La lutte contre le terrorisme n’est pas une nouveauté. Depuis les attentats du 11 septembre, le terrorisme est devenu une infraction qui cristallise l’ensemble des peurs dans la mesure où elle est anonyme et vise l’ensemble de la société. En conséquence, le législateur n’a eu de cesse d’adapter notre législation à cette infraction particulière. Plus précisément, il a développé un régime pénal dérogatoire : la garde à vue, qui en principe de 24 heures, peut faire l’objet de deux prolongations de vingt-quatre heures chacune, soit 96 heures (article 706-88 du Code de procédure pénale), la prescription, quant à elle, est de 30 ans alors que traditionnellement elle est de 10 ans (article 706-25-1).
Après les attentats terroristes contre la rédaction du journal Charlie Hebdo et contre le magasin Hyper Casher en janvier 2015, le débat sur la lutte contre le terrorisme a été relancé. Dans ce sens, le Premier ministre, M. Valls, a souhaité un renforcement de la lutte contre le terrorisme, conduisant ainsi au dépôt d’une proposition de loi visant à déchoir de la nationalité française tout individuant portant les armes contre les forces armées françaises et de police.
Une nouvelle hypothèse de déchéance
Une proposition de loi a été déposée afin d’intégrer une nouvelle hypothèse de déchéance de la nationalité française contre tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police. Cette proposition n’est pas inédite puisqu’elle avait été déjà proposée lors des débats parlementaires concernant la loi du 16 janvier 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dit loi « Besson » de 2010 (amendement CL77) mais elle avait été finalement rejetée.
Concrètement, cette nouvelle proposition tend à insérer un article 25-2 du Code civil précisant que :
« Tout Français qui aura été arrêté, surpris ou identifié, portant les armes ou se rendant complice par fourniture de moyens, contre les forces françaises ou leurs alliés à l’occasion d’une intervention de l’armée française ou des forces de police, est déchu de la nationalité française par décret pris après avis simple du Conseil d’État, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride.
Le premier alinéa de l’article 25-1 n’est pas applicable au cas prévu au présent article. »
Cette proposition de loi part du constat que des citoyens français quittent le territoire français, afin de s’engager aux côtés de terroristes islamistes. En conséquence, les députés signataires de cette proposition de loi considèrent qu’« il serait proprement scandaleux que de tels individus jouissent des bienfaits et des droits attachés à la qualité de citoyen français, alors même qu’ils bafouent les devoirs les plus élémentaires que l’on doit à sa Patrie et à la République ». Ils partent du postulat que ces individus ce sont exclus eux-mêmes de la société françaises. De ce fait, ils proposent que ces citoyens soient déchus de la nationalité française sur décision du Gouvernement après avis simple du Conseil d’Etat (et non après avis conforme comme il est d’usage en matière de déchéance).
Il convient de noter que le droit actuel prévoit déjà la possibilité de prononcer une telle déchéance par application des articles 25 et 25-1 du Code civil uniquement dans quatre d’hypothèses précises, à savoir :
1) Avoir fait l’objet d’une condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ou bien constituant un acte de terrorisme ; 2) Avoir fait l’objet d’une condamnation pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte à l’administration publique commise par une personne exerçant une fonction publique; 3) Avoir fait l’objet d’une condamnation pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ; 4) Avoir commis, au profit d’un État étranger, des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France.
Selon les partisans de la proposition de loi, le droit positif n’intègre donc pas l’hypothèse où les personnes accomplissent des opérations au profit de groupes terroristes. En conséquence, cette proposition est présentée comme devant combler cette lacune.
Il est aussi prévu que cette nouvelle hypothèse de déchéance de la nationalité française pourra être prononcée indépendamment du délai prévu à l’article 25-1 alinéa 1er du Code civil, qui n’autorise la déchéance que dans un délai de dix ans à compter de l’acquisition de la nationalité française ou de quinze ans en cas de condamnation pour atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Ainsi, cette proposition de loi ne fait que renforcer le régime spécifique applicable en matière de terrorisme.
