La loi applicable au contrat en l’absence de choix de loi dans la convention de Rome et le règlement Rome I
La question que tout étudiant se pose en s’attaquant à un cours de droit international privé est celle de savoir pourquoi deux instruments, l’un conventionnel et l’autre règlementaire, traitent du même sujet. La réponse est simple et se trouve dans la question : en effet, la convention de Rome, adoptée le 19 juin 1980, est un instrument conventionnel. Afin de le « transposer » dans les relations communautaires, il a fallu adapter et réajuster la convention en s’en inspirant grandement.
Le problème de l’absence de choix de loi applicable au contrat n’a pas échappé à cette mise en conformité, et même si les deux textes mettent en place un système d’inspiration objective similaire permettant de localiser le contrat (le juge ne doit en effet pas rechercher la volonté hypothétique des parties, mais doit utiliser les critères avancés par les textes qui lui permettent de localiser le contrat et donc la loi applicable), leurs méthodes peuvent être différenciées.
Dans quelle mesure ces deux instruments, l’un conventionnel, l’autre réglementaire, se différencient-ils?
Le règlement Rome I opère une modification indéniable du raisonnement conventionnel (I), mais il semble que cette modification soit plus apparente que réelle (II).
I. Modification du raisonnement conventionnel indéniable
Cette modification de raisonnement était souhaitée (A) et a donc été consacrée par l’adoption du règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles le 17 juin 2008 (B).
Dans la convention de Rome, tout repose sur l’article 4§1 qui impose de recourir avant tout au critère des liens les plus étroits (« Dans la mesure où la loi applicable au contrat n’a pas été choisie conformément aux dispositions de l’article 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits[…] »). Pour préciser ce critère, le § 2, 3 et 4 contiennent des présomptions de liens plus étroits (§2 présume des liens plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ; §3 présume, pour le contrat portant sur un droit réel immobilier ou un droit d’utilisation d’un immeuble, des liens plus étroits avec le pays de situation de l’immeuble ; le §4 présume, pour le contrat de transport de marchandises, des liens plus étroits avec le pays de l’établissement principal du transporteur si c’est aussi celui du chargement/déchargement ou de l’établissement principal de l’expéditeur). Pour garantir l’application de la loi du pays le plus étroitement lié au contrat, le §5 contient une clause d’exception permettant d’écarter les présomptions « lorsqu’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ».
Or, cette méthode conventionnelle pose certains problèmes. En effet, elle implique de reconnaître « au juge une certaine marge d’appréciation quant à la présence, dans chaque cas d’espèce, de l’ensemble des circonstances qui justifient la non-application des présomptions » (Rapport Giuliano-Lagarde [1980] JO C282/1) d’où une certaine incertitude/insécurité juridique, et laisse donc aux cours des différents Etats contractants et aux commentateurs la possibilité d’interpréter différemment la force de ces présomptions. Ainsi, dans un arrêt Crédit Lyonnais v. New Hampshire Insurance Company [1997] de la Court of Appeal, Lord Hobhouse affirme que « la présomption est inopérante si la cour considère qu’elle n’est pas appropriée dans les circonstances présentées ». Selon lui, la force des présomptions est donc faible. Dans un arrêt français Danzas et Westra c. Tapiola (Com. 19 décembre 2006), la cour de cassation préconise une comparaison des liens existants entre le contrat et, d’une part le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ET, d’autre part l’autre pays en cause, et rechercher avec lequel il présente les liens les plus étroits. Cette solution française ne consacre ni une position trop restrictive de la clause d’exception, ni une position égalitaire entre les présomptions et la clause d’exception, mais une voie moyenne. La méthode conventionnelle est donc très incertaine.
C’est dans cette perspective que la proposition de règlement, publiée le 15 décembre 2005, par souci de sécurité juridique et de prévisibilité, voulait remplacer la souplesse de la convention par un système rigide et inflexible. Son article 4§1 prévoyait 8 rattachements spéciaux. Au cas où le contrat n’entrait dans aucune catégorie, la proposition prévoyait dans son §2 le recours au critère de la prestation caractéristique. Enfin, et seulement si la prestation caractéristique ne pouvait être déterminée, la proposition renvoyait au critère des liens les plus étroits. La clause échappatoire était supprimée.
