La prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, une jurisprudence en mouvement ?


A l’heure où le législateur prend le chemin d’une reconnaissance de la prise dacte au sein du code du travail [1] la chambre sociale de la Cour de cassation, elle, pose peut-être la première pierre de ce qui pourrait être un revirement de jurisprudence lourd de sous-entendus.


Depuis sa reconnaissance par les juges, dans une série d’arrêts du 25 juin 2003, la prise d’acte, qui se justifie par l’existence d’un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une telle prise de position par le salarié a pour effet immédiat de rompre le contrat de travail. Conséquence indirecte, l’absence de manquement suffisamment grave ferait produire à la rupture les effets d’une démission. De cette jurisprudence originale pour l’époque a afflué un flot de décisions de la chambre sociale venant tour à tour éclairer, étoffer, ou circonscrire le champ d’application d’un tel mécanisme. Si l’objet de notre propos n’est pas de faire la présentation exhaustive de ce qu’est la prise d’acte aujourd’hui, il est impératif en premier lieu d’en présenter les contours et le sens, afin de comprendre l’impact que semble pouvoir avoir l’arrêt du 26 mars 2014 de la chambre sociale (n° de pourvoi : 12-23634) dans le paysage du droit de la rupture du contrat de travail.

Telle que définie par la jurisprudence, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail suppose tout d’abord la présence d’un « manquement suffisamment grave » imputable à l’employeur. Cette notion n’a jamais été précisément définie par les juges de la haute juridiction, sauf à poser le principe de manquements qui par leur nature traduisent des manquements suffisamment graves. Ainsi, a-t-on pu juger que le manquement de l’employeur relatif à son obligation de sécurité constituait un manquement suffisamment grave justifiant la prise d’acte [2], de même pour le défaut de l’employeur de fournir à son salarié le travail convenu dans son contrat de travail [3], ou encore dès lors que l’employeur entend imposer une modification unilatérale du contrat de travail de son salarié. Ces manquements, par leur nature suffisamment grave, ne connaissent (ou connaissaient) pas de limitation dans le temps. Ce dernier point, largement à la faveur des salariés, a permis l’éclosion dun nombre important de ruptures basées sur des prises d’acte en raison de manquements que l’on pouvait dater bien en amont de la rupture comme par exemple : le défaut de visite médicale lors de l’embauche, à la reprise du travail après une absence de plus de 30 jours, ou encore de modification unilatérale du contrat de travail appliquée volontairement par le salarié mais dont l’accord exprès n’a jamais été sollicité et rendant la modification invalide …

image tirée de business.lesechos.fr
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Pour tout autre cas despèce, l’appréciation étant laissée à l’appréciation souveraine des juges du fonds, ceux ci n’ayant qu’à mettre en lumière une situation traduisant l’impossibilité de poursuivre le contrat, telle que les manquements répétés de l’employeur en matière de versement de la rémunération, ou autres manquements résultant de l’application du contrat de travail.

Sur ce deuxième point de la définition de la prise d’acte, nous sommes encore une fois face à une jurisprudence relativement complaisante à l’égard des salariés puisque « limpossibilité de poursuivre le contrat » ne sinterprète pas strictement. En effet, les manquements de l’employeur doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail dans le futur, mais les juges ont jusqu’à récemment refusé de tenir compte de lantériorité du manquement pour statuer sur sa gravité, ni de l’existence d’un préavis volontaire. C’est dans de telles conditions que les juges ont été amenés à juger valable la prise d’acte d’un salarié, quand bien même ce dernier proposait d’effectuer volontairement un préavis [4], alors que l’employeur arguait de l’impossibilité de reconnaitre une prise d’acte et un préavis dès lors que la prise d’acte vient mettre un terme définitif et immédiat au contrat de travail [5] puisque « impossible à maintenir » . Par voie d’extension, il est alors impossible de faire une analogie des manquements suffisamment graves de l’employeur et le régime de la faute grave. Cette dernière étant exclusive de préavis et répondant d’impératifs temporels lorsqu’il s’agit de l’invoquer.

