Le Transatlantic Free Trade Area (TAFTA) ou le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), ou encore le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI), en cours de négociation depuis juillet 2013, est un projet d’accord de libre-échange sur le commerce et l’investissement entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis.
Il vise principalement la suppression des droits de douane, la suppression des barrières non tarifaires (par exemple les différences de réglementation) et la mise en place d’une justice arbitrale pour le règlement des litiges.
L’existence d’un tel accord n’est pas une originalité en soi. En 1997, le Mexique a signé un accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération avec l’UE, entré en vigueur en 2000, qui a notamment permis d’instaurer une zone de libre-échange UE-Mexique. Plus récemment, l’UE a signé des accords similaires avec l’Afrique de l’Est (l’Accord de Partenariat Economique dit APE) et le Canada (Accord économique et commercial global dit AEGE). Cependant, l’existence de tels accords est contestée. Cette remise en question s’illustre notamment par les appels de la société civile africaine, qui milite pour le refus de la ratification de l’APE et les critiques virulentes de la société civile européenne dont fait l’objet le PTCI et ce, dès le stade de la négociation.
La mise en œuvre récurrente de ces accords est critiquée à différents niveaux. Tout d’abord, à l’échelle du droit international, les Etats du Sud, ou en développement, dénoncent cette nouvelle méthode consistant à négocier en dehors du cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour éviter les difficultés que pose le multilatéralisme. Plus exactement, ils contestent ces accords entre pays développés (dits du Nord) en augmentation constante et qui pourraient de fait, devenir une « pratique générale du commerce » imposée par l’OMC. Ceci alors même que, au sein de l’organisation, les « petits » pays se sont opposés à l’instauration de ces règles durant le cycle Doha. En définitive, les Etats contestent ce nouveau fonctionnement et dénoncent un détournement des règles de droit international.
Ensuite, à l’échelle du droit de l’Union européenne, deux pierres d’achoppements peuvent apparaître. Dans un premier temps, il est possible de se demander quelle est la légitimité de l’UE, à travers la Commission, pour négocier avec un autre Etat un traité qui engage l’ensemble des Etats membres ? Quelle légitimité ont ses fonctionnaires non démocratiquement élus mais désignés, pour conclure un accord aux impacts si importants ? Et de quel droit peuvent-ils le faire dans un tel secret ? La pratique semble montrer, en effet, à travers les négociations en cours, une violation du principe de transparence.
Ainsi, c’est dans un premier temps l’existence même d’un accord conclu par l’UE qui est contestée en théorie (I) comme en pratique (II). Dans un second temps, le contenu du PTCI est grandement débattu par les associations et les représentants nationaux. Si le projet n’est qu’au stade des négociations, les grands traits du futur accord ont pu être dégagés après la publication du mandat de négociation de la Commission. Dans le cadre de cette analyse effectuée à travers le prisme européen, c’est l’idée d’une justice arbitrale qui retiendra le plus l’attention. Les conséquences d’un tel accord peuvent alors être vues comme la fin de la souveraineté européenne (III).
I. La contestation de l’existence théorique du TPIC pour absence de légitimité
Il semble tout d’abord important de souligner que le TPIC est contesté au stade même de son élaboration.
En théorie, la faculté de l’UE de négocier au nom de tous ses Etats membres un accord commercial permettant notamment d’engager leur responsabilité devant un tribunal arbitral peut interpeller. Quelle légitimité a donc l’UE pour agir ?
L’article 218 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) prévoit et organise la possibilité pour l’UE de négocier et de conclure des accords avec des Etats tiers ou des organisations internationales. L’article 207 du TFUE spécifie la procédure pour de tels accords qui concerneraient la politique commerciale « et notamment […] les modifications tarifaires, la conclusion d’accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, l’uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d’exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions ».
L’UE a donc une légitimité juridique à conclure de tels accords puisque l’Union dispose d’une compétence textuelle mise en place par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, un Traité qui a été librement signé et ratifié par tous les Etats membres.
