Promulguée le 7 août 2015 et publiée au Journal officiel le lendemain, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, constitue le troisième et dernier volet de la réforme territoriale engagée par le gouvernement.
La poursuite d’une réforme déjà amorcée
Pour rappel, la première étape de la réforme résidait dans la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, du 27 janvier 2014. Cette dernière avait déjà pour but de clarifier et simplifier l’organisation territoriale française. Pour ce faire, cette loi a opéré une distribution nécessaire de chaque compétence à des collectivités territoriales précises afin de simplifier la confusion constatée auparavant entre les différents échelons.
Pour entériner cette simplification, différentes mesures ont été adoptées. On a ainsi pu recenser le rétablissement de la clause générale de compétence pour les départements et les régions, mais aussi la création d’un nouvel organe de concertation dans chaque région, à savoir la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) présidée par le président du conseil régional, ou encore le renforcement du statut de métropole initialement créé par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, avec en outre la création du Grand Paris.
Le second échelon de la réforme concerne la nouvelle carte des régions administratives françaises, diminuant leur nombre de 22 à 13, principe jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 janvier 2015[1]. La loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales, et modifiant le calendrier électoral, a été complétée au cours de l’été par la désignation des futures capitales régionales lors du dernier conseil des ministres avant les vacances estivales. Il faut mentionner cependant que le choix définitif appartient aux conseils régionaux, ce qui explique que la date indiquée pour la finalisation de la réforme, le 1er octobre 2016, soit assez tardive.
L’Acte III de la décentralisation
La loi NOTRe apparaît alors comme l’étape finale de cette réforme. Initialement déposé le 18 juin 2014, le projet de loi NOTRe a connu un grand nombre de rebondissements. Après deux lectures infructueuses par l’Assemblée nationale et le Sénat qui étaient en désaccord, chaque chambre modifiant tour à tour ce que l’autre avait mis en œuvre, une commission mixte paritaire a été mise en place. À la plus grande surprise des observateurs juridiques, un accord a été trouvé entre députés et sénateurs. Si on ne peut qu’applaudir cette réussite et les avancées majeures obtenues par la loi, il faut rappeler que cela a quand même été fait au prix de compromis qui vident parfois certains éléments de la réforme de leur substance.
Le Haut Conseil des territoires finalement supprimé
Instance nationale proposée par François Hollande lors de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2012, le Haut Conseil des territoires avait pour but de concourir à un meilleur dialogue entre l’État et les collectivités territoriales. Initialement présente dans le projet de loi NOTRe, les sénateurs se sont très vite opposés à cette disposition, la considérant comme une concurrence totalement injustifiée à l’égard de leur propre compétence en tant que chambre du Parlement représentante des collectivités territoriales.
En raison de cette âpre résistance, le texte issu de la commission mixte paritaire n’a pas repris cette disposition, laissant les plus déçus affirmer que l’amélioration de la structure territoriale française ne passe malheureusement pas au-dessus des considérations politiciennes.
Un nouveau rebondissement pour la clause générale de compétence
La loi NOTRe revient une nouvelle fois sur une mesure qui fait définitivement débat dans le paysage territorial français : la clause générale de compétence. Alors que la loi MAPTAM l’avait à nouveau introduite pour les départements et les régions, la loi NOTRe l’a à l’inverse supprimée pour ces deux entités qui, par conséquent, ne seront plus compétentes que dans les domaines expressément prévus par le législateur. Cependant, cet apport législatif reste nuancé par la jurisprudence actuelle du Conseil d’État. En effet, dans un arrêt du 29 juin 2001[2], Commune de Mons-en-Barœul, la Haute Juridiction administrative affirme qu’une commune peut légalement décider elle-même de créer des aides à l’insertion sociale, sous réserve du respect de plusieurs conditions, tant positives – intérêt public et communal de l’action – que négatives – l’action ne doit être rattachée ni à la compétence d’une autre personne publique ni à la compétence du maire -.
La confirmation du rôle stratégique des régions
En matière territoriale, la région apparaît désormais comme l’entité territoriale de premier plan dans de nombreux domaines. Cette situation se traduit premièrement par la création de nombreux schémas régionaux destinés à préciser et encadrer la pratique locale.
L’exemple le plus flagrant est sans nul doute la compétence renforcée de l’organe régional en matière de développement économique, d’où la mise en œuvre d’un schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII). Pour une durée de cinq ans, il contient les orientations stratégiques en matière d’aides aux entreprises et à l’investissement immobilier, la stratégie régionale de soutien aux petites et moyennes entreprises ainsi qu’aux entreprises de taille intermédiaire, un plan régional pour l’internationalisation des entreprises intégrant des objectifs de développement à l’export, une stratégie régionale d’innovation, un volet transfrontalier, des dispositions concernant l’égalité hommes-femmes, ainsi que tout autre élément relatif au développement économique de la région.
Mais les régions seront aussi responsables d’intérêts autres qu’économiques, ce que l’on retrouve notamment dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), ou encore dans le plan régional de prévention et de gestion des déchets, et enfin dans le schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
En outre, bien qu’elles puissent choisir de la déléguer aux départements notamment pour des raisons de proximité, les régions conservent la gestion des transports interurbains et scolaires, compétence qui a longtemps oscillé entre le giron départemental et le giron régional au cours de cette réforme.
