La participation est un dispositif d’épargne salariale permettant de verser aux salariés une part sur les bénéfices réalisés par l’entreprise au cours de l’année écoulée (1). Elle est obligatoire dès lors que l’entreprise a employé sans interruption au moins 50 salariés au cours des cinq dernières années (2) et nécessite la constitution par l’employeur d’une réserve dite « réserve spéciale de participation ».
Sa mise en place se fait, en principe, au moyen d’un accord dit « accord de participation », négocié entre l’entreprise et les salariés ou leurs représentants (3). Lorsque l’entreprise remplit la condition d’effectifs, qu’elle dégage un bénéfice et qu’elle n’a pas conclu d’accord de participation, un régime dit « d’autorité » lui est imposé après constatation de l’absence d’accord par l’inspecteur du travail (4) ou à défaut, suite à la demande des salariés (5). Autrement dit, un régime subsidiaire se substitue d’autorité à l’accord qui aurait dû intervenir.
Lorsqu’un accord de participation a été conclu, la réserve spéciale de participation peut être calculée de deux manières : soit par l’utilisation de la formule légale, soit par l’utilisation d’une autre formule (par définition conventionnelle) à condition que les avantages retirés par les salariés soient au moins équivalents à ceux qui auraient été obtenus par application de la formule légale.
La formule légale (6) de calcul de la réserve spéciale de participation (RSP) est la suivante :
RSP = ½ (bénéfice – 5 % capital) x (salaire / valeur ajoutée).
Cette formule prend en compte le bénéfice réalisé par l’entreprise au cours de l’année civile écoulée, le montant des capitaux propres, les salaires bruts soumis à cotisations et contributions sociales ainsi que la valeur ajoutée de l’entreprise.
Lorsque le dispositif de participation mis en place dans l’entreprise respecte un certain nombre de conditions, notamment celle du caractère collectif, les sommes versées par l’employeur au titre de la participation sont exclues de la base de calcul de l’assiette des cotisations sociales (7). En cas de non-respect de ces conditions par l’employeur, les sommes versées au titre de la participation pourront être réintégrées dans l’assiette des cotisations sociales par les Unions de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et des Allocations Familiales (Urssaf).
Par un arrêt du 7 novembre 2018 (8), la Chambre sociale de la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la situation de salariés bénéficiant d’un congé de reclassement qui ont été exclus du dispositif de participation existant dans leur entreprise.
En l’espèce, plusieurs salariés licenciés pour motif économique ont bénéficié, dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, d’un congé de reclassement (9). L’entreprise dont l’effectif atteint 1 000 salariés est tenue de proposer ce congé à chaque salarié licencié pour motif économique (10) afin qu’il puisse bénéficier d’actions de formation et des prestations d’une cellule d’accompagnement des démarches de recherche d’emploi (11). Pendant la période de congé correspondant à la durée du préavis, l’employeur verse la rémunération habituelle du salarié. Si la durée du congé excède le préavis de licenciement, l’employeur verse au salarié une rémunération mensuelle dénommée « indemnité de reclassement » (12). Le montant de cette indemnité est au moins égal à 65 % de la rémunération brute moyenne des 12 derniers mois précédant la notification du licenciement (13).
N’ayant pas perçu de prime de participation pour la période comprise entre la fin du préavis de licenciement et l’issue du congé de reclassement, les salariés concernés ont saisi le Conseil de prud’hommes afin de faire valoir leur droit au bénéfice de la participation durant cette période.
Le 30 mars 2017 (14), la Cour d’appel de Paris a condamné l’entreprise à verser à chaque salarié une somme au titre de la prime de participation non perçue jusqu’à l’expiration de leur congé de reclassement.
L’employeur a formé un pourvoi en cassation faisant valoir que les indemnités de reclassement versées ne constituaient pas des rémunérations au sens de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur avant la réforme du 12 juin 2018 (15). Elles ne pouvaient donc être retenues pour le calcul du montant de la réserve spéciale de participation (16). Il justifiait de ce fait l’exclusion de ces salariés au bénéfice de la participation.
