Notre Constitution reconnaît l’autorité supérieure des traités internationaux et notamment de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. C’est donc grâce à l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité que les avocats ont pu relancer le débat sur la garde à vue. A l’heure de la réforme de notre procédure pénale, le régime de la garde à vue serait-il inconstitutionnel ?
L’aspect litigieux de la garde à vue est la mise en œuvre du droit à l’avocat. Le droit en vigueur prévoit un entretien de 30 minutes avec un avocat dès la première heure de garde à vue, sauf pour les régimes dérogatoires concernant le terrorisme, la criminalité et délinquance organisée et les trafics de stupéfiants. Plusieurs points voient leur conformité à la CEDH contestée tels que la question de l’accès au dossier, actuellement interdit à l’avocat,le droit de ne pas s’auto-incriminer ou droit au silence, qui n’a plus à être notifié au gardé à vue (loi du 9 mars 2004), l’assistance de l’avocat aux interrogatoires, qui n’est pas autorisée, mais aussi le fait qu’une procédure peut parfois reposer sur les seules déclarations faites lors de la garde à vue, hors la présence d’un conseil.
On présume la violation de deux des principaux droits reconnus par la CEDH, à savoir les droits de la défense (article 6§3) et le droit à un procès équitable (article 6§1). S’agissant du non-droit à l’assistance de l’avocat au cours des interrogatoires, les requérants estiment qu’il viole les droits de la défense, entravant la mission de l’avocat, définie par la Cour de Strasbourg comme étant « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention ». Pourtant, en France, l’avocat n’a pas accès au dossier et ne peut donc efficacement préparer la défense de son client. En effet, ne pouvant l’assister à l’interrogatoire, il ne peut pas non plus discuter de l’affaire. La violation des droits de la défense par notre régime de garde à vue ne semble donc pas contestable. Ensuite, concernant le droit à un procès équitable, les requérants citent l’arrêt Salduz c/ France : « l’impossibilité de se faire assister par un avocat pendant les interrogatoires s’analyse, sauf exceptions, en une grave défaillance par rapport aux exigences du procès équitable ». La violation est donc expressément admise par la Cour Européenne des droits de l’Homme.
Quelles perspectives peut-on espérer ? Les juges européens ont donné dès 1999 (Selmouni c/ France) la ligne de conduite à tenir : « la cour estime en effet que le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques ». L’évolution du droit doit donc aller vers un accroissement de la protection de la liberté individuelle. Est-ce que l’avant projet de réforme de la procédure pénale suit cet impératif ? On peut estimer qu’il va dans ce sens puisqu’il élargit le droit à l’avocat (entretien à la 12ème heure puis à la prolongation, accès aux PV d’audition, présence du conseil aux interrogatoires) sans encore aller jusqu’au bout des choses. Enfin, la France demeure en totale contradiction avec la Cour de Strasbourg en ce qui concerne les régimes dérogatoires. En effet, notre législation restreint les droits à mesure que la gravité des infractions augmente alors que selon la Cour européenne « c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible ». La France est donc en progression mais peut mieux faire.
Hélène THIEULART
Pour en savoir plus |
CEDH, Salduz c/ Turquie, 27 novembre 2008
CEDH, Pishchalnikov c/ Russie, 24 septembre 2009
CEDH, Dayanan c/ Turquie, 13 octobre 2009
CEDH, Kolesnik c/ Ukraine, 19 novembre 2009
Revue Droit Pénal, n°3 – mars 2010 |