L’école de Rennes, notamment à travers les travaux des Professeurs PAILLUSSEAU et CHAMPAUD, a permis de dégager ce qu’on appelle une « doctrine de l’Entreprise ». Ce faisant, ils offrent, à travers une approche organisationnelle, une grille de lecture de la matière juridique qui s’intègre à l’entreprise, tout en prenant en compte, notamment, la stratégie ou encore l’ingénierie contractuelle. Cependant, comme le souligne le Professeur ROQUILLY, il n’existe pas d’analyse approfondie permettant de comprendre comment une entreprise, plus efficace dans l’allocation de ses ressources juridiques que ses concurrents, tire avantage de cette situation. C’est ici tout l’enjeu de la notion de performance juridique que dégage cet auteur [1]. Cette notion étant définie par ce dernier comme « la capacité de l’entreprise à gérer juridiquement les risques et opportunités liés à sa stratégie »[2].
Le monde des affaires semble s’être saisi d’une telle notion par les contrats en utilisant ceux-ci comme un instrument au service de la rentabilité des acteurs économiques. On retrouve ainsi la notion de cause au service de cet objectif (§1), mais aussi les vices du consentement (§2).
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1 La cause comme instrument de contrôle de la rentabilité
C’est le concept de cause qui semble s’être saisi le premier de la notion de rentabilité dans le contrat pour en contrôler finalement la performance. Cette notion complexe et parfois insaisissable de notre droit des obligations, est morcelée. Ainsi, la théorie de la cause objective ou cause de l’obligation, se fonde sur le but immédiat qui conduit le débiteur à s’engager (e.g : la contrepartie pour un contrat synallagmatique, ou la remise de la chose pour un contrat réel). La cause subjective, ou cause du contrat, quant à elle, prend en compte les mobiles concrets de l’engagement ou de la structure contractuelle dans son ensemble; soit l’opération économique qu’entendent réaliser les parties [3].
Les positions doctrinales sont multiples sur cette notion et font toujours débat. Pour autant, sa vigueur actuelle et le retour fréquent que font les juges à cette notion permettent de constater que, lorsque ces derniers opèrent un contrôle d’existence de la cause, c’est que ce concept permet un « Contrôle objectif de la pertinence et de l’utilité d’un contrat, quand bien même ce contrôle serait dissimulé, pour donner le change sous l’apparence d’un contrôle subjectif s’appuyant sur une recherche divinatoire de l’existence des parties ou de l’économie du contrat » [4].
Le célèbre arrêt du vidéoclub [5] était ainsi venu sanctionner l’absence de rentabilité économique d’une opération au regard de l’économie générale du contrat. Faute de contrepartie, les juges ont constaté une absence de cause. Si cette jurisprudence n’est pas forcément opportune sur le terrain de la sécurité juridique et de la liberté contractuelle, le contrôle de l’absence de cause demeure pour le juge un outil de mesure de la légitimité de l’acte contractuel [6].
En ce sens, la jurisprudence semble se diriger vers une notion de cause-intérêt comme l’illustre un arrêt de 2009 relatif à la convention de ducroire [7]. En l’espèce, la question juridique visait à déterminer quelle était la cause de l’engagement de ducroire pris par un courtier auprès d’une entreprise. La Cour y précise que la cause de l’engagement de ducroire ne réside pas dans une rémunération spéciale. Selon elle, la cause se trouve dans l’intérêt personnel qu’avait le courtier débiteur de l’engagement de ducroire à maintenir la relation d’affaires, notamment du fait de son pouvoir de co-signature sur le compte bancaire de la société qui ne s’était pas exécutée.
