La dépénalisation du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel : aperçu du potentiel dispositif de la loi Macron après son adoption en première lecture


Défaut d’organisation des élections professionnelles[1] ou simple oubli de convoquer les membres suppléants d’un comité d’entreprise[2], le délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel est une infraction dotée d’un contentieux large et diversifié.
En octobre dernier, le Président de la République avait, lors du conseil stratégique de l’activité, fait part de son souhait de dépénaliser le délit d’entrave aux représentants du personnel. Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dit « loi Macron », présenté le 26 janvier 2015 à l’Assemblée Nationale puis adopté le 19 février en première lecture, entérine cette proposition.


Le droit du travail accorde une place fondamentale à la représentation collective. Celle-ci est en effet source de pacification des relations de travail mais aussi d’évolution et d’adaptation de la norme sociale. Dès lors, l’importance de la tâche confiée aux représentants du personnel conduit nécessairement à renforcer la protection de leur statut et de leurs intérêts. Tel est notamment l’objectif du délit d’entrave, réformé prochainement par la loi Macron. La dépénalisation envisagée modifie le régime des sanctions applicables, au risque toutefois de limiter les droits et la marge de manœuvre de ces institutions. Dès lors, il convient de rappeler synthétiquement le régime actuel du délit d’entrave (I) avant d’analyser la réforme proposée par le gouvernement (II).

I/ Le délit d’entrave : infraction multiple mais sanction commune

Le délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel n’est pas instauré par un texte unique mais par une multiplicité de dispositions. Le Code du travail permet de distinguer globalement six groupes d’infractions correspondant au délit d’entrave :

  • Le délit d’entrave aux délégués du personnel : article L 2316-1
  • Le délit d’entrave aux différents comités (d’entreprise, de groupe, d’établissement…) : article L 2328-1 pour le comité d’entreprise
  • Le délit d’entrave aux délégués syndicaux : article L 2146-1
  • Le délit d’entrave au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) : article L 4742-1
  • Le délit d’entrave aux conseillers prud’hommes : article L 1443-3

A. Les élément constitutifs du délit d’entrave

La caractérisation du délit d’entrave nécessite la constatation d’un élément matériel et d’un élément moral.
La doctrine oppose ainsi deux types d’éléments matériels :
Direct : le comportement porte atteinte à la constitution ou au fonctionnement de l’institution
– Indirect : l’entrave aux représentants est réalisée par le biais d’agissements impactant le contrat de travail des mandataires (mise à pied conservatoire ou disciplinaire du délégué syndical par exemple)

Quant à l’élément moral, il est nécessaire de démontrer l’existence d’un dol général c’est-à-dire d’une volonté de l’employeur de violer délibérément la loi. La Cour de cassation apprécie largement cette intention puisqu’elle a notamment décidé que l’élément intentionnel ne se déduit, non pas du but recherché, mais du caractère volontaire du manquement constaté[3].

B. La sanction du délit d’entrave

Même si le Code du travail répertorie plusieurs délits d’entrave, le législateur a souhaité uniformiser leur sanction. Ainsi le fait de porter atteinte à la constitution ou au fonctionnement d’une institution représentative du personnel est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros pour les personnes physiques.
Précisons par ailleurs que lorsque l’infraction est réalisée par une personne morale, le taux maximum de l’amende peut s’élever au quintuple de la sanction initiale (soit 5 fois 3750 euros).[4] Le montant de cette amende présente toutefois une particularité puisqu’il correspond au minimum de l’amende correctionnelle. Il est en effet d’usage de sanctionner une infraction punie d’un an d’emprisonnement par une amende de 15 000 euros. Ainsi, la peine actuelle peut paraître quelque peu sommaire.
Dès lors, la réforme étudiée propose une révision à la hausse du dispositif répressif financier.

II/La réforme du régime des sanctions ou le risque d’une atteinte indirecte aux intérêts des représentants du personnel

A. Un renouvellement du dispositif répressif

C’est l’article 85 2° du projet de loi initial pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qui proposait de « réviser la nature et le montant des peines applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel » par ordonnance « dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution ».
Par « réviser la nature » des sanctions du délit d’entrave, le gouvernement entend supprimer les peines d’emprisonnement. C’est ce qui ressortait notamment de l’étude d’impact du projet[5]. L’entrave aux représentants du personnel serait désormais sanctionnée uniquement de manière financière. Précisons toutefois que la nature de l’infraction ne sera pas modifiée, l’entrave sera toujours constitutive d’un délit.
Dès lors, le projet propose d’accroître le montant des amendes afin de pallier l’abandon des peines d’incarcération. L’étude d’impact ne nous donnait cependant aucune indication chiffrée à l’égard de cette augmentation. L’article 85 bis, lui, fixe le montant général de cette amende à 7500 euros, soit le double de la peine précédente (projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, texte du 19 février 2015).
Quant à la mise en place de cette réforme, le texte renvoie à l’article 38 de la Constitution. Cette disposition autorise le pouvoir réglementaire à prendre des mesures relevant du domaine de la loi pour une période limitée par voie d’ordonnance. Les parlementaires ont cependant refusé l’utilisation de l’article 38 et lui ont préféré une réforme législative directe par le nouvel article 85 bis du projet adopté en première lecture
Enfin l’étude même de l’article 85 2° ne permettait pas d’en déduire totalement son champ d’application. L’exposé des motifs du projet de loi précisait toutefois que seraient concernés par la réforme uniquement les délits d’entrave aux délégués du personnel, au CHSCT, aux comités d’entreprise, de groupe, d’entreprise européen, de la société européenne, de la société coopérative européenne et comité issu de la fusion transfrontalière de société au sein de l’Union Européenne[6].
Dès lors, devait-on exclure de cette réforme les délégués syndicaux et les conseillers prud’hommes ? La logique du texte comme l’importance de ces institutions le préconisaient ; la première étant un acteur fondamental de la négociation collective, la seconde le garant de la justice prud’homale. L’article 85 bis confirme notre analyse puisque sera uniquement modifiée la législation relative aux institutions précédemment citées à savoir les articles L 2316-1, L. 2328-1, L. 2346-1, L. 2355-1, L. 2365-1, L. 2375-1, L. 2328-2, L. 2335-1 et L 4742-1 du Code du travail.
La lecture de l’article 85 bis délimite toutefois le cadre du renouvellement du dispositif répressif. Sont uniquement concernées les entraves « au fonctionnement » des représentants du personnel. Le fait de porter atteinte à la constitution ou aux droits des mandataires sera toujours puni d’un an d’emprisonnement en plus d’une amende de 7500 euros.

