L’article 1315 du code civil impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver.
En matière civile, l’article 9 du code de procédure civile dispose qu’« il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». En combinant cet article à l’article 6 de la CEDH, la preuve produite en justice doit ainsi être loyale, ce qui constitue un principe directeur du procès civil.
Selon le Doyen Bouzat, la loyauté est « une manière d’être de la recherche des preuves, conforme au respect des droits de l’individu et à la dignité de la justice« 1. M.E Boursier définissait cette notion comme « le comportement fait de droiture et de probité attendu du plaideur envers le juge et envers son adversaire »2.
Pour sa part, le Doyen Carbonnier indiquait que « si les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas : il y a dans le procès un combat, a tout le moins un match […] Un minimum de loyauté est assuré par la déontologie qui gouverne les rapports entre avocats, ainsi que le contrôle du juge. Mais à condition de respecter ce minimum, chaque partie peut se sentir invitée par l’article 9 du Code de procédure civile à travailler pour le succès de sa prétention, à laisser un instant la vérité unique pour sa propre vérité »3.
En matière prud’homale, la preuve est par principe libre.
Toutefois, le particularisme du contentieux prud’homal, notamment les nombreux régimes d’aménagements de la preuve (harcèlement, discrimination, heures supplémentaires,…), a amené la jurisprudence à tempérer, sous conditions, l’exigence de loyauté de la preuve.
La loyauté de la preuve côté employeur :
La preuve rapportée par l’employeur à l’appui de son argumentation ne doit pas, par principe, porter atteinte à la vie privée du salarié sur le fondement de l’article 8 de la CEDH, 9 du code civil et L. 1121-1 du code du Travail.
Le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; celle-ci implique en particulier le secret des correspondances.
« Le respect de la vie privée doit fonctionner comme un facteur de loyauté »4.
L’employeur ne peut pas user de moyens de preuve illicites pour justifier le bien-fondé du licenciement d’un salarié.
Au visa notamment de l’article 6 de la CEDH, la Cour de cassation juge recevable la preuve rapportée par l’employeur susceptible de porter atteinte à la vie privée du salarié, si sa production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve par l’employeur et si l’atteinte à la vie privée est proportionnée aux intérêts antinomiques en présence5.
Mode de preuve |
Recevabilité |
Référence jurisprudentielle |
Page Facebook d’un salarié dont l’accès était ouvert au plus grand nombre (amis et amis des amis) |
Oui |
CPH Boulogne-Billancourt 19 novembre 2010 n° 09/00316 – 09/00343 |
Témoignages des clients |
Oui |
CA Grenoble 14 octobre 2002 n° 01/01679 |
Organisation d’un stratagème |
Non |
Cass soc 18 mars 2008 n° 06-45093 |
Filature du salarié par un détective privé |
Non |
Cass soc 26 novembre 2002 n° 00-42401 |
Messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail |
Non même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur |
Cass soc 2 octobre 2001 n° 99-42942 |
Fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus dans le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition |
Oui mais si découvert en présence du salarié « sauf risque ou événement particulier » |
Cass soc 17 mai 2005 n° 03-40017 |
Contenu d’une clef USB appartenant au salarié et branchée sur l’ordinateur professionnel |
Oui car dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, étant présumée utilisée à des fins professionnelles, l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié. |
Cass soc 12 février 2013 n° 11-28649 |
Enregistrements vidéos des lieux de travail |
Oui mais à la condition que la mise en place d’une caméra de surveillance n’a pas pour objet de contrôler le travail des salariés mais uniquement de surveiller les locaux de l’entreprise dans lesquels ils doivent n’avoir aucune activité. L’employeur doit respecter un formalisme stricte (information individuelle et collective des salariés, déclaration CNIL) |
Cass soc 19 avril 2005 n° 02-46295 L. 1222-4 et L. 2323-32 du code du Travail |
La loyauté de la preuve côté salarié :
La déloyauté de la preuve est admise dans le cadre d’un contentieux prud’homal si cette preuve est l’unique moyen de prouver les griefs formulés à l’encontre de l’employeur.
Selon le Professeur Cyril Wolmark, « une preuve obtenue de manière déloyale devrait alors être admise dans les cas où les actes commis contre le salarié sont essentiellement clandestins – harcèlement, discrimination- et ne peuvent être prouvés selon les modes habituels de preuve »6.
Le contentieux porte principalement sur deux modes de preuves : la copie de fichiers de l’entreprise et les enregistrements clandestins.
Mode de preuve |
Recevabilité |
Référence jurisprudentielle |
Testing (test de discrimination) |
Oui |
Cass crim 11 juin 2000 |
Copie des fichiers que le salarié s’est procuré au sein de l’entreprise avant son licenciement (pouvant être couvert par le secret professionnel) par exemple copie des mails, des entretiens d’évaluation du salarié, fiches de poste… |
Oui, mais à la condition que les documents en cause soient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son employeur. C’est au salarié de rapporter cette preuve. |
Cass soc 30 juin 2004 n° 02-41720 – 02-41771 Cass soc 18 novembre 2009 n° 08-42498 Cass soc 31 mars 2015 n° 13-24410 |
Enregistrement clandestin d’une conversation téléphonique |
Non |
Cass soc 23 mai 2007 n° 06-43209 Cass soc 29 janvier 2008 n° 06-45814 |
1 P. BOUZAT, « La loyauté dans la recherche des preuves », Mélanges Hugueney, Sirey, 1964, p. 172
2 M.E BOURSIER, « Le principe de loyauté en droit processuel », Thèse de l’Université Panthéon-Assas (Paris II) sous la direction de M. le Doyen Serge Guinchard Nouvelle Bibliothèque de Thèses, volume 23, Dalloz, 2003
3 J. CARBONNIER, Droit civil. Introduction., PUF, 25e ed. 1997, n° 109-188
4 « Pour la réhabilitation, sous conditions, de la preuve dite déloyale en droit du travail », J. RAYNAUD, JCPS, n° 5, 29 janvier 2013, 1054
5 Cass 1ère civ 05 avril 2012 n° 11-14177
6 Professeur Cyril WOLMARK, Droit ouvrier, 2014, p.284
Pour aller plus loin :
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« Pour la réhabilitation, sous conditions, de la preuve dite déloyale en droit du travail », J. RAYNAUD, JCPS, n° 5, 29 janvier 2013, 1054
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« La responsabilité du salarié face à la preuve dans le procès prud’homal », C. TETARD-BLANQUART, JCPS, n° 42, 15 octobre 2013, 1404
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« La licéité des enregistrements clandestins en matière de harcèlement sexuel », M. BECKERS, Semaine Sociale Lamy, 08 juin 2015, 1680
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« Droits de la défense du salarié : bonne foi et charge de la preuve du caractère strictement nécessaire des documents de l’entreprise », H. KOBINA GOBA, JSL, n° 390, 23 juin 2015, 390-5
Romain TAFINI – Ecole des Avocats du Sud-Est