Avis consultatif de la CIJ du 22 juillet 2010 sur la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo: un précédent pour les entités sécessionnistes?
A la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies au moyen de la résolution 63/3 du 8 octobre 2008, la Cour Internationale de Justice a émis un avis consultatif sur la question suivante: la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit international? La majorité des deux tiers a répondu par l’affirmative à la question posée, tout en ne se prononçant pas sur les effets juridiques de la déclaration, c’est à dire sur le sujet épineux de l’existence légale de l’Etat du Kosovo même. Une telle subtilité juridique ne peut être comprise sans un exposé des enjeux politiques et juridiques qui ont trait à l’affaire en question.
I. La légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance ne repose pas sur les spécificités factuelles du Kosovo
Il convient de rappeler à titre d’information les éléments essentiels ayant conduit à la déclaration unilatérale d’indépendance. A cet effet, la Cour rappelle que suite aux conflits armés opposant les forces de libération Kosovardes (UCK) aux autorités serbes, le Conseil de sécurité a adopté en 1999 sa résolution 1244 suspendant la souveraineté de la Serbie au Kosovo et a instauré une administration provisoire. En 2005 fût désigné un envoyé spécial de l’ONU censé faciliter les négociations entre les représentants élus du peuple kosovar et la Serbie, mais sans succès, ce qui le conduit à conclure que la seule solution viable était l’indépendance du Kosovo. Le 17 février 2008, les membres de l’Assemblée du Kosovo adoptèrent une déclaration unilatérale d’indépendance.
Cependant, le contexte factuel du Kosovo est d’une complexité telle qu’il est extrêmement délicat pour la Cour Internationale de Justice de se prononcer sur la légalité de l’existence même de l’Etat du Kosovo, au vu des revendications de l’Etat serbe sur ce territoire qu’elle considère comme étant le berceau de sa civilisation. Ce qui explique que la Cour considère les faits propres à l’affaire du Kosovo comme n’étant pas liés à la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance, précisant au contraire que celle-ci découle entièrement du droit international.
II. La question de l’auto-détermination dissociée de la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance
Dès lors, le refus de prendre en compte les spécificités factuelles du Kosovo ainsi que le droit constitutionnel serbe signifie-il pour autant que la Cour reconnaisse que le droit international confère en général à des entités situées à l’intérieur d’un Etat préexistant le droit de s’en séparer unilatéralement?
Dans le paragraphe 56 de l’avis, la Cour estime qu’elle n’est pas tenue de prendre parti sur la portée du droit à l’auto-détermination, en considérant “qu’il est possible que la déclaration unilatérale d’indépendance ne soit pas en violation du droit international sans pour autant constituer nécessairement l’exercice d’un droit conféré par ce dernier.” En d’autres termes, la Cour établit une distinction entre l’absence d’interdiction d’une déclaration unilatérale d’indépendance et l’existence d’un droit positif des peuples à y recourir.
Constatant l’existence d’une pratique des Etats n’indiquant pas que la déclaration d’indépendance n’ait jamais été considérée comme une violation du droit international, la Cour Internationale de Justice décide toutefois de ne pas faire découler la légalité de la déclaration d’indépendance du droit des peuples à disposer d’eux-même. Transparaît ici la crainte de voir la prise en compte du facteur d’occupation historique d’un territoire par une ethnie ouvrir la porte à tous types de revendications fondées sur ce même schéma, ce qui est contraire à la pratique internationale actuelle tendant à favoriser l’établissement des frontières de l’Etat nouvellement indépendant dans celles qui préexistaient à l’intérieur de l’ancien Etat.
III. Un précédent majeur pour les futures déclarations unilatérales d’indépendance prises en conformité avec le droit international
La Cour estime que la déclaration d’indépendance n’émanait pas des institutions provisoires d’administration autonome telles que mises en place par l’ONU, mais des représentants élus du peuple kosovar ce qui la rend conforme au droit international du fait que les institutions instituées par l’ONU n’avaient pas compétence pour prendre une telle déclaration d’indépendance. En effet, les termes de la déclaration indiquent que ses auteurs voulaient faire du Kosovo un “Etat souverain et indépendant”. Dès lors, elle dépassait le cadre fixé par les institutions provisoires d’administration autonome tels qu’établis par la résolution 1244.
Il s’agit ici d’un précédent non négligeable pour les entités sécessionnistes, car le jugement de la Cour semble affirmer implicitement qu’à partir du moment où une Assemblée démocratiquement constituée dans un territoire donné venait à adopter une déclaration unilatérale d’indépendance, elle dépasserait ainsi le cadre constitutionnel fixé par l’Etat duquel elle souhaite se séparer, ce qui lui donnerait la légitimité nécessaire à émettre une telle déclaration. En effet, le jugement portant sur le Kosovo ne prend appui ni sur l’histoire du Kosovo, ni sur la nécessité que soit instaurée au préalable un cadre d’administration provisoire international. Ainsi, comme le souligne Maître André Binette dans son article sur le jugement de la CIJ sur le Kosovo , le jugement de la CIJ du 22 juillet 2010 sur le Kosovo “est un précédent majeur favorable à la légalité d’une future déclaration unilatérale d’indépendance du Québec”, allant jusqu’à préciser que “la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique du 4 juillet 1776, qui n’a jamais reposé sur sa conformité avec le droit britannique, est confirmée par ce jugement.”
Sans aller jusqu’à encourager les différents mouvements sécessionnistes, il semble que la Cour accepte la situation de fait au Kosovo, toute empêtrée qu’elle est dans un conflit ethnique et politique, et ce particulièrement si cette sécession obéit aux droit international et se fait démocratiquement.
Alexandra Chauvin
Licence de droit français-anglais à l’Université Paris X Nanterre
Pour aller plus loin
http://www.icj-cij.org/docket/files/141/15988.pdf
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