Toutefois, la question qui pose le plus problème reste celle de la légitimité démocratique. Il parait donc nécessaire, afin de se prononcer sur cette légitimité, d’analyser la procédure d’élaboration du droit communautaire, et plus spécifiquement du droit originaire, notamment en la comparant à la procédure d’adoption des traités en droit français.
La Constitution française de 1958, dans son titre VI, prévoit que les traités internationaux sont négociés, signés et ratifiés par le Président de la République après, éventuellement, l’adoption par le Parlement d’une loi d’autorisation de ratification (article 53 de la Constitution française). Tous ces acteurs sont directement ou indirectement élus au suffrage universel. Ils sont investis d’une légitimité démocratique leur permettant d’engager leur Etat auprès d’un autre, sous réserve de réciprocité (article 55 de la Constitution).
L’UE, elle, lorsqu’elle négocie des accords internationaux, le fait à travers la Commission. La nomination des commissaires a donc son importance afin d’aborder la légitimité démocratique de l’Union. C’est en effet le Traité de Lisbonne qui définit les règles de nomination et d’attribution des commissaires européens. Ce sont des fonctionnaires dont les noms sont proposés par les Etats puis désignés par le Conseil européen statuant à la majorité qualifiée. Cette désignation a vraisemblablement une connotation politique.
Pourtant toute la procédure de désignation n’est pas dépourvue d’un versant démocratique. Chaque commissaire doit avoir été approuvé par un vote du Parlement Européen, dont les députés sont eux, élus au suffrage universel direct. L’acteur de la négociation, contrairement aux idées reçues, dispose d’une légitimité démocratique indirecte.
Concernant plus précisément la procédure entourant la conclusion de l’accord international, l’article 207, paragraphe 3 TFUE prévoit que la Commission doit avoir reçu un mandat de négociation du Conseil Européen. Ce même Conseil est constitué de tous les chefs d’Etat ou de gouvernement démocratiquement élus. Enfin, la Commission, durant les négociations, doit régulièrement faire rapport auprès d’un comité spécial et auprès du Parlement.
Le paragraphe 4 de l’article 207 prévoit que la négociation et la conclusion des accords est subordonnée à un vote du Conseil. Des critiques peuvent avancer l’argument selon lequel le Conseil décide à la majorité qualifiée et non à l’unanimité. Les représentants démocratiquement élus peuvent se voir imposer la conclusion de l’accord auquel ils sont opposés. Cette entrave à la souveraineté nationale priverait cette phase de légitimité démocratique.
Cependant, la suite de l’article peut leur être opposée. Il prévoit des cas de retour au vote à l’unanimité. C’est notamment le cas lorsque l’accord se place « dans le domaine du commerce des services sociaux, d’éducation et de santé, lorsque ces accords risquent de perturber gravement l’organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services ». Or, le mandat de négociation du TTIC laisse supposer que c’est le cas. Mais surtout, depuis le Traité de Lisbonne, l’accord du Parlement Européen est requis pour la conclusion d’un accord. En définitive, les traités prévoient une procédure de négociation et de ratification d’accords internationaux par l’UE qui est parsemée de contrôles d’acteurs démocratiquement élus afin, justement, de garantir une légitimité démocratique.
Une dernière soupape de sécurité est éventuellement envisageable. En effet, si le TTIC concerne des domaines n’entrant pas dans le champ de la compétence exclusive de l’Union, une ratification de chaque Etat membre sera nécessaire. Par exemple, en France, il faudrait alors qu’une loi d’autorisation soit adoptée par le Parlement ou, dans l’hypothèse d’un référendum, par le peuple.
La question n’est alors plus tant le problème d’une absence de légitimité démocratique mais le degré de celle-ci. Cette procédure si importante peut-elle se contenter de contrôles ponctuellement exercés par des représentants démocratiquement élus, ou faut-il la mener d’un bout à l’autre par des acteurs dotés d’une légitimité démocratique directe ? Mais à l’étude théorique de la légitimité de la procédure doit être ajouté un examen pratique.
II. La contestation de l’existence de l’accord pour pratique illégitime lors de la procédure
Il semble à ce stade opportun de souligner que de nombreuses critiques dénoncent un manque de légitimité de ce projet d’accord, celles-ci s’appuyant notamment sur le déroulement actuel de ses négociations; c’est plus précisément un manque de transparence de la part des acteurs qui est dénoncé.
