Le juriste d’entreprise du 21ème siècle dispose d’une déontologie, bien que la profession ne soit pas réglementée. Pour autant, celle-ci n’était pas très formalisée.
Lorsque l’on demande aux juristes d’entreprise s’ils sont prêts à se revêtir de règles guidant leur conduite dans tous les aspects de leur métier, c’est-à-dire s’ils sont prêts à adopter une déontologie, tous hochent au moins la tête. Les plus enthousiastes appuient la nécessité d’une telle avancée, les plus pessimistes sont, au pire, indifférents, considérant qu’ils n’ont pas besoin de règles écrites. Hélas ! En France, le droit mou, ou coutumier, n’a que peu de place, et la profession de juriste d’entreprise ne peut être une profession à part entière que si elle est capable de s’organiser, autour de règles, notamment déontologiques. Mais réglementer une profession sans l’aide du législateur est une tâche ardue.
Néanmoins, deux associations essaient de créer une cohésion parmi les juristes d’entreprise, et de leur faire comprendre l’importance de se regrouper et d’adopter un texte déontologique : l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), en France, et l’Association européenne des juristes d’entreprise (ECLA), en Europe. Que proposent-elles ?
I – DÉONTOLOGIE DES JURISTES D’ENTREPRISE : CE QUI A ÉTÉ FAIT
Un code de déontologie commun à tous les juristes d’entreprise existe : celui de l’AFJE. Six règles simples recouvrent les fondamentaux de la profession : indépendance intellectuelle, honneur et dignité, discrétion et confidentialité, discernement, diligence, loyauté, confraternité. Ce code est accepté par tous les membres de l’AFJE, qui représente plus d’un quart des juristes d’entreprise de France.
L’Association a toutefois souhaité aller plus loin. En effet, le 3 avril 2014, elle a lancé une consultation publique auprès de ses membres, mais aussi auprès d’autres associations interprofessionnelles, comme le Medef ou l’AFEP, auprès des universités, et auprès des juristes en général et de tout tiers intéressé.
Cette consultation porte sur un avant-projet de refonte du code déjà mis en place. Le document présenté est le fruit d’un travail de dix mois mené par le comité de déontologie de l’AFJE et suivi par le conseil d’administration, qui ont comparé les règles guidant le juriste d’entreprise avec celles adoptées par d’autres professions réglementées, juridiques ou non. Les articles publiés sont au nombre de dix, et structurent la profession, en rappelant les règles fondatrices de la déontologie du juriste d’entreprise.
Ainsi, le métier de juriste d’entreprise obtient une définition générale, en son article 1er. A l’indépendance (article 2) et à la confidentialité (article 3), s’ajoutent notamment des règles concernant les conflits d’intérêts (article 4), la qualité des avis, conseils et solutions (article 5), la direc- tion des équipes (article 7), le développement des compétences (article 8) et la confraternité (article 9). L’article 2 est dédié aux principes généraux du métier de juriste d’entreprise, plus développés que dans la version antérieure.
Les avis concernant cet avant-projet de code de déontologie ont été recueillis jusqu’au 30 avril 2014, et sont en cours d’analyse par le comité de déontologie et le conseil d’administration.
Hors de France, la profession se mobilise aussi. L’ECLA est actuellement en cours de préparation d’un code de déontologie applicable à l’ensemble de ses membres, soit les juristes d’entreprise composant 19 associations représentatives des juristes d’entreprise en Europe. La difficulté est toute autre concernant ce code européen : les Etats membres de l’ECLA se sont déjà dotés d’un code de déontologie obligatoire pour la profession de juriste d’entreprise au plan national.
Malgré la contrainte apparente, l’on remarque que les points fondamentaux sont les mêmes. Ce code devrait bientôt voir le jour, sous le mandat de Philippe Coen, Président d’ECLA, et… Français.
II – DÉONTOLOGIE DES JURISTES D’ENTREPRISE : CE QU’IL RESTE À FAIRE
Un code de déontologie existe en France, et il sera bientôt enrichi, une fois aboutie sa refonte. Un code européen verra bientôt le jour. Que demander de plus ?
La déontologie est commune à tous les membres d’une profession, elle constitue ses principes directeurs et sa morale, les principes et vertus attribués à tout juriste d’entre- prise. Cela étant acquis, il est essentiel aujourd’hui que les juristes se regroupent autour de ces règles, dans lesquelles tous se reconnaissent.
Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est ainsi que les juristes d’entreprise seront armés pour défendre leur profession. Aujourd’hui, les professions du droit sont toutes réglementées, sauf celle de juriste d’entreprise, dont le statut est annihilé par l’existence d’un contrat de travail. Or, les choses bougent. Les avocats peuvent être salariés, et c’est, depuis récemment, aussi le cas pour les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et pour les notaires. Le contrat de travail est de plus en plus une modalité d’exercice d’une profession, un confort pour certains, un pis-aller pour d’autres. Les juristes d’entreprise sont contraints d’appliquer leurs savoirs et leurs compétences par ce biais, puisque les avocats ont le monopole du conseil juridique libéral et de la représentation judiciaire.
Le monde juridique change, et les juristes d’entreprise ont de plus en plus soif de faire entendre leur voix comme unique, et non comme plurielle. Une étape peut être franchie grâce à l’adoption massive d’un code de déontologie, ce qui passe par l’adhésion à une association professionnelle, représentative de la profession.
CONCLUSION
D’aucuns voient dans l’inertie du législateur à reconnaître aux juristes d’entreprise un statut propre de leur profession une barrière à la mise en place d’une déontologie partagée par tous.
D’autres considèrent qu’il s’agit là d’une chance, d’une opportunité de renforcer les liens unissant les juristes d’entreprise autour de règles choisies par eux.
Deux constats clôtureront cet exposé : en premier lieu, et qu’on le déplore ou non, le législateur ne créera pas de statut réglementé du juriste d’entreprise. C’est donc aux juristes d’entreprise eux-mêmes de le faire. En second lieu, s’il est possible de s’interroger sur le contenu exact d’une déontologie commune, son principe semble acquis.
En France, l’enjeu porte, pour les juristes d’entreprise, sur la confidentialité de leurs avis. Le legal privilege, aujourd’hui, ne profite qu’aux professions réglementées, avocats, notaires, médecins, etc., et il est l’attribut du secret professionnel. Alors que d’autres Etats prévoient une protection des avis rendus par les juristes d’entreprise, la France la renie.
Or, une telle différence de traitement, pour reprendre le vocabulaire usité en droit de la concurrence de l’Union européenne, a pour effet de rendre moins attractive l’embauche d’un juriste français.Il est donc important de faire avancer les choses, et de doter le juriste d’entreprise de tous les atouts lui permettant d’exercer sereinement sa profession. Cela passe par l’adoption d’une déontologie renforcée, de règles d’organisation, et par l’adhésion à une association représentative des intérêts des juristes d’entreprise.
Tout est à construire : le sentiment d’appartenance à un groupe de personne et la volonté de faire évoluer ce groupe, afin qu’il puisse parler d’une seule voix.
Faire partie d’une association, comme l’AFJE et l’CLA, est un premier pas. S’y investir, un deuxième. Y intégrer son entreprise, ses collègues, ses amis, un troisième. Pas à pas, les juristes d’entreprise prennent conscience de la nécessité de protéger leurs intérêts, qui sont com- muns.
La déontologie est partout, dans les professions régle- mentées, dans les entreprises, sous la dénomination « RSE ». Les juristes d’entreprise doivent se doter de la leur, et doivent la créer eux-mêmes. Il faut avancer !