Avec une charge fiscale de 65,7%, la France fait partie des pays du monde qui taxe le plus ses entreprises, bien au-dessus de la moyenne européenne (45%)[1]. Le durcissement constaté de la déduction des frais financiers se place malheureusement dans cette ligne directrice d’un alourdissement de la fiscalité des entreprises.
L’article 13 du C.G.I indique que le « revenu catégoriel imposable est un revenu net de charges » En matière de bénéfices industriels et commerciaux (BIC), ce principe est repris à l’article 39-1 du CGI qui dispose que : « le bénéfice net est établi sous déduction de toute charge ».
Ainsi la base imposable des entreprises peut être réduite de manière importante par la prise en compte de l’ensemble des charges qui ont permis l’acquisition ou la conservation de ces produits. Ainsi la question de la déduction des charges est un élément essentiel dans la gestion fiscale des entreprises
L’article 39-1 du C.G.I énumère différentes dépenses de frais généraux qui vont pouvoir faire l’objet d’une déduction, mais cette liste n’est pas limitative : charges de personnel, charges fiscales, charges de location mais aussi les charges financières. Qu’entend-on par charges financières? Les charges financières s’entendent, d’une manière générale, des intérêts versés par une entreprise en raison des capitaux qui y sont investis. Cependant, il est important de savoir ce qui peut être considéré comme des frais financiers pouvant venir en déduction du résultat réalisé par la société.
D’un point de vue comptable, elles sont comptabilisées au compte 66 comme des charges rattachées dans le compte de résultat et d’un point de vue fiscal, l’article 40 de la loi de finances rectificative pour 2011 précise que : « les charges financières s’entendent de l’ensemble des intérêts ou assimilés venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de la société ».
Ces charges financières sont essentielles car elles vont traduire d’une part globalement le niveau d’endettement d’une entreprise et ainsi mettre en exergue le processus d’investissement et de financement de l’entreprise. D’autre part, ces charges financières peuvent être de plus d’un montant considérable et vont avoir ainsi un impact majeur dans la détermination du résultat imposable des entreprises. A titre d’exemple : les charges financières de la société Eiffage Construction pour l’exercice 2008 s’élèvaient à 114,24 M€[2].
Le principe en matière fiscal est celui de la libre déductibilité des charges financières supportées par les entreprises. Celles-ci sont en effet intégralement déductibles du résultat fiscal et de la base imposable sous réserve de respecter les conditions générales de déductibilité des charges prévues à l’article 39-1-1° du C.GI, à savoir que ces charges doivent diminuer l’actif net tout en étant exposées dans l’intérêt de l’entreprise et régulièrement comptabilisées. La déduction ne doit pas non plus être interdite par l’article 39-2 et 39-4 du C.G.I (dépenses somptuaires, amendes ou charges illicites, acte anormal de gestion).
Cependant, afin de prévenir les abus, certaines limitations à cette liberté ont toutefois été prévues par le législateur afin de lutter contre l’effritement de la base taxable des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés (IS).
On a donc pu observer un durcissement de la déductibilité des charges financières avec la mise en place de dispositifs de limitation de la déduction des charges financières par le législateur. Ce durcissement étant d’une ampleur particulièrement importante, les répercussions peuvent être particulièrement préjudiciables pour la compétitivité des entreprises hexagonales.
A- L’existence de mécanismes particuliers de limitation de la déduction des charges financières.
Différents dispositifs ont été mis en place en vue de limiter la possibilité de déduire les charges de financement d’une entreprise et vont venir mettre en échec différents montages fiscaux spécifiques.
1- L’Amendement Charasse
L’Amendement Charasse trouve sa source légale à l’article 223 B du C.G.I qui vise à limiter la possibilité de déduire les charges de financement dans un groupe intégré fiscalement, suite à l’acquisition d’une cible détenue par une personne qui contrôle le groupe (société acquéreuse et société acquise contrôlées par les mêmes personnes juridiques de manière directe ou indirecte, en droit ou en fait).
Le régime de l’intégration fiscale va procurer un avantage significatif car il va permettre d’imputer les frais financiers de la dette d’acquisition sur le résultat de l’ensemble du groupe.
C’est le cas classique d’une holding qui rachète une société cible à ses propres actionnaires (ceux de la holding). La holding emprunte pour acheter la société cible.