Or, la transparence, qui englobe l’accessibilité et la lisibilité du droit, est devenue un principe du droit de l’Union européenne, cela afin de répondre justement aux critiques récurrentes dénonçant un déficit démocratique et une opacité technocratique. Le 7 février 2002, le Tribunal de l’Union européenne a expressément établi le lien entre démocratie et transparence (TPICE, 7 févr. 2002, aff. T-211/00, Kuijer c/ Cons., pt 52 : Rec. CJCE 2002, II, p. 485).
Le site Europa affirme que depuis le Traité de Lisbonne (l’article 1 du Traité sur l’UE vise « le principe d’ouverture »), l’Union est « plus démocratique et plus transparente». Très clairement, dans l’UE, la transparence est un gage de démocratie. Dès lors est-il possible d’accepter une opacité dans les négociations d’un accord mettant en jeu la règlementation européenne, la protection du consommateur européen, ou envisageant la responsabilité des Etats membres devant un tribunal privé ?
Un facteur pratique nécessite à ce stade d’être avancé. Pour mener à bien toute négociation, un degré de confidentialité élevé est nécessaire, cela afin d’éviter des interventions ou des pressions extérieures pouvant affecter négativement les échanges. Bien évidemment, cette exigence de secret n’est pas absolue, les acteurs ne pouvant agir en toute impunité.
C’est pourquoi, après de nombreuses réclamations d’associations et personnalités politiques, le mandat de négociation pris en juin 2013 a été officiellement rendu public le 9 octobre 20141. Cependant, un an et demi s’est écoulé avant que les citoyens européens soient seulement informés du cadre de la négociation.
Toujours sous la pression de la société civile, la Commission a lancé en mars 2014 une consultation publique sur le Traité, mais les associations dénoncent une initiative qui n’est que « poudre aux yeux » et qui sera sans conséquences sur le déroulement et la conclusion des négociations.
Par une communication, le président de la nouvelle Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s’est prononcé en faveur d’un changement de comportement: « Le travail que nous ferons, aussi bon soit-il, n’aura aucune valeur si nous ne gagnons pas le soutien et la confiance des citoyens au service desquels nous sommes. Soyons donc plus transparents puisque nous n’avons rien à cacher. Montrons que cette fois-ci les choses sont réellement différentes et qu’ensemble nous pouvons véritablement changer et renouveler l’Europe ».
Sous son impulsion, deux décisions ont ainsi été prises et sont entrées en vigueur le 1er décembre 2014. Elles prévoient notamment que la Commission publiera sur son site internet, dans les deux semaines qui suivent, le nom des organisations et des personnes agissant en qualité d’indépendants (comme les représentants de grandes entreprises privées) qu’ils auront rencontré lors de réunions bilatérales, en précisant la date, le lieu et les sujets traités. Elles prévoient également une plus large et une meilleure diffusion des documents de négociation aux députés européens. Pour certains documents, une publication visant directement les citoyens européens est même prévue.
La remise en question de l’existence du TPCI est donc due essentiellement à l’opacité des négociations en cours. Consciente de cette déficiente démocratique, l’UE agit de manière à rectifier ce travers sans pour autant que les critiques faiblissent.
Au-delà des questions existentielles du TPIC, les conséquences que pourraient avoir le Traité Transatlantique peuvent également inquiéter.
III. La crainte de la fin de la « souveraineté » européenne
L’existence d’un « Investor-State Dispute Settlement » (ISDS), mécanisme définissant les règles en cas de conflit entre une entreprise et un Etat, attire les investisseurs et ainsi consolide le développement économique. En effet, la possibilité de recourir à un arbitrage investisseur-Etat permet de réduire les incertitudes liées à des facteurs politiques ou juridiques, ce qui rassure les investisseurs. Contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas une nouveauté. L’Union a déjà signé 1 400 accords prévoyant ce mécanisme (la France 103 et l’Allemagne 147). Les statistiques montrent de plus qu’en moyenne, les Etats gagnent plus souvent que les multinationales.