Le problème posé par cette proposition résidait dans le fait qu’aucune marge de manœuvre permettant une approche visant à la justice du cas individuel n’était permise, cela étant d’autant plus surprenant que le considérant n°8 de la proposition insistait sur le fait que « le juge [devait] disposer d’une marge d’appréciation afin de déterminer, dans des hypothèses limitées, la loi qui présente les liens les plus étroits avec la situation ».
Le Règlement Rome I n’est pas tombé dans cet excès.
Rome I privilégie des critères de rattachement rigides et autonomes. L’article 4§1 consacre en effet 8 rattachements rigides (« hard and fast rule » en anglais), qui constituent la principale innovation du règlement. Certains rattachements nouveaux sont sans surprises (le contrat de vente de bien est régi par la loi du pays de la résidence habituelle du vendeur ; le contrat de prestation de service par celle du pays où le prestataire de service a sa résidence habituelle).
Certains rattachements sont repris de la convention. Ainsi, le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d’immeuble reste régi par la loi du pays dans lequel est situé l’immeuble, avec une sensible différence car la convention parlait de droit réel immobilier ou de droit d’utilisation d’un immeuble. Le règlement est plus restrictif. Le contrat de transport conserve le rattachement conventionnel, même si ce rattachement n’est plus dans cet article, mais repris dans l’article 5 du règlement.
Certains rattachements innovent vraiment. Il en est ainsi pour le bail d’immeuble temporaire pour un usage personnel et pour une durée maximale de 6 mois qui est régi par la loi du pays dans lequel le propriétaire a sa résidence habituelle, à condition que le locataire soit une personne physique et qu’il ait sa résidence habituelle dans ce même pays (reprise du critère de compétence contenu dans l’article 22§1 règlement Bruxelles I). Pour le contrat de franchise et de distribution, ils sont régis par la loi de la résidence du franchisé ou du distributeur (contrairement à la jurisprudence française en la matière, Optelec, com 15 mai 2001, mais conforme à la jurisprudence des Pays-Bas, arrêt Elinga BV v. British Wool International 1998 par exemple). Le contrat de vente de biens aux enchères est régi par la loi du pays où la vente a eu lieu (règle spécial comparé à la règle applicable aux contrats de vente).Et enfin, le contrat conclu au sein d’un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers au sens de la directive Marchés et Instruments financiers de 2004 est régi par la loi de ce système.
D’autres rattachements, voulus par la proposition, n’ont pas été consacrés. C’est en effet le cas des contrats portant sur la propriété intellectuelle ou industrielle avec un rattachement à la loi de l’Etat de résidence du cédant. Ce rattachement était trop critiqué et entrait en conflit avec le contrat de franchise.
L’article 4§2 de Rome I consacre un autre rattachement, autonome, faisant appel au critère de la prestation caractéristique : lorsque le contrat n’entre pas dans un des rattachements du §1 ou entre dans plusieurs d’entre eux, le contrat est régi par la loi du pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence. Si le contrat consiste en plusieurs droits et obligations qui peuvent être rattachées à plusieurs catégories de contrat, le considérant 19 du règlement conseille de déterminer la prestation caractéristique par rapport au centre de gravité du contrat.
Cette nouvelle approche règlementaire montre que contrairement à la convention de Rome, aucune règle de conflit ne constitue le point de départ de toute analyse de la loi applicable (dans la convention de Rome, tout tournait autour du critère des liens les plus étroits). Le critère de rattachement de la prestation caractéristique n’est donc plus une présomption de lien étroit.
