La présente note ne sera pas dichotomique ! Ce qui en fait une publication hérétique…
Le fait. – Le juriste est élevé dès la première année de droit au plan dichotomique, au « plan en deux parties ». On fait un mystère de cette méthode du plan en deux parties avec deux sous-parties. Cet art magique de communication est dissimulé sous l’image d’un Droit qui se ringardise : toute chose juridique n’est-elle pas poussiéreuse ? Pourtant, l’art du plan en deux parties est précieux et l’enseigner est une bonne chose. Certes, parfois, l’initiation dérape. On demande aux étudiants de « faire des fiches d’arrêts »… jusqu’en licence ! Pourquoi pas en doctorat ? Voilà un exercice qui n’a aucune existence (sinon utilité) dans la vie professionnelle ! Voilà un exercice qui n’en est pas un, mais simplement un début d’exercice. La méthode est souvent l’occasion de grossières erreurs de méthodologie de l’apprentissage…
L’objet du plan. Les exercices sont le cas pratique, le commentaire (d’arrêt, d’article ou d’auteur) et la dissertation. L’application de la méthode suppose un de ces exercices. Ce sont eux que le plan dichotomique sert. On peut les moderniser et je n’en prends qu’un exemple : j’exige de mes étudiants en 5e année qu’ils rédigent un note à la direction générale (c’est une dissertation où on demande implicitement aux étudiants d’expliquer vite et bien un texte avec des accents concrets que l’on ignore souvent dans la dissertation). Or, progresser en méthode, soit progresser au fond par la méthode, cela prend un exercice conduit en son entier (un travail rédigé !). C’est le comble de la méthode, sans aucun fond elle n’est pas mise en valeur. C’est aussi le comble du fond, sans aucune méthode il est peu mis en valeur. Pour chaque exercice se pose la question de la méthode à mettre en oeuvre, à appliquer. Présenter la question en deux parties est souvent très clair et impose à l’étudiant d’aller à l’essentiel.
Nihil est sine rationnae. – Dans cette méthode de la clarté et de la simplicité que seuls les universitaires détiennent (les professionnels du droit sont souvent très nébuleux), il est cependant fait mystère des fondements du plan dichotomique. Pourquoi cette division en deux parties ? Quelle est l’architecture logique de ce choix de méthode ? La question se pose d’autant plus que cette méthode est parfois forcée. Même sur le tard, certains juristes ne se départissent jamais du « plan en deux parties » ce qui transforme cette voie méthodologique en une rigidité, en un dogme ou même une sorte de religion. Elle perd alors, de façon paradoxale, de sa force car son abus la détache de ses fondements. Comme pour toujours, la méthode découle de causes fondamentales dans lesquelles elle puise son intelligence et sa pertinence. Rien n’est sans raison, le plan dichotomique a ses raisons.
Les fondements de l’art dichotomique. – Le plan en deux parties se fonde sur diverses exigences, vertus voire contraintes de la pensée juridique. Voyons d’abord à quelles exigences et vertus ce style de plan répond.
A suivre…
La chose juridique doit être claire. Elle aboutit toujours à trois sortes de conclusions :
– vous avez le droit ;
– vous avez ce droit à telle condition ;
– vous n’avez pas le droit ;
à la limite, marginalement : – vous n’avez pas le droit mais il peut y avoir tolérance ou sanction(s) de principe…
On ne peut guère tromper le client, le justiciable. En politique, dans les médias, en marketing… on peut raconter au gens des choses. En droit, dans une analyse juridique, la conclusion est plus rapide et directe. Elle met souvent en cause une autre personne : on ne peut donc pas répondre qu’une personne a un droit contre une autre si l’autre n’a pas d’obligation.
La finalité du droit pousse à l’analyse en deux temps, vous avez le droit, vous n’avez pas le droit.
L’art juridique de la présentation répond ensuite, comme dans toute discipline, à rendre les choses lisible. Mais le besoin existe en droit à raison de la matière : la loi doit être lisible (on ne fait pas du pseudo journalisme sur des faux débats juridiques sur les vieilles lois ou la complexité des lois…). Pour cette raison, dans un système de droit écrit, le juriste est amené à exposé les dispositions légales. Les ingénieurs d’Airbus ne sont pas obligé d’expliquer le fonctionnement de l’A 380 au public. Les médecins ne sont pas obligés d’expliquer au grand public la médecine. Le juriste qui écrit la loi le fait pour le public !
Même si le législateur ne pratique guère le plan en deux parties, les jurisconsultes trouvent dans l’exposé en deux temps la façon la plus simple, la plus claire et la plus lisible pour exposer les règles et leur application. Ces raisons fondamentales expliquent aussi la difficulté : il est plus difficile si vous avez 15 choses à dire que faire une plan en 15 chapitres que de se creuser la cervelle pour trouver deux groupes de problèmes/questions.