B. Vers un affaiblissement indirect de la représentation collective ?

Toute modification du dispositif répressif d’une infraction entraîne nécessairement des conséquences, tant sur la force de l’interdiction instituée, que sur l’exercice de la liberté éventuellement protégée.
La dépénalisation du délit d’entrave proposée par le projet de loi « Macron » pourrait notamment limiter les droits mais aussi la marge de manœuvre des représentants du personnel.
L’article 85 2°, tout d’abord, est bien trop large pour en déduire l’impact de la réforme. D’autant plus que l’étude d’impact n’apportait aucune garantie réelle en matière de protection des libertés et des droits des institutions représentatives du personnel. Il y était en effet seulement mentionné des instructions à l’égard du pouvoir réglementaire, à savoir que « l’ordonnance devra veiller à préserver l’effet dissuasif des sanctions et le respect » des représentants. Comme expliqué précédemment, le Parlement a préféré une réforme législative plutôt qu’une modification réglementaire. L’article 85 bis ne présente toutefois pas davantage de telles garanties puisque la dépénalisation opérée, hormis la nouvelle amende proposée, n’est pas contrebalancée par la création de dispositions sécurisant les droits et libertés des représentants du personnel.
L’effet dissuasif du délit d’entrave semble d’autre part mis à mal par la modification de la nature de la sanction. Désormais seule la barrière financière permettra de lutter contre l’entrave. Le gouvernement justifie notamment la suppression des peines d’incarcération par leur faible utilisation. Cette analyse est assurément critiquable puisque la peine d’emprisonnement n’a pas uniquement comme objectif la répression. Elle vise par ailleurs à prévenir un acte préjudiciable à la société. Dès lors, le nombre de recours par le juge à de telles sanctions ne doit pas être obligatoirement considéré comme un échec de la politique pénale, mais davantage comme une réussite, par son impact dissuasif, dans la protection des intérêts des institutions représentatives du personnel.
De surcroît, l’étude d’impact précise que cet abandon permettrait « d’envoyer un signal rassurant aux investisseurs étrangers qui seront plus incités à s’implanter sur le territoire national ». Autrement dit, la dépénalisation du délit d’entrave faciliterait l’installation des entreprises internationales sur le sol français. Une sanction financière pourrait-elle véritablement, à elle seule, assurer le respect des prérogatives des représentants du personnel ? Il est en effet nécessaire de s’attarder sur la situation des grands groupes multinationaux qui, par leurs ressources importantes, pourraient s’affranchir de leurs obligations en matière de représentation collective par le simple paiement de l’amende. Devons-nous voir ici les prémisses de pratiques dangereuses ? Le risque existe, et le fonctionnement des institutions représentatives pourrait par conséquent s’avérer complexe, voire même devenir désastreux. Le seuil des 7500 euros proposé semble bien trop léger au regard des intérêts menacés. Il est en effet important de rappeler que ces institutions garantissent l’effectivité même du droit à la représentation et à l’expression collective du salarié.
Enfin le projet de loi s’inscrirait dans une démarche d’adaptation des sanctions « à la réalité des situations »[7]. Cet argument s’avère toutefois superflu dès lors que le juge répressif dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. C’est le rôle même du juge d’interpréter la loi et de proportionner les peines à l’atteinte occasionnée.

Conclusion
                Nous l’avons vu, le projet de loi « Macron » vise à supprimer certaines peines d’emprisonnement applicables au délit d’entrave afin de les remplacer par des sanctions financières plus importantes. Au delà de l’attractivité du territoire, la préservation des institutions représentatives reste, à notre sens, l’enjeu principal de la réforme. Les parlementaires semblent malheureusement l’avoir oublié. La dépénalisation opérée présente en effet un risque important de dénaturation du sens de cette infraction. Dès lors, il aurait été souhaitable d’en conserver sa force par un encadrement plus rigoureux des sanctions pécuniaires, que celui proposé jusqu’ici.

Par Hugo Revillon
Master 1 Droit Social, Université Paris 1

 

Pour en savoir plus
– Coeuret, E. Fortis, Droit Pénal du travail, LexisNexis, 2012
– Salomon, A. Martinel, Droit Pénal Social, Economica, 2014
– Teyssié, Droit du travail- Relations collectives, LexisNexis, 2014
– Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques et son dossier législatif

[1] Cassation criminelle, 15 mai 2007, n° 06-84.318
[2] Cassation criminelle, 18 octobre 1983, n° 83-90.419
[3] Cass.Crim. 6 février 2007, n°06-82744
[4] Article 131-38 du Code pénal
[5] Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, Etude d’impact, Tome 3 , p 53 et suiv.
[6] Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, Exposé des motifs
[7] Projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, Etude d’impact, Tome 3 , p 53 et suiv

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