La loi Pinel, présentée par l’ancienne ministre du commerce, Madame Pinel, le 19 juin 2013, figure parmi les cinquante mesures du « plan d’action pour le commerce et les commerçants ». Votée le 18 juin 2014, elle a vocation à s’appliquer à l’ensemble des baux commerciaux et instaure de nouvelles règles visant à renforcer leur encadrement, suivant une tendance plutôt favorable aux locataires.
La loi Pinel a pour effet de rapprocher les baux commerciaux des baux d’habitation : indexation de l’évolution des loyers, états des lieux obligatoires, répartition des charges, impôts et travaux mieux encadrés, création d’un droit de préemption du locataire, etc.. Ce texte, dans l’ensemble protecteur des locataires, inquiète les bailleurs et n’est pas sans susciter certaines critiques, notamment de la part des professionnels de l’immobilier d’entreprise. En particulier, la limitation de l’augmentation du loyer lors du renouvellement du bail leur fait craindre une baisse de la rentabilité de leurs investissements.
Si certains ont pu regretter un texte « assez confus »dans l’ensemble, il faudra attendre des décrets d’application pour pallier certaines imprécisions de la loi, notamment sur la question des charges. Ces décrets devront veiller à conserver un juste équilibre afin que l’application de la loi « Pinel » ne décourage les investisseurs.
Petit tour d’horizon des principaux points abordés par la réforme.
La réforme de la durée du bail
On sait que la durée du contrat de location d’un bail commercial ne peut être inférieure à neuf ans, selon l’alinéa 1er de l’article L.145-4 du Code de commerce. Le nouvel alinéa 2 dispose désormais que : « le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, dans les formes et délai de l’article L. 145-9. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l’article 231 ter du code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires ».
Ainsi le législateur a, sauf exceptions limitativement énumérées, interdit la pratique des baux qui auraient une durée ferme supérieure à trois ans. Autrement dit, le preneur à bail bénéficie d’une faculté de résiliation tous les trois ans (« à l’expiration d’une période triennale »), sans devoir attendre neuf années de location. La loi du 4 août 2008 avait déjà supprimé les clauses interdisant au locataire de donner congé à l’expiration des périodes triennales, soit trois ou six ans à compter de la prise d’effet du bail. En effet, en période de difficultés économiques, les entreprises ont besoin de souplesse et de telles clauses interdisant au locataire de partir peuvent s’avérer dangereuses, notamment lorsque la commercialité d’un emplacement se dégrade ou lorsque l’activité faiblit.
Toutefois, la faculté d’introduire une convention contraire est maintenue dans les quatre cas envisagés par la loi :
– les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans
– les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation
– les baux des locaux à usage exclusif de bureaux
– les baux des locaux de stockage.
En outre, les baux dits « dérogatoires » (ou, à tort sans doute, « précaires ») ne pourront désormais excéder trois ans, contre deux ans jusqu’alors.
Ce régime particulier, adopté surtout par les jeunes entreprises (souhaitant tester leur activité sans s’engager dans un bail commercial plus contraignant), échappe au statut des baux commerciaux et permet au locataire de quitter les locaux avant la durée prévue pour le bail commercial classique. C’est le fameux bail dérogatoire de « vingt-quatre mois maximum », que la loi fait passer de deux à trois ans, pour davantage de souplesse. A l’issue du bail dérogatoire, le locataire devra quitter les lieux, sauf accord du bailleur ; dans cette hypothèse, il s’opérera un nouveau bail, obligatoirement commercial et de neuf ans.
Un encadrement de l’évolution du loyer en cours de bail
Les dispositions portant sur le loyer du bail commercial figurent sans doute parmi les plus emblématiques de la réforme.
Le loyer des baux commerciaux fait l’objet, en cours de bail, d’une indexation annuelle ou triennale jusqu’à présent basée sur l’indice du coût de la construction (ICC). La loi a supprimé toute référence à l’ICC pour le calcul du plafonnement légal, en révision comme en renouvellement.
Cette modification était attendue, puisque l’ICC avait connu une progression très forte, de l’ordre de 2,48% par an entre 2007 et 2012. Le législateur a ainsi souhaité mettre en place des indices moins volatils que l’ICC et mieux corrélés avec la réalité économique des entreprises, donc plus protecteur des locataires. Il s’agissait de prendre en compte la conjoncture économique, par l’activité commerciale et le niveau des prix.
Pour ce faire, la loi remplace définitivement l’ICC :
- par l’ILC (indice des loyers commerciaux) pour les activités commerciales, artisanales et industrielles ;
- par l’ILAT (indice des loyers des activités tertiaires) pour les activités tertiaires autres que commerciales et artisanales ; ce dernier indice couvre également les activités des professions libérales et celles effectuées par les entrepôts logistiques.
C’est donc en fonction de l’activité du locataire que s’établira le calcul du plafonnement légal, ce qui laisse subsister des incertitudes concernant certaines activités (locaux exploités par des agences bancaires ou immobilières notamment).
L’ILC et l’ILAT servent donc, depuis le 1er septembre 2014, d’indices de référence pour le calcul de l’évolution du loyer lors de la révision triennale ou du renouvellement du bail.
