Le 10 mars dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a de nouveau usé de toute l’étendue de son pouvoir prétorien pour affirmer le droit des transsexuels à la conversion sexuelle. L’arrêt Y.Y c. Turquie marque une avancée spectaculaire alors qu’en 2002 déjà, la Cour avait marqué sa volonté de conférer des droits aux transsexuels dans l’arrêt Goodwin.[1]
Dans l’affaire étudiée, le requérant, né de sexe féminin, avait demandé à un TGI turc, l’autorisation d’effectuer une intervention chirurgicale modifiant définitivement son sexe. Selon la loi turque, le requérant doit notamment être incapable de procréer avant de subir l’opération. Le tribunal lui avait refusé l’intervention au motif que la seconde condition n’était pas remplie. Après avoir été débouté par la Cour de Cassation, le requérant a donc saisi la CEDH pour violation du droit à une vie familiale normale (article 8 de la Convention).
Une évaluation classique de la notion de restriction.
Après avoir rappelé que : « l’identité sexuelle […] et la vie sexuelle relèvent de la sphère personnelle protégée par l’article 8 de la Convention », la Cour a évalué si la loi turque était une restriction valide à l’article 8. Trois conditions sont nécessaires pour qu’une restriction soit légale au regard de la Convention : elle doit avoir une base légale, avoir un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique.
Les deux premières conditions ne sont pas difficiles à remplir. Concernant le but légitime, la justification invoquée par l’Etat défendeur doit entrer dans l’une des catégories citées à l’article 8. En l’espèce, le gouvernement turc a invoqué l’intérêt général puisque ce type d’intervention chirurgicale est irréversible et ne peut être réalisée à la légère.
L’interprétation dynamique de la nécessité.
La Cour le rappelle elle-même, son pouvoir d’interprétation est conséquent pour vérifier si la restriction est nécessaire, c’est-à-dire si elle est proportionnée. Les Etats disposent d’une marge d’interprétation qui : « est d’autant plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre « intime » qui lui sont reconnus. »
Le droit à la conversion sexuelle est loin d’être absolu. Cependant, la Cour a suivi un raisonnement « à la lumière des conditions de vies actuelles » pour affirmer l’existence d’un tel droit. En citant de nombreux rapports, résolutions, recommandations, non seulement émanant des organes du Conseil de l’Europe mais aussi d’instances européennes et internationales : la CEDH en a déduit que ce droit avait été reconnu de manière globale.
De plus, la Cour a vérifié qu’il existait un consensus sur la question. Elle en a conclu que « la possibilité pour les transsexuels d’entreprendre un traitement de conversion sexuelle existe dans de nombreux États européens, tout comme la reconnaissance juridique de leur nouvelle identité sexuelle.
Exiger que la personne demandant une intervention chirurgicale de conversion de sexe soit stérile n’est pas proportionné au but recherché. Certes, il existe des méthodes qui auraient permis au requérant de devenir stérile pour pouvoir être opéré, mais la CEDH a jugé que ce serait contraire au respect de l’intégrité physique de la personne.
Une fois de plus, la CEDH a marqué sa volonté de faire évoluer la Convention et avec elle, étendre sa protection à de nouveaux droits tels que le droit à la conversion sexuelle. Les garanties qu’elle offre ne doivent pas être : « théoriques ou illusoires, mais concrètes et effectives. »
Pour en savoir plus :
CEDH, Y.Y c. Turquie, 10 mars 2015, Requête no 14793/08
Dalloz Actualités, Transsexualisme : la conversion sexuelle est un droit de l’homme, Thomas Coustet, 19 mars 2015
Exergue : Pour qu’une restriction à la loi européenne soit valable, elle doit avoir une base légale, être légitime et nécessaire dans une société démocratique.
Léa Jardin
[1] CEDH, Christine Goodwin c. RU, 11 juillet 2002, Les transsexuels se sont vues reconnaître le droit de modifier leur état civil.