Dans un arrêt en date du 18 décembre 2014[1], la Cour de Justice rappelle que la libre circulation des personnes est de droit pour tous les citoyens des Etats Membres de l’Union Européenne, mais également pour les membres de leur famille, même ressortissants d’Etats-tiers, détenant un titre de séjour valable dans l’un des 28 Etats de l’Union.
Une ressortissante colombienne souhaite déménager et vivre avec son époux britannique au Royaume-Uni. Celle-ci possède une « carte de séjour de membres de la famille d’un citoyen de l’Union » délivrée par l’Espagne. La législation britannique impose aux détenteurs d’une telle carte de séjour d’obtenir un visa supplémentaire pour voyager au Royaume-Uni. La Cour de Justice a jugé dans l’arrêt du 18 décembre 2014, que l’obligation d’obtenir un tel visa est contraire à la liberté de circulation des personnes et de leur famille au sein de l’Union Européenne.
Une liberté indissociable du statut de citoyen de l’Union Européenne
Cette liberté de circulation des personnes est garantie par l’article 20 du TFUE[2] et par la Directive 2004/38 pour les ressortissants des Etats Membres de l’UE, mais également pour les membres de leur famille qui résident avec un titre de séjour valable sur le territoire de l’Union.
Vingt-deux Etats Membres de l’Union européenne ont fait le choix de faciliter la circulation des personnes grâce à la coopération Schengen depuis 1985. Ce dispositif a mis fin aux contrôles des titres d’identité et de séjour aux frontières entre les Etats parties, mais n’a pas d’effet sur les obligations de respect de la libre circulation des personnes des 28 Etats Membres de l’Union.
La Cour de Justice a une interprétation très extensive de la liberté de circulation des personnes. Pour comprendre cette vision, il faut se rappeler que la liberté de circulation des personnes a pour origine la citoyenneté de l’Union. Tout citoyen d’un Etat Membre est également citoyen de l’Union. Selon la Cour de Justice, « le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres »[3]. Le statut de citoyen de l’UE ne remplace pas celui de citoyen d’un Etat Membre, mais tous les Etats doivent respecter ce statut et les droits qui y sont attachés. La Cour s’attache donc à garantir que les citoyens de l’Union ne souffrent pas de discriminations sur la nationalité. Mais la Cour va plus loin en garantissant que les législations nationales ne créent non seulement pas de discrimination directe, mais également pas de discrimination qui aurait dans les faits, les mêmes effets qu’une discrimination fondée sur la nationalité. Sont particulièrement concernées les éventuelles discriminations visant les membres de la famille du citoyen de l’Union qui ne seraient pas ressortissant de l’Union. Le droit d’avoir une vie familiale normale est une liberté fondamentale garantie par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne[4] et permettre aux Etats Membres de restreindre l’accès à leur territoire aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union disposant d’un titre de séjour valable reviendrait à restreindre l’accès à leur territoire au citoyen de l’Union.
L’arrêt du 18 décembre 2014 se place donc dans la continuité de la jurisprudence mise en place par la Cour depuis le début des années 2000[5].
Une nécessaire limitation de la liberté de circulation des personnes
L’interdiction des restrictions à la libre circulation des personnes souffre cependant de deux exceptions significatives.
La première, posée par la Directive 2004/38 et rappelée dans un arrêt de 2011[6], est que les droits liés à la citoyenne de l’Union ne sont invocables que lorsque le citoyen de l’Union qui s’en prévaut à réellement exercer sa liberté de circulation. Dans l’arrêt de 2014, le couple vit en Espagne, ainsi le citoyen britannique a exercé sa liberté de circulation en résidant dans un autre Etat Membre que celui dont il est originaire.
La seconde exception est que les Etats peuvent restreindre la libre circulation des personnes pour des motifs limitativement admis par la Cour de Justice. On retrouve principalement deux restrictions à cette liberté : liées à des raisons budgétaires et à des raisons relatives à la sécurité et au respect de l’ordre public.
Un Etats Membre peut reconduire un citoyen de l’Union ou un ressortissant d’un Etat tiers disposant d’un titre de séjour valide après 3 mois de résidence sur son territoire au motif que ce dernier ne justifie pas d’un travail ou de ressources suffisantes pour vivre. La Cour est là encore vigilante face aux éventuels abus d’interprétation des Etats membres dans le calcul des ressources suffisantes pour vivre. Dans un contexte de difficultés budgétaires, les Etats ont tendance à considérer que toutes les aides et allocations sociales, telles que les bourses étudiantes, les pensions d’invalidité ou encore les retraites, ne peuvent pas être prises en compte comme ressources suffisantes pour vivre et limitent par conséquent la libre circulation de ces catégories de personnes. La Cour considère que doivent être prises en compte dans les ressources les éventuelles ressources provenant de la famille, mais également les aides sociales dès lors que celles-ci ne font pas peser un risque sur les finances de l’Etat[7].
Le deuxième motif admis est celui relatif à la sécurité de l’Etat et à la garantie du respect de l’ordre public. Un Etat Membre peut restreindre la liberté circulation d’un citoyen de l’Union dès lors que celui-ci menace l’ordre public de l’Etat en question. La Cour exerce un contrôle de la réalité de la menace, n’hésitant pas à en écarter certains comportements, telle une condamnation pour non remboursement d’une dette privée[8]. En outre, un ressortissant d’un autre Etat Membre qui réside 10 ans sur le territoire d’un Etat ne peut plus faire l’objet de restriction à la libre circulation qu’en cas de « raisons impérieuses » de sécurité nationale, satisfaites dans le cas de crimes et délits particulièrement graves, tels que la délinquance organisée, le terrorisme, le blanchiment de fonds, le trafic d’armes ou de stupéfiants[9]. Dans tous les cas, la Cour vérifie que l’individu présente bien une menace actuelle à l’ordre public, si bien qu’une ancienne condamnation ne suffit pas systématiquement à justifier une restriction à la libre circulation des personnes.
Une approche équilibrée de la Cour de Justice
La Cour de Justice donne ainsi une substance au statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont liés, fidèle à l’esprit des textes de l’Union et au principe de primauté du droit de l’UE. La Cour démontre également, par sa jurisprudence relative à la liberté de circulation des personnes, sa capacité à opérer une interprétation souple des principes du droit de l’Union en respectant la marge d’appréciation des Etats Membres afin de tenir compte des impératifs économiques et de sécurité de ces Etats.
Pour en savoir plus :
– Communiqué de presse CJUE n°182/14 aff C-202/13 « McCarthy » du 18 décembre 2014
– Site de la Commission Européenne, Direction Générale Emploi, affaires sociales et inclusion, « Droit de Séjour »
– Site de la Commission Européenne, Direction Générale Emploi, affaires sociales et inclusion, « La libre circulation des ressortissants de l’UE »
Nathan BLATZ
Pour aller plus loin :
[1] CJUE, 18 décembre 2014, McCarthy et autres / Secretary of State for the Home Department, aff C-202/13
[2] Article 20 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TUE), dénomination en vigueur depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009
[3] CJUE, 8 mars 2011, Zambrano / Office national de l’emploi, aff C-34/09
[4] Article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne entrée en vigueur le 1er décembre 2009
[5] Voir notamment CJCE 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff C-184/99, sur l’égalité de traitement des citoyens de l’Union
[6] CJUE, 5 mai 2011, McCarthy, aff C-434/09
[7] CJUE, 14 juin 2012, Commission c/ Pays-Bas, aff C-542/09
[8] CJUE, 4 octobre 2012, Byankov, aff 249/11
[9] CJUE, 22 mai 2012, P.I., aff C-348/09