Ce type d’opération, communément appelé « cash-out », permet aux actionnaires de récupérer une partie de la valeur qu’ils ont contribué à créer au sein de leur entreprise, tout en gardant le contrôle de celle-ci et en réalisant un économie d’impôt non négligeable.
Par exemple : Une holding, sans capitaux propres (capital minimum des SAS : 1 €), fait un emprunt de 1 000 € à un taux de 5% pour acheter une société cible à une filiale du groupe Les sociétés optent pour l’intégration fiscale.
Si la holding n’a pas d’activité autre que la gestion de titres, le résultat de la holding correspondra aux frais financiers rémunérant l’emprunt à savoir un déficit de 50.
Si la cible réalise 100 € de résultat, le résultat fiscal au niveau du groupe intégré sera alors de -50 + 100 = 50 € : le bénéfice fiscal se trouvera alors réduit de moitié.
En principe les conséquences économiques de cet acquisition sont nulles car la société holding et la filiale F détiennent toujours la société cible c’est juste que maintenant la Hoding la détient directement et la filiale indirectement. Mais sur le plan fiscal, le résultat est majeur car le résultat imposable est divisé par deux.
La sanction de l’Amendement Charasse est la réintégration fiscale pendant 15 ans des charges financières présumées liées à l’acquisition et évaluées forfaitairement. La mise en place de ce mécanisme fait cependant l’objet de limites pratiques indéniables car une banque refusera de prêter à une société si elle n’a pas de capital ou de sûretés pour garantir l’emprunt.
2- L’Amendement Carrez
C’est un mécanisme inspiré de Charasse qui s’applique hors groupes intégrés, et limite la déduction des charges financières. En effet, l’article 209 IX du CGI dit « Amendement Carrez » vise à la réintégration des charges financières liées à l’acquisition de titres de participation relevant du régime exonératoire[3] si la société acquéreuse, bien que juridiquement propriétaire des titres, n’exerce pas sur la société acquise un pouvoir de décision ou un contrôle effectif.
Cette mesure est destinée à lutter contre les schémas abusifs visant, pour une société étrangère, à faire acquérir des titres de sociétés par l’intermédiaire d’entités françaises s’endettant à cet effet. La prise de décision d’acheter la société étrangère n’est pas exercée par la société française mais plutôt par la société étrangère et permet ainsi de localiser artificiellement une dette en France.
Exemple : une société étrangère aux Etats-Unis veut acheter une société irlandaise (pays fiscalement privilégié). La société américaine a une filiale en France qui a une activité, et qui paie de l’impôt. La société Américaine demande à la filiale française d’acheter la boite Irlandaise. La société Française, pour acheter la société Irlandaise, emprunte et donc une partie des déficits est localisée en France car les intérêts d’emprunts se compensent avec le résultat que la filiale réalise en France.
Les dividendes irlandais arrivent en France et sont exonérés en France (régime des titres de participation), mais les frais financiers diminuent le résultat en France. Donc on n’a plus de résultat en France, et pas d’impôt.
Dans le cadre de ce dispositif, l’entreprise emprunteuse, soumise à l’IS, doit réintégrer une quote-part de ces charges financières. Le montant des charges financières à réintégrer sera déterminé annuellement selon la formule suivante : montant total des charges financières de l’exercice x (prix d’acquisition des titres /montant d’endettement moyen de l’entreprise)
Toutefois l’administration admet que la fraction excédentaire des intérêts de 39.I.3 du CGI qui a la nature de revenu distribués, peut bénéficier du régime mère-fille même si ils n’ont pas été déduits chez la filiale précèdemment.
Ce dispositif n’est toutefois pas applicable lorsque :
– la valeur des titres détenus par la société acquéreuse est inférieure à 1 million d’euros,
– l’acquisition n’a pas été financée par un emprunt,
– le ratio d’endettement du groupe auquel appartient la société acquéreuse est supérieur ou égal à son propre ratio d’endettement.
3- Le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation
Il existe différents moyens pour l’entreprise pour se financer à la fois au niveau interne tels que l’augmentation de capital ou les dividendes laissés en compte courant, mais aussi au niveau externe par l’emprunt. Cependant, dans le cadre d’une société, il est possible d’opter pour une solution intermédiaire à savoir d’envisager un emprunt réalisé auprès des associés. Si on opte pour cette dernière modalité de financement, il peut être intéressant de maintenir la société en situation de sous-capitalisation (insuffisance des capitaux propres par rapport aux dettes) afin d’appliquer des taux d’intérêts élevés tant pour minorer le résultat imposable de la société que pour augmenter la rémunération ainsi garantie des associés prêteurs.