La loi a surtout entendu encadrer le déplafonnement des loyers, au renouvellement du bail. Ce point technique mais néanmoins essentiel mérite attention. Le plus souvent, le bail commercial est renouvelé tacitement à son expiration. Le loyer du bail renouvelé est, en principe, plafonné, et fixé en appliquant simplement l’indexation. Mais dans les cas où le loyer est déplafonné, notamment lorsque la valeur locative du bien a fortement augmenté, une forte et brutale augmentation du loyer risquerait de compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales. La loi prévoit donc que « la variation du loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10% du loyer acquitté au cours de l’année précédente » (article L.145-34 du Code de commerce). Ainsi dans les cas où le plafonnement ne s’applique pas, le législateur limite à 10 % du dernier loyer acquitté les réajustements annuels qui peuvent être appliqués au locataire.
Toutefois, les parties au bail commercial auront toujours la possibilité de déroger à ces règles en insérant une clause contraire dans le contrat. Par ailleurs, les baux des locaux monovalents ou à usage exclusif de bureaux ne sont pas concernés.
Les modalités de délivrance du congé
Dans un souci de simplification et d’économie, le législateur a modifié l’article L.145-9 du Code de commerce en permettant à chacune des parties de donner congé par simple lettre recommandée avec accusé de réception, et non plus par seul acte d’huissier comme c’était le cas auparavant.
En revanche, et c’est là que la réforme laisse une impression d’inachevé, la demande de renouvellement du bail et la réponse du bailleur à cette demande doivent toujours être signifiées par acte d’huissier.
Les cessions et garanties en cas de cession
La loi du 18 juin 2014 a modifié le 2ème alinéa de l’article L.145-16 du Code de commerce, et étendu les hypothèses de cessions librement autorisées aux opérations de scission, et de transmissions universelles de patrimoine.
Dans pareils cas, la société désignée par le contrat de scission, la société issue de la fusion et la société bénéficiaire de la transmission universelle de patrimoine bénéficient de tous les droits et obligations découlant du bail initialement consenti.
Cet élargissement vise à empêcher certains bailleurs de résilier le bail ou refuser son renouvellement sans indemnités, dès lors que le locataire avait fait l’objet d’une transmission universelle de patrimoine sans autorisation préalable du bailleur. Les sociétés issues d’opérations de scission ou de transmission universelle de patrimoine « sont substituées à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail », sans autorisation requise du bailleur.
La loi instaure en outre une garantie du cédant en cas de cession du bail, par laquelle le bailleur « informe le cédant de tout défaut de paiement du locataire dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être acquittée » ; le bailleur ne pourra invoquer cette garantie « que durant trois ans à compter de la cession dudit bail » (nouveaux articles L.145-16-1 et L.145-16-2 du Code de commerce). La pratique s’accommode cependant assez mal de ce délai jugé trop court.
Le droit de préemption du locataire en cas de vente du local commercial
A l’instar de ce qui existe déjà en matière de baux d’habitation, l’article L.145-46-1 institue un droit de préemption au profit du locataire en cas de vente par le propriétaire du local commercial ou artisanal.
Le statut des baux commerciaux assurait déjà une certaine protection du locataire : bail de neuf ans, droit au renouvellement du bail, possibilité de céder le fonds de commerce ou seulement le bail.
La loi accorde désormais davantage de stabilité au locataire, lui permettant, sauf exceptions, un droit de priorité en cas de vente du local objet de son exploitation. En pratique, lorsque le bailleur d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec accusé de réception. Le locataire sera ainsi prioritaire pour en faire l’acquisition, dans le délai d’un mois.
Un second droit de préférence est prévu si le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux que ce qui avait été proposé au locataire.
Cependant, le champ d’application gagnera à être précisé ; en visant expressément les locaux commerciaux ou artisanaux, les locaux industriels, logistiques ou à usage d’entrepôts semblent être exclus. La jurisprudence devra néanmoins se prononcer sur le point de savoir si les locaux à usage de bureaux sont considérés comme des locaux commerciaux.
Les dispositions relatives à l’état des lieux et aux charges locatives
Poursuivant l’objectif de clarification des relations entre preneurs et bailleurs, la loi rend l’état des lieux obligatoire lors de la prise de possession des locaux, ce qui n’était qu’une faculté jusqu’à présent. Cette mesure attend néanmoins un décret d’application pour entrer en vigueur.
Mais c’est sans doute sur la question des charges que la loi aurait mérité davantage de précision. La répartition entre les parties du coût des charges, impôts, taxes et travaux ne relève plus de la liberté contractuelle mais est désormais encadrée par le nouvel article L.145-40-2, dans un souci de transparence et de bonne information du locataire. « Tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ».
Concrètement, ces dispositions imposent au bailleur d’évaluer les charges et impôts dus par le locataire, pour davantage de transparence. De plus, « en cours de bail, le bailleur est tenu d’informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires ».
Mais la loi manque de précision à l’heure actuelle ; un décret doit intervenir pour préciser les charges, les impôts, taxes et redevances qui, en raison de leur nature, ne peuvent être imputés au locataire.
Pour finir, une dernière critique peut être portée sur l’application de la loi « Pinel » dans le temps. Elle n’est, en effet, pas uniforme. Si certaines règles sont applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, l’application d’un certain nombre d’autres règles n’a pas été prévue. Il faut donc se référer aux principes généraux du droit transitoire, ce qui n’a pas manqué, là encore, de soulever certaines réactions.
Clémence Moulonguet
Pour aller plus loin :
– Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, publiée au Journal Officiel du 19 juin 2014.
– Jehan-Denis Barbier, la Gazette du Palais, 8-9 aout 2014, n°220 à 221.