Lorsque le salarié est privé de son emploi, il est également privé du statut protecteur lié à celui-ci, c’est-à-dire de la couverture des garanties de prévoyance, pouvant être prévue au sein de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle un mécanisme de portabilité a été mis en place pour permettre au travailleur de porter cette couverture pendant un certain temps après la rupture de son contrat de travail.
C’est l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2008[1] qui évoque pour la première fois, au sens large, la notion de portabilité des garanties de prévoyance. L’article 4 de la loi Evin du 31 décembre 1989 permet également un maintien de droits similaires mais portant exclusivement sur une catégorie des garanties de prévoyance à savoir les frais médicaux. La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, voulant articuler ces deux mécanismes de portabilité, a maintenu ces deux systèmes distincts au lieu de les refondre dans un système unique de portabilité plus cohérent. Ainsi, un double mécanisme de portabilité apparait, soulevant notamment des problèmes de coexistence.
Le maintien d’un double mécanisme de portabilité des garanties de prévoyance
Tout d’abord, l’article 7 de la loi Evin permet un mécanisme de portabilité en admettant qu’en cas de résiliation ou de disparition du contrat d’assurance de prévoyance collective, les assurés continueront à bénéficier du maintien des prestations en cours ou différées et acquises ou nées pendant l’exécution dudit contrat.
Mais c’est surtout l’article 4 de la loi Evin qui a posé les prémices de cette portabilité en permettant le maintien des garanties de frais médicaux pour les anciens salariés bénéficiaires d’une rente d’incapacité ou d’invalidité, d’une pension de retraite ou, s’ils sont privés d’emploi, d’un revenu de remplacement. Ces salariés doivent par ailleurs être assurés, au sein de leur dernière entreprise, à titre collectif et obligatoire. Il ressort d’un arrêt[2] rendu par la Cour de cassation le 7 février 2008, que préserver le maintien de cette couverture des garanties de frais de santé, c’est assurer la même couverture avec les mêmes garanties. En tout étant de cause, l’étendu de cette couverture doit être la même pendant l’exécution du contrat de travail et après sa cessation.
De plus, une condition temporelle s’attache à cet article 4, à savoir que le salarié dispose d’un délai de six mois à compter de la rupture du contrat pour en demander le bénéfice directement auprès de l’organisme assureur. Ce maintien des droits n’est pas limité dans le temps et n’est donc pas conditionné à une durée d’application maximale.
Cependant, contrairement à la loi Evin, l’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale a vocation à couvrir toutes les garanties de prévoyance et peuvent en bénéficier tous les salariés, au titre de l’article L.911-1, lorsque ces garanties sont instituées par accord collectif, accord référendaire ou décision unilatérale de l’employeur.
Le bénéfice du maintien est ouvert au salarié dont le contrat de travail est rompu (sauf faute lourde) et qui ouvre à la prise en charge par le régime d’assurance chômage. D’ailleurs, la portabilité est calquée sur la durée de la période d’indemnisation du chômage, mais dans la limite de la durée du dernier contrat de travail et pour une durée maximale de douze mois.
La portabilité de ces garanties de prévoyance suppose que ces droits ont été ouverts chez le dernier employeur. En outre, le salarié doit informer l’ancien employeur de sa prise en charge et de la cessation du versement des allocations d’assurance-chômage lorsque celle-ci intervient pendant le maintien de la garantie.
Le salarié est en droit de renoncer à ce maintien en le notifiant par écrit à son ancien employeur dans les 10 jours suivant la rupture du contrat de travail. L’article fait peser sur l’employeur une obligation d’information du maintien des garanties au salarié mais aussi envers l’assureur qu’il prévient de la cessation du contrat.
Cependant, ce dispositif, s’il est applicable à toutes les garanties de prévoyance, ne fait pas obstacle à l’application de l’article 4 de la loi Evin tel que présenté, ce qui pose des problèmes de coexistence entres les deux. De plus, ces deux systèmes, pris individuellement, souffrent de certaines insuffisances.
Les difficultés de mise en œuvre du système de portabilité des garanties de prévoyance
Il y a deux points sur lesquels chacun des dispositifs de portabilité peuvent présenter des carences.
Tout d’abord, concernant le financement de la portabilité. Dans le cadre de la loi Evin, ce financement est très lourd. En effet, le cout de financement du maintien de ces garanties est supporté par le salarié qui devra prendre en charge les cotisations salariales et patronales (sachant que ce coût ne peut être supérieur à 50% des cotisations applicables au salarié actif). L’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale, complété par l’Accord National Interprofessionnel du 11 janvier 2013 retient un système de mutualisation du financement de cette portabilité, écartant l’hypothèse d’un cofinancement évoqué par l’accord national interprofessionnel de 2008. Le coût sera donc supporté par la collectivité. S’agissant des garanties de frais de santé, les branches professionnelles et les entreprises auront un an pour mettre en place cette généralisation et pour les autres garanties de prévoyance, ce délai sera porté à deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur de cet accord.
Cette question du financement emporte une interrogation sur un second point ; celle du caractère obligatoire ou facultatif de ces garanties de prévoyance. En effet, ces deux textes fixent un champ d’application en référence aux conditions formelles de mise en place du régime (accords collectifs, accords référendaires, décisions unilatérales) mais sans préciser si les garanties collectives maintenues concernent seulement les régimes obligatoires ou également les régimes facultatifs. La loi n’est pas précise sur ce point et la jurisprudence, même si elle admet plus largement que ces dispositions s’appliquent aux régimes obligatoires, a pu confirmer cette application pour les régimes facultatifs[3], rendant donc le système de mutualisation quelque peu injuste.
L’idée de portabilité des garanties de prévoyance se place dans la logique croissante de la protection de la personne plus que du salarié mais, du fait de son caractère complexe et dualiste, ne parvient pas véritablement à son but initial. Pourtant, il est possible de reconnaître que ce système offre un véritable statut protecteur pour les salariés privés d’emploi, qui pourront donc conserver le bénéfice de la couverture de prévoyance dont ils disposaient en tant que salariés.
Tiphaine Gaubert et Anissa Froz
[1] Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail
[2] Cass. 2ème civ. 7 février 2008, pourvoi n° 06-15006
[3] Cass. 2ème civ. 16 octobre 2008, pourvoi n°07-16890