Cet arrêt apparait ainsi comme le prélude à l’abandon de la cause que prévoit l’avant-projet d’ordonnance de la Chancellerie du 23 octobre 2013. En effet, pour la remplacer, ce dernier vise des notions telles que la contrepartie dérisoire et la clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle, s’inscrivant en quelque sorte dans la pratique actuelle de la cause [8] :
L’aboutissement d’un tel projet de la part de la Chancellerie permettrait ainsi d’intégrer dans le Code civil les enjeux actuels de rentabilité et de performance qui irriguent les contrats de nos jours et notamment dans le monde des affaires. En outre, la suppression de la notion de cause semble offrir un retour vers plus de sécurité juridique pour les parties dans la mesure où les notions utilisées pour la remplacer sont bien plus restrictives – et moins sujettes à interprétation.
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2 Les vices du consentement comme instrument de contrôle de la rentabilité
Deux vices prévus par le droit des contrats sont aujourd’hui mis en œuvre par les praticiens aux fins de garantir, non forcément l’utilité, mais la rentabilité du contrat. Il s’agit du dol que l’on peut notamment évoquer lorsqu’il vise à modifier le prix au moment où un nouvel élément est découvert postérieurement à une cession de titre. Plus récemment, une logique similaire semble s’être instituée sur le terrain de l’erreur.
Le droit de la vente nécessite de déterminer le prix ou, à tout le moins, de le rendre déterminable lors de la formation du contrat [9]. Il existe ainsi parfois des stipulations prévoyant un complément de prix, comme la clause d’earn out qui permettra d’indexer le prix sur la performance de la cible dont les titres ont été cédés. Mais faute de telles clauses au regard de la force obligatoire des conventions, la cession ne pourra être modifiée à moins d’établir la preuve d’une lésion, ce qui n’est pas chose aisée, ou d’un dol. Le terrain de l’erreur apparait ici fermé car l’erreur sur la valeur n’est pas une cause de nullité, notamment en matière de cession de titres [10].
Le dol apparait constituer la solution idoine pour réparer ce problème de performance du contrat de vente [11]. Cependant, ses conditions de mise en œuvre n’offrent pas forcément de grandes chances de succès à ceux qui l’invoquent puisque celui qui invoquera la réticence dolosive sera tenu d’établir les manœuvres dolosives. L’arrêt Vilgrain [12] et ses suites [13] permettent néanmoins de tempérer une telle solution puisque du fait de l’obligation de loyauté du dirigeant, il apparait possible de condamner le dirigeant sur ce fondement, et partant de refaire le prix [14].
Néanmoins, on constatera que la jurisprudence a posé comme principe que lorsqu’il existe une stipulation contractuelle garantissant le cédant ou le cessionnaire lors de la cession de titres, le dol sera bien plus simple à établir. En effet, ces clauses de garanties comprennent souvent de nombreuses déclarations qui permettront d’établir plus aisément le dol [15]. Un arrêt de la Cour d’Appel de Paris nous en donne un bon exemple. Dans cette espèce, des parts sociales avaient été cédées pour 112 000 € et une convention de garantie du vendeur affirmait que la société objet de la cession de parts était en situation régulière vis-à-vis des administrations et qu’aucun passif important non déclaré ne pesait sur elle. Pourtant, peu de temps avant la cession, un passif fiscal de 80 000 € est apparu, mais nulle trace de celui-ci dans les documents comptables. L’acquéreur s’est donc tourné vers le vendeur pour dol du fait de son passif sciemment dissimulé et la Cour lui a donné gain de cause [16].
Si le dol apparait pouvoir constituer une solution au manque de performance du contrat, actuellement, l’outil le plus efficace pour atteindre cet objectif apparait être l’erreur.
L’erreur sur la valeur ne peut justifier la nullité du contrat comme il l’a été évoqué. Cependant, les prétoires ont fait preuve d’originalité dans le domaine bien particulier de la franchise en reconnaissant la notion d’erreur substantielle sur la rentabilité économique d’un tel contrat en 2011 [17]. Le visa de l’article 1110 du Code civil ne laisse pas de doute sur la qualification opérée par les juges de la Haute Cour.
