Megaupload est un site internet fondé en 2005 par un informaticien allemand, Kim Schmitz, permettant à un internaute de mettre en ligne (d’uploader) un fichier sur les serveurs du site. Celui-ci pouvait rester public et disponible en streaming sous la forme d’un lien Megaupload accessible dans le monde entier, parfois en téléchargement. Le site proposait aussi un espace de stockage à usage privé. Il a été fermé par le département de la justice des Etats-Unis, le 19 janvier 2012.
Cette fermeture est intervenue au point d’orgue d’un mouvement international visant à réprimer plus efficacement et sévèrement le streaming illégal.
– Aux Etats-Unis, le vote des « PIPA/SOPA bills1 » a été repoussé à la suite de cet évènement, suite aux attaques des « Anonymous » et protestations des géants du web. Ces projets sont devenus quasi-obsolètes au vu de l’affaire Megaupload, à travers laquelle le gouvernement Américain à déjà démontré la mainmise de l’autorité judiciaire sur le réseau. Dénoncée de par le monde, bien avant la présente affaire, la mainmise des Etats-Unis sur l’attribution et la gestion des noms de domaines génériques est pourtant liée à la création du réseau sur le sol Américain. Le système d’attribution de noms de domaines (Domain Name System) est géré en Californie par l’ICANN2, responsable des noms de domaine génériques. Elle a confié à la société Verisign, elle-même soumise au droit américain, la gestion des gTLD « .com » et « .net ». Les autorités américaines ont donc tout le loisir de faire exécuter un mandat de saisie d’un nom de domaine ayant une extension « .com » ou « .net », dans la mesure où les organismes de gestion de ceux-ci sont sous leur tutelle exclusive, peu importe que la société possédant ledit nom de domaine ne réside pas sur le territoire américain et qu’elle ne soit pas régie par le droit américain.
– En Europe le 26 janvier 2012, peu après la fermeture du site, est intervenue la signature d’ACTA3 par l’Union Européenne visant notamment une coopération entre les ayants droits et les opérateurs privés sur internet (contournant un contrôle ab initio de l’autorité judiciaire).
Ces différents projets démontrent qu’à l’échelle mondiale, une démarche de filtrage privatisé du web se met en place4. Quid des mesures annoncées par l’HADOPI en France pour lutter contre les plateformes telles que Mégaupload ? Ces mesures étaient annoncées pour le premier trimestre 2012.
La responsabilité de l’hébergeur mettant à disposition un contenu illicite sans accord des ayants-droit est susceptible d’évoluer vers un renforcement. Les plateformes de streaming illicite prospèrent par la publicité en ligne présente sur leur site. C’est pourquoi les « labs5 » de l’Hadopi ayant pour but de réfléchir à l’encadrement du streaming ont désigné la plateforme de streaming comme le responsable naturel à poursuivre en cas de contrefaçon. Le lucre généré par la publicité sur ces plateformes n’est pourtant pas de nature à engager la responsabilité de l’hébergeur6 et la question du filtrage de ces derniers s’est posée.
L’arrêt « Sabam », rendu par la CJUE le 24 novembre 20117, a été perçu comme une entrave à un volet « hadopi 3 » reposant sur un filtrage par les FAI. La Cour a considéré que le droit de l’UE s’oppose à ce qu’une juridiction puisse enjoindre à un fournisseur d’accès à internet des mesures de filtrage globales sur l’ensemble du réseau afin de prévenir le téléchargement illégal de fichier, raisonnement transposable au streaming. Cependant rien n’empêche un Etat membre de mettre en œuvre un système de filtrage spécifique au streaming, rien n’empêche aussi à des sociétés « mercenaires » des ayants-droits d’intervenir dans ce type de filtrage, comme pour le peer-to-peer8.
La responsabilité du simple spectateur, quant à elle, est très difficile à mettre en œuvre: l’HADOPI semble ne pas l’envisager. Le simple spectateur pourrait porter atteinte au droit de reproduction de l’auteur en ce que la mémoire tampon de l’ordinateur de l’utilisateur stocke les paquets de données nécessaires à la visualisation du contenu. Certains estiment que l’utilisateur bénéficie de l’exception de reproductions provisoires, et s’appuient sur arrêt rendu par la CJUE le 4 octobre 20119, rendu à propos de licences d’exclusivité territoriales en matière de radiodiffusion de matchs de football. Pour la Cour, le spectateur bénéficie de l’exception de représentation privée et gratuite dans le cadre du cercle de famille prévue par la directive société de l’information et transposée en droit français à l’article L 122-5,1° du Code de la propriété intellectuelle10.