Cependant les conséquences peuvent être graves. En effet, un Etat peut voir sa responsabilité engagée s’il prend des mesures qui vont à l’encontre des règles commerciales adoptées par l’accord. Notamment, n’importe quel groupe privé estimant être lésé dans son droit à la libre concurrence pourra demander un dédommagement si une mesure de l’Etat fait baisser son profit au motif de subir une « expropriation indirecte ». Les plus célèbres exemples sont les poursuites judiciaires exercées par le groupe Philipp Morris contre l’Uruguay et l’Australie pour leur campagne anti-tabac.
Certes, certains domaines ont été exclus du champ des négociations. C’est notamment le cas avec l’exception culturelle que la France a vivement défendue. Mais d’autres domaines sensibles sont également visés, ce qui inquiète bon nombre de commentateurs. Ils craignent notamment une modification de la règlementation qui irait vers un affaiblissement de la protection des consommateurs avec l’autorisation des OGM ou l’autorisation de la vente de viande d’animaux nourris aux hormones par exemple. Ils craignent également une soumission de l’Union Européenne et de ses Etats membres aux lobbys et aux entreprises privées.
En définitive, ces tribunaux privés risquent de contraindre la liberté des États à changer de politiques et donc de normes, de peur d’être poursuivis.
Si la Commission prend toutes les précautions pour annoncer que les décisions européennes et nationales ne seront pas influencées, la simple reconnaissance de l’idée d’expropriation indirecte donne à une instance arbitrale privée le droit d’évaluer la légitimité d’une action publique.
Monsieur Juncker, contrairement à l’ancien président Barroso, est opposé à « ces arbitres qui jugent à huis clos, selon leurs propres lois et sans appel ». Dans son discours d’investiture, prononcé le 15 juillet 2014 à Strasbourg, il s’est engagé à ne pas « accepter » que « la juridiction des tribunaux des États membres de l’UE soit limitée par des régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs. L’État de droit et le principe d’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte ». Pour le président de la Commission, le risque est trop grand que « les normes européennes de sécurité, de santé, les normes sociales, les normes de protection des données ou notre diversité culturelle» soient «sacrifiées» sur «l’autel du libre-échange ».
En plus d’une éventuelle justice arbitrale, les détracteurs craignent la remise en cause de l’acquis européen mettant fin à la « souveraineté » européenne. Or, l’article 218, paragraphe 11, du TFUE prévoit qu’« un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités. En cas d’avis négatif de la Cour, l’accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités ». Cette soupape de sécurité a d’ailleurs été utilisée par le Parlement européen ce 25 novembre 2014 à propos de l’accord PNR UE – Canada sur les données des passagers aériens.
Il est donc tout à fait envisageable que l’accord de libre échange UE – Etats-Unis soit soumis à ce contrôle. Le PTCI ne peut être contraire au droit de l’Union (au sens de droit originaire). Si c’est le cas, il devra être modifié avant son entrée en vigueur. A défaut, les traités devront être révisés. Mais dans ce cas, cela se fera conformément aux règles de l’UE dans le respect de sa souveraineté et de celle de ses Etats membres. En réalité, la difficulté porte ainsi sur la question du juge arbitral et risque d’être le principal point de tension lors des négociations.
Le projet d’accord de libre échange UE – Etats-Unis fait couler beaucoup d’encre. Il est craint et contesté par les organisations non gouvernementales comme ATTAC et par nombre de citoyens européens. Mais selon la majorité des économistes et des responsables politiques, la multiplication de ces accords de libre échange avec nos principaux partenaires commerciaux serait la seule manière de relancer la croissance, conserver notre compétitivité et faire face à la concurrence de pays tels que la Chine ou le Brésil. A défaut de débat idéologique sur la nécessité d’atteindre ces objectifs, un débat objectif et constructif mériterait d’être publiquement et sérieusement lancé sur la manière de les atteindre.
Marguerite Guiresse M2 « Affaires européennes et internationales » Faculté de Bayonne
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1. http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-11103-2013-DCL-1/en/pdf