entraînant la responsabilité civile dans une spirale d’objectivation excessive et dévastatrice. Ainsi réduite à un simple instrument d’indemnisation automatique des dommages, elle deviendrait vite insupportable aussi bien économiquement que socialement.».
Si entre 2002 et 2011, la Cour de cassation semblait avoir mis un terme à l’utilisation de l’alinéa 1er de l’article 1384, en matière de responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur, le retour de cette référence dans le l’arrêt du 17 février 2011 laisse donc des interrogations quant à ses éventuelles conséquences sur les autres régimes de responsabilité du fait d’autrui.
Manel CHIBANE
Licence 2 en Droit
Université Paris II Panthéon Assas
Pour en savoir plus
Recueil Dalloz 2003 p.231, « La responsabilité des père et mère : une responsabilité principale et directe, indépendante de celle du mineur ».
Patrice Jourdain, Professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne). |