Mais ce qu’il faut surtout retenir de cette méthode règlementaire, c’est le recul du principe de proximité. En effet, c’est seulement si aucune des règles exposées ci-dessus ne permettent de désigner la loi applicable que le §4 permet un retour à la règle de proximité (ça n’est pas la règle de rattachement de principe, contrairement à la convention). De plus, le §3 prévoit une clause d’exception qui semble plus restrictive que celle de l’article 4§5 de la convention car il faut désormais prendre en compte l’ensemble des circonstances de la cause (et non plus l’ensemble des circonstances tout court) et car le contrat doit présenter des liens manifestement plus étroits avec un autre pays. Le test de la clause d’exception est donc plus restrictif et cette clause devient véritablement exceptionnelle, son rôle ayant aussi changé car elle ne sert plus à renverser des présomptions, mais permet de se dégager des règles rigides de rattachement et de faire intervenir le principe de proximité.
En réalité, ces modifications de raisonnement ne sont elles pas plus apparentes que réelles ?
C’est une question que l’on peut se poser, puisque l’influence conventionnelle n’est pas négligeable (A) et que la modification méthodologique semble avoir une portée pratique peu importante (B).
Le règlement Rome I procède à un large emploi des concepts conventionnels. Il reprend en effet le critère de la prestation caractéristique, celui des liens les plus étroits (§4) même s’il n’est que subsidiaire, le concept de la clause échappatoire même si elle semble plus restrictive, mais aussi certains rattachements particuliers (contrat portant sur un droit réel immobilier ou sur un bail d’immeuble ou contrat de transport à l’article 5).
Le règlement reprend par ailleurs la flexibilité des règles de rattachement puisque, malgré l’adoption de règles de conflit de lois rigides, en faveur de la sécurité juridique, cette sécurité est à tempérer vu la possibilité de recourir subsidiairement au critère des liens les plus étroits (§4) ou à la clause d’exception (§3). Une certaine marge de manœuvre est ainsi reconnue aux juges, et les mêmes soucis que sous l’empire de la convention se posent (même si les conditions de mise en œuvre de la proximité sont plus strictes).
La modification théorique est indéniable. Avec le règlement, il n’y a plus de règle de conflit générale soutenue par des présomptions, mais plusieurs critères de rattachement (8 critères du §1, critère de la prestation caractéristique, lien plus étroit) qui ont le même rang. Le recours à l’un ou à l’autre dépend de motifs matériels, à savoir si le contrat entre dans le champ matériel d’un critère plutôt que d’un autre.
Mais le changement pratique est limité. Statistiquement, le critère de la prestation caractéristique reste le critère le plus utilisé, tout comme c’était le cas sous le régime conventionnel. Concernant la clause d’exception, l’exigence de lien manifestement plus étroit ne change que peu de choses en pratique, car dans la jurisprudence récente mettant en œuvre la convention, la clause d’exception était aussi interprétée strictement, si bien que l’article 4§3 du règlement aurait aussi été applicable (voir ainsi arrêt Cour d’appel anglaise, Ennstone Building Products v. Stanger de 2002, où la juridiction exige des preuves claires et précises de liens plus étroits avec un autre pays pour mettre en œuvre la clause d’exception de la convention).
Conclusion
Sur la question de l’absence de choix de loi applicable au contrat, le règlement Rome I opère donc davantage un changement d’agencement des concepts conventionnels ce qui semble tout à fait opportun, afin de préserver un certain équilibre entre sécurité juridique et adaptation aux circonstances de la cause. Dans d’autres domaines, le règlement innove véritablement. Il faudra s’y pencher dans de futurs articles.
Martin Binder
M 2 Droit du Commerce International (Sorbonne)
Pour aller plus loin
Monographies
PLENDER (R.) & WILDERSPIN (M.), The European private international law of obligations, Sweet & Maxwell, 3e éd., 2009, 1053 p.
Articles de doctrine
LAGARDE (P.), « Mise en œuvre de la clause d’exception de l’article 4 de la convention de Rome », RCDIP, 2007, p. 592
LAGARDE (P.) & TENENBAUM (A.), « De la convention de Rome au règlement Rome I », RCDIP, 2008, p.727
FERRARI (Fr.), « Quelques remarques sur le droit applicable aux obligations contractuelles en l’absence de choix des parties », RCDIP, 2009, p. 459
COUSSIEU (D.), « La clause d’exception de l’article 4 de la convention de Rome », mémoire de DEA Droit international Privé Assas sous la direction de M. Y. Lequette, septembre 2000. |