Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique avait nommé en février un groupe d’experts chargé de réfléchir sur la neutralité du Net. Depuis, une consultation publique a été lancée et prendra fin le 17 mai. Ces initiatives traduisent une intention de légiférer sur le sujet.
La neutralité du Net est un principe selon lequel toutes les données envoyées sur Internet doivent être transportées sans qu’il soit tenu compte de leur contenu, de leur origine ou de leur destination. Ce principe n’a été formulé qu’en 2003 par un professeur de droit de l’université de Columbia, mais il s’est appliqué de facto depuis la création d’Internet puisqu’aucun moyen technique ne permettait alors de filtrer les données. Aujourd’hui il est possible pour un Etat de filtrer directement au niveau des fournisseurs d’accès à Internet le contenu accessible à ses citoyens. Le système est techniquement viable y compris à très grande échelle comme la Chine a pu le démontrer.
Un débat idéologique est donc né ces dernières années et revient de manière récurrente en France à chaque projet de loi relatif à Internet : la neutralité du Net doit-elle rester absolue, ou peut-elle supporter des limites tenant à l’ordre public ? Sans surprise, le document qui lance la consultation publique évoque la pédopornographie, mais aussi des sujets moins primordiaux que sont la contrefaçon et le piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut lutter contre la pédopornographie sur Internet, mais cela nécessiterait la mise en place d’un système de filtrage au niveau des fournisseurs d’accès équivalent à celui actuellement en place en Chine. En effet, le système légal actuel a montré ses limites, la plupart des condamnations judiciaires obtenues en France sont privées de toute efficacité pratique. A partir du moment où le site est hébergé dans un Etat laxiste la seule solution est d’en bloquer l’accès au niveau des fournisseurs français, faute de pouvoir déconnecter le serveur qui l’héberge.
Une loi instaurant un système de filtrage au niveau national semble donc indispensable pour lutter contre la pédopornographie, mais ce serait également pour le Gouvernement une solution toute trouvée pour assurer l’efficacité des récentes lois en matière d’Internet, à savoir la LCEN et la loi DADVSI issues de directives communautaires, la loi HADOPI et la LOPPSI. Les défenseurs de la neutralité du Net craignent une atteinte disproportionnée aux libertés pour défendre des objectifs beaucoup moins primordiaux que la lutte contre la pédopornographie, comme le piratage. Par exemple, par le passé l’idée a pu être évoquée de bloquer purement et simplement tout le trafic dit « peer to peer » (P2P), ce qui mettrait sans doute un frein important au piratage mais serait aussi en totale opposition avec le principe de neutralité du Net car, en soi, le P2P n’est qu’un protocole neutre, également utilisé par des projets innovants et tout à fait licites.
La consultation publique pose aussi la question de la régulation du trafic sur Internet par les fournisseurs. On sait en effet que la question de la saturation des réseaux se pose. Actuellement la directive européenne « service universel » permet aux fournisseurs de « prioritiser » voire même de bloquer certains types de trafic afin de garantir une qualité de service (QoS) pour le reste du trafic.
En effet, privilégier certains flux sur d’autres peut être nécessaire (téléchirurgie, systèmes de sécurité, etc), mais certaines atteintes au principe de neutralité sont plus discutables et ont des motifs essentiellement économiques, par exemple le blocage de la voix sur IP (VoIP) et des connexions chiffrées SSL sur les réseaux Internet mobiles. Les fournisseurs souhaiteraient aussi faire payer Google qui génère à lui seul 6% du trafic mondial.
Le risque de ces mesures de filtrage et de régulation, pourtant inévitables à l’Etat pour exercer ses pouvoirs régaliens sur Internet, est de mettre à mal le caractère universel d’Internet qui fait sa force.
Clément François
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