Le site internet WikiLeaks a procédé en décembre dernier à la publication de câbles diplomatiques américains, provoquant ainsi l’indignation de la part de nombreux gouvernements, à l’instar du ministre italien des Affaires étrangères, Franco Ferrini, déclarant à cet effet qu’« il s’agit d’une violation de la loi, pouvant faire l’objet de poursuites pénales ». Aussi les documents diplomatiques français ne sont-ils pas à l’abri d’éventuels scandales WikiLeaks, et il pas inopportun de considérer l’hypothèse dans laquelle des poursuites pénales seraient intentées en France à l’encontre de WikiLeaks ou de son porte-parole, Julian Assange.
Les moyens du droit pénal français face aux atteintes portées au secret des documents diplomatiques.
Il convient de s’intéresser aux sanctions pénales encourues en France en cas d’atteinte aux intérêts supérieurs de la nation française, et à cet effet le livre quatrième du Code pénal traite des »crimes et délits contre la nation, l’état et la paix publique. » L’article 410-1 du Code pénal se livre à une liste des éléments caractérisant les intérêts fondamentaux de la nation, au terme duquel figurent »la sécurité », »les moyens de sa défense et de sa diplomatie », »la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger », »les éléments essentiels de son potentiel économique », autant d’éléments que WikiLeaks pourrait menacer à travers la divulgation des documents diplomatiques.
En ce qui concerne les sanctions encourues, les articles 411-6 et 411-7 du Code pénal répriment le fait de livrer ou de rendre accessible à une puissance étrangère de tels renseignements d’Etat, ainsi que le fait de recueillir ou de rassembler les informations portant atteinte aux intérêts de la nation en vue de les livrer à une puissance étrangère. Les peines varient de dix à quinze ans de prison. Cependant, selon Maître Bem, avocat spécialisé dans le droit des nouvelles technologies interrogé par Le Monde.fr, ‘‘La violation d’un secret en France par un étranger ou un autre Etat ne constitue pas en soi une infraction pénale » (en l’occurrence, Julian Assange est Australien).
Echec des tentatives visant à interdire l’hébergement du site internet WikiLeaks en France: le casse-tête légal posé par Internet.
Le 3 décembre dernier, le ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique Eric Besson a demandé dans une lettre adressée au Conseil général de l’Industrie, de l’Economie et des Technologies (CGIET) d’indiquer quelles pouvaient être les actions entreprises afin que le site internet WikiLeaks ne soit plus hébergé en France. En effet, le site est partiellement hébergé par le serveur français OVH depuis le 2 décembre 2010, hébergement que M. Besson accuse de porter atteinte aux relations diplomatiques.
Dans ce contexte, la société OVH a décidé de saisir elle-même la justice afin qu’elle se prononce sur la légalité du site WikiLeaks ainsi que sur la possibilité de continuer à héberger un tel site en France. Cette action est rendue possible depuis la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004. Cependant, les Présidents des tribunaux de grande instance de Paris et de Lille ont rejeté les requêtes formulées par la société OVH au motif que l’affaire nécessitait un débat plus approfondi, ce que ne permet pas la procédure sur requête.
Ces rejets autorisent implicitement l’hébergement de WikiLeaks en France, mais il ne s’agit que d’une victoire temporaire: elle ne tiendra qu’en l’absence d’une action en justice de la part d’une personne ayant un intérêt à agir.
Le danger de l’atteinte à la liberté de presse limite les marges de manoeuvres légales.
Si les chefs d’inculpation et les recours ne manquent pas à l’encontre de WikiLeaks, il est pourtant devenu clair que leur mise en oeuvre relève d’une très grande difficulté. Les problèmes ne s’arrêtent pas là: au cas où les procédures légales aboutiraient, la France serait-elle prête à assumer les conséquences de la censure d’un organe de presse, aussi flou et opaque soit-il?
Le droit français détient plusieurs moyens théoriques pour se retourner contre WikiLeaks, cependant rien n’est moins aisé que d’attaquer un organe de presse. Ainsi lorsque WikiLeaks met à la disposition de plusieurs journaux tels que Le Monde des câbles diplomatiques américains, il serait possible de considérer qu’il y a recel. Cependant, le fait d’engager des poursuites à l’encontre de ces journaux respectés constituerait une grave atteinte à la liberté de la presse, protégée par la loi sur la presse du 29 aout 1881, et dont le Conseil Constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle ainsi que le rôle primordial qu’elle occupe dans une démocratie.
La protection de la liberté d’expression assurée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, obstacle éventuel à la censure de WikiLeaks.
Certes l’article 10 de la Convention EDH s’attache à garantir la liberté d’expression, mais précise néanmoins que l’exercice de ce droit fondamental peut être soumis à certaines restrictions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles.
Un arrêt Colombani c. France du 25 juin 2002 semble se rapprocher du cas WikiLeaks, à défaut pour la CEDH d’avoir eu affaire à un telle organe de presse. La France avait été sanctionnée pour avoir fait condamner pour délit d’offense à chef d’Etat étranger (prévu à l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881) le journal Le Monde qui révélait que l’entourage du roi du Maroc Hassan II était impliqué dans le trafic de drogue à destination du territoire français. La Cour considère que »cela revient à conférer aux chefs d’Etat étrangers un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui ». Enfin »il n’existait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les restrictions imposées à la liberté d’expression et le but légitime poursuivi. »
Reste à savoir si des restrictions apportées à la liberté d’expression de WikiLeaks pourraient être proportionnées au but légitime de l’Etat, à savoir la défense des intérêts fondamentaux de la nation. Une chose est sûre: la révélation de ces documents diplomatiques aura bien du mal à se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui.
Alexandra Chauvin
Pour en savoir plus
Le blog de Maître Bem, avocat spécialisé dans le droit des nouvelles technologies
Sur la difficulté de mettre en oeuvre les dispositions de livre quatre du Code pénal quant aux affaires d’espionnage: le jugement de l’affaire Michelin, rendu le 21 juillet 2010 par le Tribunal Correctionnel de Clermont-Ferrand. |