La question était donc de savoir si des salariés titulaires d’une indemnité de reclassement pouvaient bénéficier de la participation pour la durée du congé excédant le préavis de licenciement, bien que cette indemnité ne soit pas prise en compte dans le calcul de la réserve spéciale de participation.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette interrogation et a ainsi rejeté le pourvoi formé par l’employeur en retenant, sur le fondement de l’article L. 3342-1 du Code du travail, que « (…) sous réserve d’une condition d’ancienneté qui ne peut excéder trois mois, tous les salariés d’une entreprise compris dans le champ des accords de participation bénéficient de leurs dispositions, de sorte que les titulaires d’un congé de reclassement, qui demeurent salariés de l’entreprise jusqu’à l’issue de ce congé en application de l’article L. 1233-72 du Code du travail, bénéficient de la participation, que leur rémunération soit ou non prise en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation ».
La Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé que la participation, en raison de son caractère collectif, bénéficie à tous les salariés de l’entreprise (I.). Toutefois, au vu de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 mars 2017, un doute subsiste quant à la prise en compte de l’indemnité de reclassement dans le calcul de la réserve spéciale de participation (II.).
I. La confirmation du caractère collectif de la participation
La solution adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation se fonde sur l’article L. 3342-1 du Code du travail qui impose en son premier alinéa un caractère collectif aux dispositifs d’épargne salariale (participation et intéressement). De plus, il convient de rappeler que l’article L. 3322-1 du même Code précise que « la participation a pour objet de garantir collectivement aux salariés le droit de participer aux résultats de l’entreprise ».
En raison de ce caractère collectif, tous les salariés, quelle que soit la nature de leur contrat de travail ou leur catégorie professionnelle, bénéficient du dispositif de participation. La Cour de cassation rappelle toutefois la possibilité d’insérer au sein de l’accord de participation une condition d’ancienneté de trois mois maximum (17). A défaut, aucune dérogation au caractère collectif de la participation n’est admise.
Par conséquent, le seul critère requis pour prétendre à un droit à participation est d’être lié à l’entreprise par un contrat de travail. Tel est le cas des salariés titulaires d’un congé de reclassement puisque leur contrat de travail ne prend fin qu’au terme de leur congé (18).
Ainsi, l’employeur ne pouvait justifier l’exclusion de ses salariés en congé de reclassement du bénéfice de la participation au motif que l’indemnité qui leur avait été versée n’était pas prise en compte dans le calcul de la réserve spéciale de participation.
La Chambre sociale de la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur des cas proches concernant des salariés détachés ou expatriés en statuant que « les accords d’intéressement et de participation doivent bénéficier à tous les salariés de l’entreprise, sans que les salariés détachés à l’étranger puissent en être exclus » (19) et que « tous les salariés de l’entreprise où a été conclu un accord de participation doivent avoir la possibilité de bénéficier de la répartition des résultats de l’entreprise» (20) « sans que puisse leur être opposé le fait qu’ils n’exécutent pas leur activité en France ou qu’ils n’y sont pas rémunérés » (21).
La Cour de cassation s’aligne donc avec la jurisprudence antérieure.
Il y a donc consolidation de la jurisprudence.
II. Le doute sur la prise en compte de l’indemnité de reclassement dans le calcul de la réserve spéciale de participation
L’article D. 3324-1 du Code du travail prévoit que sont retenus pour le calcul du montant de la réserve spéciale de participation « les revenus d’activité tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations définie à l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale ». Ainsi, les salaires pris en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation sont ceux soumis aux cotisations et contributions sociales.
En l’espèce, les salariés en congé de reclassement perçoivent mensuellement une indemnité de reclassement versée par leur employeur (22). Sur le fondement de l’article L. 5123-5 du Code du travail, cette indemnité n’est pas soumise à cotisations sociales et entre dans le champ de l’article L. 131-2 du Code de la sécurité sociale relatif aux cotisations et contributions dues sur les revenus de remplacement. Or, la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 30 mars 2017, a considéré que cette indemnité de reclassement était une rémunération entrant dans le champ de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale et, de ce fait, dans celui des salaires à prendre en compte pour le calcul de la réserve spéciale de participation.