La clarté du plan sera la clarté du discours. Celui que se perd au I A a déjà une chance de se retrouver au I B, au II A voire au II B. Ce plan correspond aussi au format de la leçon en amphithéâtre qui ne va pas au-delà d’une heure. D’où la (relative) légitimité des leçons d’agrégation (d’autres épreuves pourraient exister). L’avocat (le bon) doit être clair car quand il parle il demande quelque chose et il se doit donc d’être clair ; le procureur qui requiert doit clairement expliquer sa visions de l’affaire et justifier sa position et ses réquisitions ; le juge qui décide doit clairement expliquer les demandes des parties et y répondre. Et tout cela est public, du moins en régime démocratique. Les exercices de facultés sont donc destinés à apprendre à être clairs.
Le plan en deux parties, car pour bien exposer il faut ranger, est donc le rangement le plus simple est celui qui procède par deux à chaque niveaux (parties, titres, chapitres, sections).
Cette technique de rangement s’applique et vaut pour le commentaire de texte (article de loi, décision de justice). Elle peut notamment passer par la scission du texte en deux parties : par nature le hors sujet est évité ! La technique est concrète, primaire, presque manuelle. Mais depuis l’éternité pour planter un clou on y tape dessus avec un marteau ! Ce commentaire correspond à l’art linguistique utilisé (ou réduit) par le juriste (dans la loi ou avec l’attendu principal de la décision) : sujet, qualificatif, verbe, complément d’objet. Imaginons un texte de loi :
« le contrat (sujet) nul (qualificatif) n’a aucun effet (verbe) entre les parties (complément). «
La phrase juridique est une phrase d’action, concrète et la ramener à un schéma simple (de deux parties) convient parfaitement. Plus bas encore, cette fois dans le style de la phrase ou la construction des paragraphes, ces réalités influenceront la technique de travail du juriste.
Mais la forme n’est jamais très loin du fond – j’ai dit forme I, fond II.
La structure de la pensée juridique. En parlant d’elle on parle encore un peu de forme mais on fait pivoter la pièce pour en voir une autre face. Il me semble que c’est le fond qui porte la forme, soit le plan en deux parties. Cela pourrait expliquer l’attachement viscéral que lui expriment certains juristes. Cela étant, tout plan en deux parties ne montre pas de l’art juridique ; c’est assez souvent que les auteurs devraient publier sans plan car celui-ci embrouille davantage qu’il n’éclaire : ile ne suive pas leur plan ! A ce compte, mieux vaut ne pas en faire ! La forme en deux temps doit être en harmonie avec le fond.
Ce fond correspond à des schémas de pensée qui résulte de la loi ou du jeu juridique :
Principe
Exception
La règle
Les dérogations
Les conditions de l’acte
Les effets de l’acte
Le domaine de la règle
Le jeu de la règle
La qualification du contrat
Le régime du contrat
Face à des plans aussi clairs et efficaces, on voit mal ce qui imposerait au juriste de ne pas suivre sa tradition. Evidemment, si l’on se trouve dans un système juridique peu organisé, sans lois préalables, cette méthode s’imposera moins d’évidence.
Toutefois, le plan en deux parties s’acclimate bien au contexte jurisprudentiel où le juge apporte sa pierre (petite ou grosse) au système juridique.
La demande d’autorisation du plaideur
Le refus d’autorisation du juge
La solution du juge
La conséquence de la solution – mais ce peut être « l’inconséquence du juge »…
La consécration par le juge d’un nouveau contrat
Les principes judiciaires du nouveau contrat
La reconnaissance d’une filiation
Les droits nés de la filiation
Ce ne sont que des exemples…
Néanmoins, ce jeu si fréquent (qui me prend 5 minutes) des conditions – définitions – institutions mariées avec leur effets – pouvoirs – régime (pour ne livrer que deux brochettes) finit par former l’esprit à la dichotomie, à la phrase ou idée d’action ; cela me semble-t-il, je me répète, finit par influencer la forme.
En conclusion dans l’attente de vos remarques…. On peut être plus poétique ou philosophe et se dire que celui qui a déjà une chose à dire est une personne, celui qui en a deux est un esprit ! Au-delà… laissons cela aux génies… Avoir deux choses à dire, deux points à développer, donner deux temps à ses observations, c’est mieux que la singularité qui va divaguer à défaut d’avoir une structure… le linéaire est-il si structurel que cela ? Ce plan « en deux parties » qui convient si souvent ne convient parfois pas parce que le fond est mieux éclairé et discuté par 3 points, voire 5 ! Au-delà le juriste ne verra plus l’art juridique français du droit – il ne le verra pas même à 5… ! Mais on laissera à d’autres cette conviction qui forcent les choses et les plan « en deux parties » pour ne pas en faire 3… Car si le plan dichotomique a généralement ses raisons d’être, de temps à autres il ne les a pas. On peut parfois refuser d’avoir I Les pieds sur terre et II La tête dans les étoiles pour III Flotter dans l’espace.
Exercice pratique pour les étudiants. Veuillez commenter la phrase d’auteur suivante :
« La présente note ne sera pas dichotomique ! Ce qui en fait une publication hérétique… »
Professeur Hervé Causse