Violences policières, évolution des modes de contestation… Le maintien de l’ordre à la française fait face à une profonde remise en question.
La principale complexité du maintien de l’ordre est la conciliation de la liberté de manifester et le respect de l’ordre public. Le Conseil constitutionnel a considéré la liberté de manifester comme un principe à valeur constitutionnelle reposant sur la liberté d’aller et de venir ainsi que sur la liberté d’expression1. Par ailleurs, il précise les restrictions à cette liberté qui doivent répondre à des motifs de « prévention des atteintes à l’ordre public ».
Ainsi, toute manifestation sur la voie publique est soumise à une obligation de déclaration préalable auprès de la mairie dans un délai de trois à quinze jours (art. L211-1 et L 211-2 CSI). En plus de la responsabilité de l’organisateur, cette déclaration est utilisée comme un outil de négociation et de dialogue entre les manifestants et les autorités. La possibilité pour l’autorité administrative d’interdire la manifestation est subordonnée aux seules situations où il est hautement prévisible que des troubles surviennent2. Les forces de l’ordre sont donc en charge d’une mission de police administrative sous le contrôle des autorités politiques.
Une doctrine stratégique homogène
La doctrine du maintien de l’ordre à la française repose sur trois piliers fondamentaux : l’usage collectif de forces spécialisées, le maintien à distance des manifestants à travers une posture dissuasive et l’usage de la force proportionné et gradué uniquement en dernière extrémité.
- Usage collectif de forces spécialisées : à la différence des unités de police judiciaire, les unités chargées du maintien de l’ordre sont spécialisées, et organisées sur un mode militaire. L’encadrement permet de dépersonnaliser la confrontation, de proportionner la riposte, et donc d’éviter de possibles excès.
- Maintien à distance dans une posture dissuasive : le but est d’éviter à tout prix le contact physique entre les forces de l’ordre et les manifestants qui peut engendrer confusion, violence et blessures.
- Usage de la force proportionné et gradué : l’usage de la force ne doit être réservé qu’à des situations exceptionnelles où la simple dissuasion n’a pas été suffisante. En toutes circonstances, il doit répondre aux exigences de gradation, nécessité et proportionnalité, conditions cumulatives à son emploi (art. R211-13 du CSI). La désescalade est donc fondamentale afin d’éviter que les troubles ne s’aggravent, chose qui aujourd’hui ne semble plus aller de soi.
Développer une dynamique pénale et judiciariser le maintien de l’ordre
Pendant longtemps, le maintien de l’ordre a reposé sur l’idée développée par Gustave Le Bon à la fin du XIXe siècle selon laquelle la foule est une entité homogène. Or aujourd’hui, des nouvelles formes de contestation apparaissent. Beaucoup plus horizontales et hétérogènes, elles ne s’inscrivent pas dans le processus de gestion négociée, contestant le plus souvent le système en place. Le seul point commun des participants serait donc de faire face aux forces de l’ordre, qui par leur action peuvent conduire à uniformiser les intérêts des individus composant la foule.
Par ailleurs, depuis plusieurs années, des individus « violents animés, peu ou prou, par la seule volonté de troubler l’ordre public, de commettre des exactions ou de se confronter aux forces de sécurité »3 apparaissent au sein des cortèges. Face à cette situation, la réponse politique a donc été de développer une dynamique pénale et de judiciariser le maintien de l’ordre. En plus de leurs fonctions habituelles, les unités en charge du maintien de l’ordre ont pour nouvelle mission d’interpeller les fauteurs de troubles. Interpellation oblige, le contact physique ne peut plus être évité. Bien souvent, cela conduit à désorganiser le dispositif, à créer un mouvement de panique chez les manifestants, voire un mouvement de protection, et surtout cela ne permet pas une désescalade.
Une évolution des conditions d’intervention
Face au besoin grandissant de forces de maintien de l’ordre sur le terrain (un gendarme comptabilise déjà en moyenne 220 jours par an de présence sur le terrain), de plus en plus d’unités non spécialisées sont appelées en renfort. Ne disposant pas du même équipement ni des mêmes techniques d’intervention, ces unités et leur fonction posent de nombreuses questions. Elles ont tendance, selon le Défenseur des droits, à une prise individuelle d’initiatives « susceptibles d’être à l’origine de tensions, d’incidents ou de blessures »4 quand le maintien de l’ordre repose sur une gestion collective.
De plus, à partir des années 2000, les forces de l’ordre ont été dotées d’un nouvel arsenal d’armes dites de force intermédiaire (AFI). Flash balls et le LBD (lanceur de balle de défense) ont fait l’objet de vives critiques, leur utilisation étant délicate et les blessures occasionnées graves. Les blessures graves sont causées par un usage excessif et individuel des lanceurs de défense par des agents méconnaissant le cadre d’emploi. Les syndicats policiers, eux, défendent l’usage du LBD à des fins de protection car il permet d’éviter d’aller au contact, de ne pas utiliser d’armes létales et de garantir ainsi une proportionnalité dans l’usage de la violence. Pour le Conseil d’État statuant en référé (CE, 1er février 2019), le LBD constitue « un élément du dispositif global de maintien de l’ordre dans ces circonstances particulières » qui ne constitue pas une atteinte à la liberté de manifester.
Ainsi, tout en garantissant la sécurité, le maintien de l’ordre doit pouvoir protéger un espace de liberté et de dialogue, fondamental en démocratie.
Matthieu Benoit-Cattin,
en M1 droit de l’entreprise,
à l’université Complutense de Madrid (Erasmus)
1 Conseil constitutionnel, décision du 18 janvier 1995 sur la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (n°94-352 DC).
2 En ce sens TA Paris, ordonnance du 24 janvier 2014, Association « La Manif pour Tous ».
3 Rapport sur l’état des lieux du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, Paris, Assemblée nationale, 2015.
4 Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie, Défenseur des droits, 2017.