Les départements maintenus dans certaines de leurs compétences
Alors que le projet de réforme initial prévoyait la suppression pure et simple des départements, le gouvernement s’est rapidement ravisé sous la pression populaire et politique. Seule modification, au 1er janvier 2018, la région de Corse et les deux départements la composant fusionneront pour former une entité territoriale unique.
Cependant, alors qu’on aurait pu penser que ce maintien des départements dans la structure territoriale française irait de pair avec un amoindrissement de leurs compétences, les sénateurs, qui sont pour certains, présidents d’un conseil départemental, ont fait de la résistance. Un tel mouvement contestataire s’est avéré efficace puisque les départements conservent finalement la gestion des routes et des collèges, la mise en œuvre d’un schéma d’accessibilité des services au public, et seront également compétents en matière de solidarité et d’action sociale.
Le renforcement des intercommunalités
Un des apports les plus remarqués de la loi NOTRe consiste en l’établissement d’une taille minimale pour les intercommunalités. En effet, leur création ne pourra intervenir qu’à partir du seuil de 15 000 habitants. Auparavant fixé à 5 000, le seuil de l’intercommunalité avait été relevé à 20 000 habitants dans le projet de loi initial, le gouvernement voulant créer de puissantes intercommunalités. Mais comme beaucoup d’autres, cette disposition a suscité un désaccord, et a donc dû faire l’objet d’un compromis entre les occupants du palais Bourbon et ceux du palais du Luxembourg, ce qui a abouti en commission mixte paritaire au nombre minimal de 15 000 habitants.
Toutefois, plusieurs dérogations ont été votées, les plus importantes étant le maintien des intercommunalités de 12 000 habitants créées récemment, et la possibilité de créer des intercommunalités dès 5 000 habitants dans les zones de montagne, et ce afin de faciliter la gestion et l’aménagement des stations hivernales touristiques.
L’ancrage des métropoles dans l’architecture territoriale française
Rappelons, tout d’abord, que les métropoles exercent de plein droit, en lieu et place des communes membres, toute une série de compétences dans des domaines aussi variés que l’économie, le social, la gestion des aires d’accueil des gens du voyage, la culture, l’aménagement de l’espace, l’habitat, la promotion touristique, la politique de la ville, les services d’intérêt collectif, le traitement des déchets, ou encore l’environnement. Concernant l’eau et l’assainissement, le transfert de ces compétences aux intercommunalités a été repoussé au 1er janvier 2020.
Or la loi NOTRe confirme l’importance des métropoles créées par la loi MAPTAM. Il faut rappeler que certaines disposent cependant de statuts bien particuliers, telles que la métropole de Lyon ou d’Aix-Marseille, ou encore la métropole du Grand Paris dont l’architecture est très détaillée dans ce texte de loi. Sous le statut d’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre et à statut particulier, sa création reste prévue pour le 1er janvier 2016, même si son fonctionnement, pour une grande partie, ne sera effectif qu’au 1er janvier 2017.
En outre, saisi le 22 juillet 2015 par plus de soixante députés et de soixante sénateurs, le Conseil constitutionnel n’a censuré la loi NOTRe qu’à titre marginal[3], à savoir son en son article 59. Ce dernier concerne la métropole du Grand Paris, et plus précisément l’amendement dit anti-NKM. Il était en effet prévu que ce soit chaque conseil d’arrondissement qui élise les représentants de Paris à la métropole, et non le Conseil de Paris, ce qui aurait de facto exclut Nathalie Kosciusko-Morizet de toute possibilité d’élection. Les Sages ont donc rejeté cette orientation plus politicienne que juridique que certains voulaient donner à la loi NOTRe.
En somme, la réforme territoriale conclue par la loi NOTRe ne semble pas être à la hauteur de ses ambitions initiales, et ce en raison des nombreux compromis politiques effectués au prix de l’efficacité juridique. Dès lors, il semble que le désormais célèbre mille-feuille territorial français n’ait pas pu être correctement simplifié. Par conséquent, une clarification future sera sans doute nécessaire, incluant la participation de tous les acteurs de la structure territoriale française puisque, comme l’a dit le célèbre écrivain britannique Samuel Johnson, « ce n’est pas la force, mais la persévérance, qui fait les grandes œuvres. »
Alix Boulot
Pour en savoir + :
Dossier complet du gouvernement : Site gouvernement.fr è Rubrique Actions è Dossier « Réforme Territoriale »
Dossier complet des « Echos » : Site lesechos.fr è Rubrique Politique et Société è Dossier « Réforme Territoriale »
Dossier et articles de la « Gazette des communes » : Site lagazettedescommunes.com è Rubrique Thèmes è Dossier et articles « Réforme territoriale »
[1] Décision n° 2014-709 DC du 15 janvier 2015
[2] Conseil d’Etat, 9 / 10 SSR, du 29 juin 2001, 193716, publié au recueil Lebon
[3] Décision n° 2015-717 DC du 06 août 2015