La qualité de co-employeur : De la communauté d’intérêts à la communauté de responsabilité

 

 


 

En ces temps tourmentés il n’est pas inutile de s’intéresser aux conséquences  des choix stratégiques des entreprises sur l’emploi. A cet égard la Cour de cassation est récemment revenue sur la notion de co-employeur et en a dévoilé tout l’intérêt dans le cadre d’un licenciement économique.




Classiquement, l’employeur se définit comme la personne pour le compte de laquelle le travailleur accomplit pendant un certain temps, en sa faveur et sous sa direction, des prestations en contrepartie desquelles il verse une rémunération. Le contrat de travail est donc entendu traditionnellement comme gouvernant une relation bipartite.

 

Pour autant, en pratique, il ne serait pas inutile pour le salarié de pouvoir identifier un co-employeur sur lequel faire peser une partie des obligations du contrat de travail. Cette problématique trouve toute son ampleur dans le cadre d’un groupe de sociétés. La Cour de cassation, dans l’arrêt Flodor du 13 janvier 2010 [1] a pu préciser qu’une société relevant du même groupe que la société fille employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice envers les salariés qui sont au service de cette dernière d’une obligation de reclassement. L’insuffisance des mesures prévues dans le plan de sauvegarde de l’emploi ne pouvait donc pas entraîner la responsabilité de la société mère.

 

La difficulté résidait donc dans le hiatus existant entre la perception du salarié, bien conscient d’appartenir à un groupe dans lequel les mesures de compression d’effectif peuvent être décidées par une société dominante économiquement et l’impossibilité qui lui était opposée par le droit d’en tirer un quelconque bénéfice à l’occasion d’un licenciement économique.

 

                                                                                                         co-entrepreneur

 

La chambre sociale, celle-là même qui a élaboré le concept d’unité économique et sociale, soucieuse de l’effectivité de la protection des salariés malgré l’autonomie juridique des sociétés appartenant à un même groupe, a tout de même pu appliquer la qualité de co-employeur à une société mère. Celle-ci ne pouvant pas se déduire de la seule structure de groupe, les juges du droit ont utilisé le concept de confusion d’intérêts existant entre les deux sociétés. Il résulte de l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 18 janvier 2011 (n°09-70662), qu’il existe une communauté d’intérêts lorsqu’une société détient sur une autre la majeure partie du capital, une gestion commune du personnel ainsi qu’une même autorité en termes de choix stratégiques de nature à confondre activités, intérêts et direction. Dans cette seule hypothèse et peu important l’absence de lien de subordination, les obligations du contrat de travail au rang desquelles figurent le reclassement pèsent autant sur la société mère, employeur de facto, que sur la société fille, employeur de jure. Cette utilisation de la théorie du co-employeur, critiquable tant au regard du principe d’effet relatif des contrats que de l’acceptation théorique du contrat de travail fait peser de gros risques sur la société mère qui pourra être reconnue responsable d’une légèreté blâmable en cas de cessation d’activité non justifiée.

 

Dans le cadre d’une organisation multinationale, la Cour de cassation a eu tendance [2] à appliquer la loi française nonobstant l’extranéité de la société mère. Cette solution  découle de l’unicité du contrat liant les co-employeurs au salarié. Avant que le juge ne reconnaisse à une société la qualité de co-employeur, le contrat existant est soumis à la loi française. Dès lors, les juges ne sauraient appliquer concomitamment  la loi de l’Etat de la société mère dans l’hypothèse d’une action en justice intentée contre cette dernière sans nuire à l’unité du règlement juridique du litige et par là même à la sécurité juridique du salarié.

 

 

 Geoffrey  Gury

 

 

Notes

[1] Cass. Soc. 13 janvier 2010, n°08-15.776

 

[2] Cass. Soc. 19 juin 2007, Aspocomp, n° 05-42570

 

Pour en savoir plus


– COURET (A.), « La cessation d’activité d’une filiale : le droit des sociétés à l’épreuve du droit social », Note sous Cour de cassation (soc.) 18 janvier 2011 et 1er février 201, Revue des sociétés 2011 p. 154

 

– GEA (F.), « Groupe de sociétés et responsabilité, les implicites et le non-dit de l’arrêt Flodor Soc. 13 janvier 2010 », n° 08-15.776, Revue de droit du travail 2010, p. 230

 

– PATAUD (E.), « Le licenciement dans les groupes internationaux de sociétés », Revue de droit du travail 2011 p. 14

 


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