Les nouvelles propositions sur la déchéance de nationalité, faites par le Ministre de l’intérieur, Monsieur Brice Hortefeux, ont fait l’objet d’un vif débat dans les médias et l’opinion publique. Si ces débats sont restés cantonnés à la sphère politique, il convient de s’intéresser aux implications juridiques d’un tel dispositif.
Monsieur Hortefeux souhaitait priver de leur nationalité les français naturalisés depuis moins de 10 ans reconnus coupable de meurtre à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, ainsi que ceux qui pratiquent la polygamie ou l’excision. L’arbitrage a été rendu le lundi 6 septembre par le Président de la République. Il a été choisi d’exclure du dispositif la sanction de la polygamie en ne conservant que les atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique.
Un certain nombre de juristes se sont interrogés sur la compatibilité de ces propositions avec les dispositions légales et constitutionnelles entourant la déchéance de la nationalité. L’article 25 du code civil pose les conditions régissant celle ci: « L’individu qui a acquis la qualité de Français peut […], être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride: S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme […] ».
Deux questions principales se posent. D’abord les motifs de déchéance de la nationalité proposés par le ministre de l’intérieur sont-ils constitutifs « d’atteintes aux intérêts de la nation » conformément à l’article 25 du Code civil ? Ensuite, il faut se demander s’il peut être fait une distinction entre les français de naissance et les français naturalisés.
Concernant la première question, dans une décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel avait considéré que seule « l’extrême gravité d’un acte pouvait justifier le fait de perdre sa nationalité ». Cette exigence conjuguée avec l’article 25 du Code civil qui exige une « atteinte aux intérêts de la nation » amène à se demander si le meurtre, crime extrêmement grave par lui-même, d’une personne dépositaire de l’autorité publique sera considéré comme un acte d’une extrême gravité portant atteinte aux intérêts de la nation. Ce sera aux autorités judiciaires de répondre à cette question.
La seconde question s’attache au fait que les nouvelles propositions sur la déchéance de la nationalité font une différence entre les français d’origine et les français naturalisés. Or l’article premier de la Constitution de la Ve République dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Au regard de cette disposition le projet pourrait être rejeté par le Conseil constitutionnel comme étant contraire au principe d’égalité. Cela dit, rien n’est mois sûr. Dans sa décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel déclarait que : « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qu’il établit ». Dans cette même décision, les sages avaient autorisé le législateur à rompre avec le principe d’égalité et ainsi à déchoir de leur nationalité les français naturalisés qui s’étaient engagés dans des actes de terroristes contre la France. Ainsi pourrait être considéré comme un acte contre les intérêts de la nation, le meurtre d’une personne dépositaire de l’autorité publique.
Il est donc très difficile d’anticiper ce que sera la décision du Conseil constitutionnel, qui sera sans nul doute saisi de la question à l’encontre de ces propositions.
On peut, sans augurer, imaginer que cette question va encore faire l’objet, pour un long moment, d’un vif débat à la fois politique et juridique.
Tristan Lemonnier
Pour en savoir plus
Article 25 du Code civil
Article premier de la Constitution du 4 octobre 1958
Décision du Conseil constitutionnel n° 96-377 DC, du 16 juillet 1996 |