L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 prévoit, en son article 16, la prolongation automatique de la détention provisoire en matière correctionnelle et criminelle. Cet article 16 a suscité de nombreuses critiques. Le 26 mai 2020, la problématique est parvenue à la Chambre criminelle de la Cour de Cassation qui a décidé, par ses arrêts 20-81.910 et 20-81.971, de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité à ce sujet.
Une présomption d’innocence malmenée
L’article 16 de l’ordonnance « portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » prévoit que les « délais maximums » de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique sont prolongés « de plein droit ». La prolongation prévue était de deux mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans, de trois mois lorsque cette peine est d’une durée supérieure et enfin de six mois en matière criminelle. Cela signifie qu’au terme de la détention provisoire normalement applicable, une personne est maintenue en détention.
Or la liberté est le principe et la détention l’exception. Cela explique le tollé suscité par la mesure. Un premier élément de l’article 16 a soulevé une indignation de la part des professionnels du droit. En effet, le champ d’application de cet article relève de personnes dont la présomption d’innocence demeure, aucun jugement n’étant intervenu. Ainsi, c’est dans un contexte d’instruction ou de post-instruction mais présententiel à l’issue d’une mise en accusation, qu’intervient la prolongation systématique de la détention provisoire. De plus, la notion « de plein droit » induit directement qu’aucune juridiction n’est contrainte de se prononcer sur la prolongation de la détention provisoire au cas par cas.
Malgré les protestations de nombreux avocats et magistrats, la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a déclaré que cette mesure était nécessaire pour « éviter que puissent être remises en liberté des personnes potentiellement dangereuses ». Un amendement a été voté le 9 mai 2020, afin de revenir dès le 24 mai à un débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention en matière de prolongation de la détention provisoire.
L’intervention de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation
Saisie par deux personnes dont la détention provisoire fut prolongée « de plein droit », la Chambre criminelle a répondu aux moyens soulevés, à savoir l’interprétation de l’article 16 de l’ordonnance, sa constitutionnalité et la légalité de cet article au regard de l’article 11 de la loi d’habilitation.
Elle a également traité la question non formalisée de la conventionnalité et s’est opposée à la prolongation purement automatique des détentions provisoires. Elle estime donc nécessaire, comme la majorité du corps judiciaire, l’intervention d’une juridiction compétente dans un examen de nécessité de ladite prolongation.
Par l’analyse de la conventionnalité, elle a rappelé l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui, dans les hypothèses de prolongation, dispose qu’est nécessaire « l’intervention du juge judiciaire […] comme garantie contre l’arbitraire » en conséquence de quoi elle a déclaré incompatible l’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 avec ladite convention, la prolongation n’étant régulière qu’en conséquence d’une décision rendue par la juridiction, se prononçant aussi « sur le bien-fondé du maintien en détention, dans le cadre d’un débat contradictoire tenu ».
La Cour de Cassation a transmis au Conseil constitutionnel les QPC relatives à la constitutionnalité de l’article 11 de la loi d’habilitation, malgré l’amendement, et a cassé les deux arrêts déférés pour non-conventionnalité au lieu de surseoir à statuer à l’attention du Conseil Constitutionnel, dont il ne reste plus qu’à attendre la décision.
Inès Bathani, en M1 Droit privé et sciences criminelles à Lille