Ils sont des milliers d’élèves et d’étudiants à battre le pavé, en dépit de leurs occupations académiques, pour demander une justice climatique. Leur demande est toute simple, une meilleure protection de la planète terre pour assurer leur survie dans les prochaines décennies.
Encore mineurs pour la plupart, ils demandent aux adultes, qui sont aux commandes, d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Leur réclamation ne s’exprime pas seulement par un droit de manifester, mais également le « droit d’ester », d’ester en justice. À l’analyse des procès en cours ou des décisions déjà rendues, on assisterait peut-être à la reconnaissance de l’existence de plaideurs à part entière du fait de leur jeune âge pouvant influer sur, et, ou servir de fondement, aux décisions juridictionnelles : il s’agit des youth plaintiffs.
Littéralement youth plaintiffs fait référence aux jeunes plaideurs. La notion de « plaideur » désigne en matière civile, dans le langage du palais, celui qui est parti à un procès comme demandeur, défendeur, intervenant, non celui qui plaide la cause qui est généralement un avocat[1]. Quant à la notion de « jeune », du latin populaire jovenis, du latin classique juvenis, elle s’emploie pour comparer les âges respectifs de deux personnes ou pour distinguer deux générations différentes[2].
C’est cette notion de « jeunes plaideurs » que nous nous proposons d’analyser au regard des procès climatiques[3]. Rappelons que ces derniers représentent des affaires soumises à des juges reliées de manière directe ou non aux changements climatiques et à la préservation de l’environnement. Cette analyse, non exhaustive, sera faite dans une approche substantielle et processuelle.
Analyse substantielle de la notion de « jeunes plaideurs »
Les jeunes plaideurs sont majoritairement des mineurs ; juridiquement des personnes physiques qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité.
Il en est ainsi aux États-Unis dans la célèbre affaire Juliana[4] qui oppose, depuis 2015, l’État américain à une vingtaine de jeunes plaideurs dont des enfants et des adolescents âgés, au moment de l’ouverture de la procédure, de 8 à 19 ans.
En effet, ces jeunes plaideurs affirmaient que le gouvernement fédéral viole leurs droits constitutionnels en provoquant de dangereuses concentrations de dioxyde de carbone[5]. Ils affirment que les défendeurs savaient depuis plus de cinquante ans que le CO2 produit par la combustion d’énergies fossiles déstabilisait le climat et que cela les impacterait de manière significative avec des préjudices qui dureraient des millénaires[6].
Ils affirment également que, par le biais de ses actions qui contribuent au changement climatique, le gouvernement a violé les droits constitutionnels de la plus jeune génération à la vie, à la liberté et à la propriété[7]. Ils ont donc des fondements suffisants pour introduire une action en justice qui pourrait prospérer.
Analyse processuelle de la notion de « jeunes plaideurs »
Les mineurs ne pouvant eux-mêmes ester en justice, ils sont représentés par des associations qui ont la qualité et la personnalité pour agir. Les jeunes plaideurs américains faisaient ainsi partie d’une action de groupe, une class action, pour défendre un intérêt commun, en l’espèce celui climatique.
Dans l’affaire Juliana aux États-Unis, l’action des jeunes plaideurs était portée par l’association « Our Children’s Trust » (OCT)[8]. Participaient également à l’action de l’organisation à but non lucratif, les membres de l’organisation Earth Martians de Martinez et le climatologue James Hansen représentant les générations futures.
En 2016, la juge Ann Aiken de la Cour de district américaine de l’Oregon créait un nouveau droit fondamental pour ces enfants et ces adolescents : le droit de s’attendre à ce qu’ils puissent vivre dans un climat stable[9].
Au-delà du fait qu’il s’agit d’un droit fondamental, pour tous, reconnu dans cette affaire, c’est peut-être là l’influence principale d’une action menée par des « jeunes » qui veulent tout simplement pouvoir vieillir dans un monde qui leur en donne la possibilité de même qu’à leur progéniture, c’est-à-dire les générations futures.
Dessa-nin Ewèdew Awesso, en M2 juriste des risques et du développement durable à l’Université de Nice Sophia-Antipolis.
[1] S. Guinchard et T. Debard, Lexique des termes juridiques, 26e éd., Paris, Dalloz, 2018, p. 799.
[2] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/jeune/44891
[3] Pour une base de données sur les procès climatiques : http://climatecasechart.com/
[4] Juliana v. United States; http://climatecasechart.com/case/juliana-v-united-states/?cn-reloaded=1
[5] Pour une vue d’ensemble des phases de l’affaire : http://climatecasechart.com/case/juliana-v-united-states/?cn-reloaded=1
[6] District court, Kelsey Cascadia Rose Juliana et al. v. United States of America et al., Case n° 6:15-cv-01517-TC, Opinion and order, p. 2, § 1; pp. 28-29.
[7] https://www.ourchildrenstrust.org/juliana-v-us
[8] https://www.ourchildrenstrust.org/federal-plaintiffs/
[9] District court, Kelsey Cascadia Rose Juliana et al. v. United States of America et al., Case n° 6:15-cv-01517-TC, Opinion and order, pp. 32-33; p. 52.