Lors des débats parlementaires, il convient de noter que deux amendements avaient été déposés afin de refonder entièrement le dispositif proposé :
1) L’amendement n° 4 souhaitait substituer à la procédure de déchéance de nationalité une procédure de perte de nationalité qui concernerait tous les Français binationaux, qu’ils soient nés français ou qu’ils aient acquis la nationalité française a posteriori ;
2) L’amendement n°6 visait à sanctionner tout Français qui commettrait les mêmes faits que ceux visés par la perte de nationalité, mais qui n’aurait pas de double nationalité et que l’on ne saurait rendre apatride, pour crime d’indignité nationale assorti d’une peine complémentaire de dégradation nationale. Plus précisément, il prévoyait de créer dans un premier temps un crime d’indignité national puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d’amende, puis dans un deuxième temps la peine de dégradation nationale obligatoirement prononcée à titre complémentaire par le juge à titre définitif, ou par décision spécialement motivée, pour une durée de trente ans au plus. Cette dernière devait emporter un certain nombre d’interdictions pour le condamné, à savoir la privation de tous ses droits civiques et politiques, la privation de ses droits publics, diverses interdictions professionnelles dans le secteur public et privé et l’impossibilité de paraître dans certains lieux déterminés par la juridiction.
Cependant, ces deux amendements n’ont pas été adoptés ; seule la proposition initiale concernant la déchéance a fait l’objet d’une discussion parlementaire.
Une proposition rejetée
La proposition de loi a été critiquée en ce qu’elle serait inconstitutionnelle sur deux points. Premièrement, le Conseil constitutionnel a validé le système préexistant de déchéance dans la mesure notamment où elle n’était possible que dans une durée limitée (solution confirmée très récemment à l’occasion d’une QPC sur ce point). En supprimant cette limite, la proposition de loi serait en conséquence inconstitutionnelle. Deuxièmement, cette proposition ne fait aucune distinction entre les Français binationaux qu’ils soient nés français ou qu’ils aient acquis la nationalité française, alors que traditionnellement la déchéance de nationalité n’est possible que pour ceux ayant acquis la nationalité.
D’autres critiques ont été développées contre cette nouvelle hypothèse de déchéance de la nationale française. En réalité, il existe déjà des mécanismes permettant d’aboutir à une déchéance permettant d’englober les actes terroristes. Il donc inopportun de créer une nouvelle sanction. Pour finir, cette nouvelle sanction serait « susceptible d’alimenter la martyrologie djihadiste » et « sur le plan de la prévention dissuasive, il y a fort à parier que la crainte d’être frappé de dégradation civique ne détourne pas les auteurs d’actes terroristes de la préparation de leurs forfaits. Attaquant les fondements mêmes de la société à laquelle ils appartiennent, il n’est pas sûr que les prévenir qu’ils seront bannis de la communauté en cas de crime touche réellement des individus qui se vivent déjà comme des bannis ou ne souhaitent pas avoir une place dans la société qu’ils rejettent ». Elle aura donc un effet contre-productif. Cette peine se révèle donc totalement inutile et difficilement compatible en l’état avec le droit.
De ce fait, la commission des lois a adopté un amendement (n°CL4) qui supprime l’article unique de la proposition de loi, au motif « la loi prévoit déjà la possibilité de déchoir de leur nationalité française les personnes condamnées pour un crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et les personnes condamnées, en France ou à l’étranger, pour crime à au moins cinq années d’emprisonnement. Au-delà de son affichage, la présente proposition de loi ne couvrirait pas de cas nouveaux ». Cette proposition de loi a été aussi été rejetée par l’Assemblée nationale.
Le lutte contre le terrorisme n’étant pas achevée, il est fort à parier que l’idée d’une déchéance en cas d’acte au profit d’un groupe terroriste fera l’objet, à terme, d’une nouveau débat.
Elise MALLEIN
Pour aller plus loin :
– Proposition de loi visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police, n°996.
– Pour une approche historique comparée sur la peine d’indignité voir le Rapport d’information, sur l’indignité, n°2677, Assemblée Nationale.
– Décision n°96-377 DC du 16 juillet 1996 concernant la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire : JORF du 23 juillet 1996, p. 11108-Receuil, p. 87Consid. 23.
– Décision n°2014-439 QPC du 23 janvier 2015 M. Ahmed. S [Déchéance de nationalité] : JORF du 25 janvier 2015, p. 1150, texte n°26.
– Dossier législatif : http://www.assembleenationale.fr/14/dossiers/decheance_nationalite_contre_armees_police.asp