Les experts en propriété intellectuelle qui pilotent les « labs » HADOPI font valoir11 qu’à ce stade, rien ne présage une transposition au streaming, d’une part parce qu’en l’espèce les ayants-droits sont rémunérés (ce qui n’est pas le cas pour le streaming) et parce que les exceptions au droit d’auteur sont d’interprétation stricte et ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts de l’auteur, de même que la source de l’œuvre doit être licite selon le triple test (prévu par la directive de 2001 et le Code de la propriété intellectuelle en son article L. 122-5).
En tout état de cause, l’HADOPI ne semble plus envisager de sanctionner le simple spectateur. Les participants sont, très majoritairement, convenus que la répression du piratage ne doit pas être axée sur la sanction de l’internaute, pour les raisons juridiques susmentionnées et les nombreuses incertitudes juridiques qui entourent le streaming, autant que pour des problèmes techniques. En effet, le problème que rencontre une éventuelle répression pénale est celui de la preuve de l’acte matériel et de l’intention du spectateur, preuve quasi impossible, probatio diabolica…
En outre, la sanction n’est pas socialement acceptable en raison du régime de responsabilité allégée de l’hébergeur, de sorte qu’il y a lieu de lui demander directement le retrait du contenu litigieux avant d’engager ensuite sa responsabilité12.
L’action répressive se dirigera nécessairement vers la personne qui met à disposition les œuvres disponibles (l’uploader) en streaming sur internet. La situation du diffuseur de contenu est limpide, il effectue nécessairement un acte de reproduction de l’œuvre sur le site de l’hébergeur, celui-ci est un contrefacteur qui a mis à disposition du public une œuvre protégée sans autorisation de l’auteur. Il encourt la sanction pénale prévue par l’article L 335-3 du Code de la propriété intellectuelle.
LABYOD Benjamin-Victor
Elève-avocat
Pour en savoir plus : http://www.legavox.fr/blog/mr-labyod/reflexions-streaming-illegal-7750.htm
1 Il s’agit de deux projets de loi anti-piratage, SOPA pour Stop online Piracy Act et PIPA pour Protect Intellectual Property Act. Ces projets veulent permettre à l’autorité judiciaire Américaine d’enjoindre à certains sites et opérateurs de paiement de cesser tout concours avec un site incriminé hors des E-U et interdire tout accès à ces derniers.
2 Internet Corporation for assigned names and numbers.
3 Accord commercial anti-contrefacon, traité international multilatéral, créant un nouveau cadre juridique international pour la propriété intellectuelle et une nouvelle institution internationale régulatrice.Ce traité devra faire l’objet d’un vote par l’U-E.
4 Portant potentiellement atteinte à la liberté d’expression, à la vie privée, à la protection des données à caractère personnel, à la liberté du commerce et de l’industrie, au droit à l’information… et ce, d’une manière disproportionnée par rapport à la nécessaire protection de droits de propriété intellectuelle sur internet. Ce n’est pas parce qu’internet est un outil de masses, a fortiori de délits de masses, qu’est ainsi légitimée une législation éloignant l’institution judiciaire de sa mission première, la sauvegarde des libertés individuelles (tel qu’en dispose l’article 66 de notre constitution).
5 La haute autorité organise des « labs » réunissant les acteurs concernés, qui doivent permettre de réfléchir aux adaptations législatives en la matière.
6 Le régime allégé de l’hébergeur n’est invocable, selon l’apport de la jurisprudence de la CJUE « Google Adwords », (CJUE, 23 mars 2010, aff. jointes C-236/08), que si le prestataire a eu un rôle « purement technique, automatique et passif » ; de sorte qu’il n’ait « pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ». Il faut en déduire a contrario que les avantages économiques retirés de la contrefaçon sur les sites d’hébergement ne sont pas de nature à permettre la pleine responsabilité de l’hébergeur.
7 CJUE, 24 nov. 2011, aff. C-70/10, Scralet Extended SA c/ Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (Sabam).
8 La doctrine rappelle que cette décision doit être comprise comme permettant que repose sur les prestataires de services intermédiaires que sont les FAI et les hébergeurs, des mesures de filtrage ciblées, dans leur objet, leur étendue et leur portée (Emmanuel Derieux « Filtrage par les FAI, opposition aux obligations générales de filtrage imposées aux fournisseurs d’accès à internet », RLDI janvier 2012, p.61).
9 Cour de justice de l’Union Européene.
10 Selon l’article L.122-5 1° du code de la propriété intellectuelle : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : – 1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille […] ».
11http://labs.hadopi.fr/actualites/la-cjue-t-elle-vraiment-juge-que-linternaute-qui-lirait-des-oeuvres-protegees-en#_ftn4
12 La LCEN, loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, prévoit ainsi une procédure de notification en son article 6-I-5. Dès cette notification, une présomption de connaissance du caractère illicite du contenu pèse sur le fournisseur d’hébergement, qui en toute hypothèse devra retirer le contenu litigieux promptement sous peine de voir sa responsabilité engagée.