Tel est donc le panorama de la prise d’acte au moment où est porté à notre connaissance cet arrêt du 26 mars 2014. Avant de poursuivre notre réflexion prenons connaissance des attendus de principe de cet arrêt :

Soc, 26 mars 2014 . N°: 12-23634 « Attendu que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; Mais attendu que la cour d’appel, qui a retenu que les manquements de l’employeur étaient pour la plupart anciens, faisant ainsi ressortir qu’ils n’avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail, a légalement justifié sa décision »

Dans cet arrêt, le salarié fondait sa prise d’acte sur une atteinte à son droit de congé, un manquement dans son droit à information de ses droits individuels à la formation, ainsi qu’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité relatif à l’absence de visite médicales d’embauche, périodiques et de reprise du salarié. L’arrêt de la cour d’appel, s’il ne remet pas en cause l’existence des manquements, retient que ces derniers, puisque pour la plupart anciens, ne sont pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. Une telle décision aurait pu (dû ?) être doublement cassée aux vues de la jurisprudence ultérieure et que nous avons pris soin d’exposer. En effet, le laps de temps écoulé entre le manquement et la prise d’acte, bien que déjà invoqué par le passé, n’avait jamais été reconnu par les juges de la Cour de cassation et plus encore, un manquement à l’obligation de sécurité était préalablement, de par ça nature, un manquement suffisamment grave justifiant la prise d’acte.

Quen déduire ? Cet arrêt présente un double point d’interrogation. Tout d’abord, le renforcement de la notion « dimpossibilité de poursuivre de le contrat » vient remettre en question la jurisprudence en matière de préavis après prise d’acte, mais aussi laisse entrevoir l’idée dune concomitance du manquement et de la prise dacte. Cette solution permet, pour certains auteurs, de percevoir un rapprochement infime entre la notion de manquement suffisamment grave et faute grave imputable à l’employeur, rapprochement bien surprenant tant l’histoire de la construction de la prise d’acte poussait jusqu’alors à rendre ces deux notions antagonistes [6]. De plus, le fait pour la chambre sociale de ne pas avoir soulevé l’existence d’un manquement par sa nature suffisamment grave alors qu’en présence d’un manquement aux obligations impératives de l’employeur en matière de santé et sécurité, laisse espérer (pour les employeurs) la possibilité dune plus grande souplesse pour les juges du fonds dans l’interprétation du manquement suffisamment grave et des décisions plus circonstanciées.

Reste encore à voir cette jurisprudence confirmée par ces mêmes juges et donc le revirement de jurisprudence confirmé, car cet arrêt de rejet, faute de suite, ne saurait être autre chose qu’un simple arrêt isolé … Affaire à suivre donc !

Pour en savoir plus :

Larrêt :

http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028798019&fastReqId=1218457411&fastPos=4

Proposition de loi relative aux effets de la prise dacte de rupture du contrat de travail par le salarié :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1199.asp

M. Douaoui, La prise dacte de la rupture du contrat de travail par le salarié, le retour vers le droit à lauto-licenciement : JCP S 2011, 1554.

F. Géa, La prise dacte de la rupture de contrat de travail : JCP S 2008, 1407

A lombre de la faute de la faute grave, SSL n° 1625, Avril 2014.


[1] Proposition de loi relative aux effets de la prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié, adoptée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale le 27 janvier 2014.

[2] Soc, 6 oct. 2010, JCP S 2011, 1027, note P.-Y. Verkindt.

[3] Soc, 3 nov. 2010, JCP S 2011, 1006, note J.-Y. Frouin.

[4] Soc, 2 juin 2010 : JCP S 2010, 1309, note N. Dauxerre.

[5] Soc, 14 oct. 2009 : RJS 12/09, n° 904.

[6] SSL n° 1625, Avril 2014, F.Géa, A lombre de la faute grave

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