Afin de prévenir ces abus, le législateur a introduit à l’article 212 II du Code Général des Impôts un dispositif visant à lutter précisément contre cette pratique de sous-capitalisation qui permet de déduire de manière massive les charges financières et diminuer de manière non négligeable la base d’imposition des sociétés. Ainsi une entreprise sera présumée sous-capitalisée si les intérêts dus à des entreprises liées au sens de l’article 39-12 du Code général des impôts excèdent 3 ratios : un ratio d’endettement, un ratio de couverture d’intérêts, un ratio d’intérêts servis par des entreprises liées.
Cependant, cette présomption n’est que simple et les entreprises ont la possibilité d’apporter la preuve contraire (clause de sauvegarde) qu’elles ne sont pas sous-capitalisées en démontrant que leur ratio d’endettement global est inférieur au ratio d’endettement global du groupe auquel elles appartiennent (article 212 III du code général des impôts).
Si la clause ne s’applique pas, la fraction des intérêts qui excède le plus haut des trois ratios n’est pas déductible (sous limite d’un seuil du montant des intérêts de 150 000 €) et devra être réintégrée dans le résultat de l’entreprise.
On peut aussi évoquer l’existence d’un mécanisme particulier des articles 39 – I et l’article 212 du C.G.I qui prévoient une limitation de la déductibilité lorsque le taux d’intérêt est trop élevé dans le cas d’un prêt accordé par des associés ou des entreprises liées
C- limitation générale de la déduction des charges financières
L’article 212 bis du CGI issu de la loi de finances rectificatives 2013 a introduit un plafonnement global de la déduction des charges financières (« rabot fiscal »).
Pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2012, les charges financières nettes des entreprises, si elles sont supérieures à 3 millions d’euros, ne sont déductibles qu’à hauteur de 85 % de leur montant. Ce plafond est abaissé à 75 % pour les exercices ouverts à compter de 2014.
L’instauration d’une limitation à portée générale va viser l’ensemble des charges financières nettes de la société quel que soit leur origine ou destination. Toutefois, dans le cadre de l’intégration fiscale, la limitation n’aurait vocation à s’appliquer qu’aux charges financières résultant d’opérations réalisées avec des sociétés hors du groupe fiscal.
D- Les conséquences néfastes du durcissement de la déduction des frais financiers
Au travers de l’étude des mécanismes ci-dessus, force est de constater l’existence d’une logique indéniable de durcissement de la déduction des frais financiers. En effet, on constate l’émergence d’une multiplicité de techniques de limitation combinée avec l’entrée en vigueur d’un plafond global de déduction des frais financiers rendant ainsi très complexe l’optimisation fiscale des entreprises.
En effet ces divers dispositifs font l’objet d’une articulation préjudiciable pour les entreprises en raison de leur application cumulative du fait que le plafonnement global des charges financières nettes s’effectuerait après l’application des autres mesures visant à limiter la déduction des frais financiers.
Ainsi, le montant des charges financières, dont la déduction serait plafonnée, sera diminué des frais financiers non déductibles conformément aux dispositions des articles 212 du CGI (sous-capitalisation) et 209 IX (amendement Carrez) et 223 B du CGI (Amendement Charrasse).
Pour conclure, il est intéressant de s’attarder sur le constat régulier de l’exaspération profonde des entreprises par rapport au poids de la fiscalité française se traduisant par de très nombreuses augmentations des prélèvements obligatoires et qui donnent parfois le sentiment d’être étouffés par l’impôt.
Ce frein important à la déduction des frais financiers se révèle aussi particulièrement néfaste pour les entreprises en limitant de manière importante la marge de manœuvre de ces acteurs économiques au niveau de leurs sources de financement.
Même si le gain budgétaire apparaît conséquent (environ 3,7 milliards d’euros par an), le risque d’un diminution des investissements semble réel en raison de l’encadrement massif des charges financières excessives ce qui serait très pénalisant pour les entreprises françaises.
En instaurant une approche restrictive de la déduction des frais financiers, ce nouveau dispositif réduit leur capacité d’investissement et d’embauche, ainsi que leur compétitivité avec un risque de récession important.
AGUER Thomas
Droit des Affaires et Fiscalité – DJCE
Université Bordeaux IV Montesquieu