Une position qui s’est confirmée de nouveau en 2012 par un nouvel arrêt ou le franchisé a obtenu la nullité de son contrat du fait d’une pareille erreur [18]. Comme le souligne la Cour dans cet arrêt, il est fréquent dans les contrats d’affaires que « l’espérance de gain joue un rôle déterminant ». Or, cette espèce comme la précédente, malgré l’existence d’une information précontractuelle renforcée au titre de l’article L.330-3 du Code de commerce, avait fait miroiter au franchisé une rentabilité inatteignable.
Ici, c’est la particularité de ce type de contrat qui amène la Cour à opérer la distinction existant entre l’erreur sur la valeur et l’erreur substantielle sur la rentabilité ; et partant à intégrer la question de la rentabilité dans le contrat. En effet, valeur et rentabilité apparaissent comme deux notions différentes si l’on se rapporte à la matière économique. La valeur représenterait alors une somme et la rentabilité un ratio, soit la capacité à produire un gain.
Aussi, une telle décision peut soulever des questions sur le terrain de la sécurité juridique du contrat de franchise au regard des nombreux cas d’erreur sur la rentabilité qui pourraient voir le jour [19]et ce, principalement de la part de franchisés mécontents de la différence de performance par rapport aux prévisionnels qui leurs ont été fournis. Cependant, comme le souligne le Professeur DISSAUX, le régime de l’erreur apparait pouvoir absorber une pareille création prétorienne dans la mesure où l’erreur inexcusable exclurait de facto les franchisés de mauvaise foi. En outre, dans les deux espèces précitées la différence entre la rentabilité attendue et celle obtenue était réellement significative.
On constate ainsi la réelle prise en compte par le contrat de la notion de performance à travers les questions de rentabilité sur le terrain de l’erreur et de la révision sur celui de dol. Mais il ne faut pas pour autant négliger que le contrat, pour être un instrument de gestion fiable, doit également faire partie de la stratégie que mène l’entreprise.
Jérôme OPALINSKI
[1] C.ROQUILLY, Performance juridique et avantage concurrentiel, chronique n°1, LPA 2007, n°86, p.7
[2] Ibid.
[3] Rép. Dalloz Droit Civil, Fascicule Cause §8 et s., J.ROCHFELD
[4] T. GENICON, Les vraies raisons pour lesquelles on y revient sans cesse, RDC, 1er Octobre 2013, n°4, p.1321
[5] Note sousCass. Civ.1ère, n°94-14.800, J.MESTRE, RTD Civ. 1996, p.901
[6] Cf. infra p.24
[7] Note sous Cass. Com., 27 oct. 2009, n° 08-10.391, JCP E n° 5, 4 Février 2010, p.1111, N. DISSAUX
[8] http://www.clementfrancois.fr/dl/ap-ordonnance-obligations-2013-10-23.pdf
[9] Cass. Ass. Plén., 1er décembre 1995, n°91-15.578 précédemment cité p.43 sous note 118
[10] Cass. Com. 26 mars 2002, n°99-17.716
[11] S.SCHILLER, Act. Prat . Ing. Sociétaire, Comment modifier le prix lorsqu’un élément nouveau est découvert après la cession des titres ? , n°124, juillet-aout 2012, p.17 et s.
[12] Cass. Com. 27 février 1996 n°94-11.241
[13] Voir par exemple Cass. Com. 12 mai 2004 n°00-15.618
[14] Note J. GHESTIN sous Cass. Com. 27 février 1996, n°94-11.421, JCP G 1996, p.2265
[15] S.SCHILLER, Act. Prat . Ing. Sociétaire, art. préc. Cit. n°124, juillet-aout 2012, p.17 et s.
[16] CA PARIS, pôle 5, 9ème Chambre, 24 mars 2011, n° RG 10/6918
[17] Cass. Com.4 octobre 2011, n°10-20.956
[18]Note B.FAGES sous Com., 12 juin 2012, n° 11-19.047, RTD Civ. 2012, p.724
[19] N.DISSAUX, La rentabilité au cœur du contrat de franchise, D. 2012, p.729