C’est ici que subsiste un doute : l’indemnité de reclassement doit-elle être prise en compte dans le calcul de la réserve spéciale de participation ?
Cette incertitude sur la prise en compte ou non de l’indemnité de reclassement dans le calcul de la réserve spéciale de participation peut être préjudiciable à l’entreprise. En effet, si l’entreprise refuse l’octroi d’une prime de participation aux salariés en congé de reclassement, ces derniers risquent de saisir le Conseil de prud’hommes afin de faire valoir leur droit au bénéfice de la participation. L’entreprise risque également d’être sanctionnée par les organismes de recouvrement, les Urssaf, pour non-respect du caractère collectif de la participation.
La compétence de la Cour de cassation est limitée par le principe « non ultra petita » qui l’empêche de statuer au-delà des demandes des parties, sans excéder ses pouvoirs. N’ayant pas été saisie sur ce point, la Chambre sociale de la Cour de cassation n’a donc pas pu se prononcer sur la question de savoir si l’indemnité de reclassement devrait ou non être prise en compte dans le calcul de la réserve spéciale de participation. Cette incertitude causerait des difficultés si la répartition de la participation se faisait proportionnellement aux salaires. En effet, l’accord de participation peut prévoir une répartition de la participation de manière uniforme, proportionnelle à la durée de présence, proportionnelle aux salaires ou encore une combinaison de plusieurs de ces critères.
Lorsque la participation est répartie de manière proportionnelle aux salaires, le salaire à prendre en compte est le même que celui retenu pour le calcul de la réserve spéciale de participation, à savoir les « revenus d’activité tels qu’ils sont pris en compte pour la détermination de l’assiette des cotisations définie à l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale » (23). Or, un doute existe concernant la prise en compte de l’indemnité de reclassement dans le calcul de la réserve spéciale de participation. Qu’adviendrait-il si un accord de participation prévoyait une répartition proportionnelle aux salaires et que l’entreprise excluait l’indemnité de reclassement du calcul de la réserve spéciale de participation ? A priori aucune part sur les bénéfices réalisés par l’entreprise ne serait versée aux salariés en congé de reclassement.
La Cour de cassation ne pouvant statuer ultra petita, des contentieux futurs sont à prévoir.
Shayna AMAR, étudiante du Master 2 Droit de la Protection Sociale d’Entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, apprentie au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats
Julie LE GODEC, étudiante du Master 2 Droit de la Protection Sociale d’Entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, apprentie à l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS)
(1) C. trav., art. L. 3322-1
(2) C. trav., art. L. 3322-2
(3) C. trav., art. L. 3322-6
(4) C. trav., art. L. 3323-5
(5) Cass. Soc., 13 sept. 2005, n° 03-10.502
(6) C. trav., art. L. 3324-1
(7) C. séc. soc., art. L. 242-1 & C. trav., art. L. 3325-1
(8) Cass. soc., 7 nov. 2018, n° 17-18.936
(9) C. trav., art. L. 1233-71
(10) C. trav., art. L. 1233-71
(11) C. trav., art. L. 1233-71
(12) C. trav., art. L. 1233-72
(13) C. trav., art. L. 1233-72
(14) CA Paris, Pôle 6, ch. 8, 30 mars 2017, n° 15/00652
(15) Ordonnance n° 2018-474 du 12 juin 2018
(16) C. trav., art. D. 3324-1
(17) C. trav., art. L. 3342-1
(18) C. trav., art. L. 1233-72
(19) Cass. soc., 28 nov. 2006, n° 04-19.623
(20) Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-12.902
(21) Cass. soc., 6 juin 2018, n° 17-14.372
(22) C. trav., art. R. 1233-32
(23) C. trav., art. R. 1233-32