Ce n’est que très récemment que le souci de bien gérer l’argent public est apparu en France. La gestion des finances publiques est devenue complexe et s’inscrit dans un monde en crise où le droit et l’économie tendent à s’affronter. C’est dans ce contexte que doit être envisagée la règle d’équilibre des finances publiques connue aussi sous le nom de « règle d’or » ainsi que les obstacles d’ordre juridique à son effectivité.
La « règle d’or », un mécanisme juridique imposant le retour à l’équilibre budgétaire
Le principe de la « règle d’or » est simple : il s’agit d’imposer juridiquement le principe d’équilibre budgétaire. On sait tout d’abord qu’il existe en droit français, depuis la révision constitutionnelle du 23 Juillet 2008, un objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques figurant à l’article 34 de la Constitution qui dispose que « les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s’inscrivent dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Il existe également un principe fondamental d’équilibre économique et financier des finances publiques dont le respect s’impose au législateur. En effet, le Conseil constitutionnel a estimé « (…) qu’en subordonnant la discussion de la deuxième partie de la loi de finances, qui fixe le montant global des crédits applicables aux services votés et arrête les dépenses applicables aux autorisations nouvelles, au vote de la première partie, qui autorise et évalue les recettes, fixe les plafonds des grandes catégories de dépenses et arrête les données générales de l’équilibre économique et financier, l’article 40 ne fait que tirer les conséquences, au plan de la procédure législative, du principe fondamental affirmé à l’article 1er (…) »[1].
Enfin, un principe d’équilibre budgétaire s’impose également aux collectivités territoriales. On peut citer à ce titre l’article L. 1612-4 du Code général des collectivités territoriales qui dispose que « le budget de la collectivité territoriale est en équilibre réel lorsque la section de fonctionnement et la section d’investissement sont respectivement votées en équilibre, les recettes et les dépenses ayant été évaluées de façon sincère, et lorsque le prélèvement sur les recettes de la section de fonctionnement au profit de la section d’investissement, ajouté aux recettes propres de cette section, à l’exclusion du produit des emprunts, et éventuellement aux dotations des comptes d’amortissements et de provisions, fournit des ressources suffisantes pour couvrir le remboursement en capital des annuités d’emprunt à échoir au cours de l’exercice ».
Inspiré par la Goldene Regele allemande constitutionnalisée en 2009 [2] et par les propositions du rapport de Michel Camdessus du 21 Juin 2010, le projet de loi constitutionnel adopté le 13 Juillet 2011 crée la loi-cadre d’équilibre des finances publiques : cette loi-cadre pluriannuelle programmera pour une durée de trois ans les objectifs de dépenses et de recettes à réaliser annuellement afin de parvenir à l’équilibre financier. Les lois cadres auront pour but de rendre plus effectif l’objectif d’équilibre des finances publiques. Le Conseil constitutionnel contrôlera automatiquement leur conformité à la Constitution.
En outre, les lois de finances, les collectifs budgétaires et les lois de financement de la sécurité sociale devront s’inscrire dans le cadre de cette programmation. Le projet prévoit ensuite le monopole des lois de finances et de financement de la sécurité sociale en ce qui concerne les prélèvements obligatoires et enfin, la transmission systématique aux deux chambres des programmes de stabilité avant qu’ils ne soient présentés à la Commission européenne dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance, ce qui aura pour effet de renforcer l’information du Parlement sur les engagements européens de la France.
Les obstacles juridiques à la pleine effectivité de la règle constitutionnelle d’équilibre budgétaire
L’introduction dans notre Constitution d’une « règle d’or » pose néanmoins plusieurs problèmes notamment ceux liés à l’intérêt de la constitutionnalisation d’une telle règle et à l’efficacité du pouvoir de contrôle et de sanction du juge constitutionnel.
Constitutionnaliser une norme financière revient à en faire un mécanisme visant à automatiser les choix budgétaires et obéissant à une logique économique et gestionnaire plutôt qu’à une logique politique et juridique privilégiant la décision politique libre [3]. Dans un monde où coexistent une réalité économique et une réalité juridique, il s’est donc posé la question de la pertinence d’adopter une telle règle au niveau constitutionnel. En Allemagne, la solution est claire : seule la loi fondamentale allemande peut fixer un cadre budgétaire pour la Fédération et les Länders.
En outre, alors que l’article 109 § 5 de la loi fondamentale allemande constitutionnalise les engagements européens de l’Allemagne issus du Pacte de stabilité et de croissance, le projet français, lui, n’adopte pas une telle démarche ce qu’on peut finalement regretter. Dans le cas français, la réduction des déficits publics renvoie à la solidarité financière entre l’Etat et les collectivités territoriales puisque la plupart des ressources des collectivités proviennent de transferts de l’Etat. On sait qu’en France, selon l’article 34 de la Constitution, c’est la loi qui détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences ainsi que de leurs ressources. On peut donc affirmer que la répartition de l’effort financier entre l’Etat et les collectivités territoriales est du ressort de la loi et non de la Constitution. A propos du périmètre de la constitutionnalisation de la « règle d’or », on peut se poser la question suivante : doit-elle concerner l’ensemble du système financier public ou alors seulement une partie ? N’étant pas inscrite dans la LOLF qui ne concerne que l’Etat, il semblerait bien que le projet englobe les finances de l’Etat, des collectivités locales et de la sécurité sociale. Il faut également s’interroger sur le caractère contraignant ou non d’une telle règle.
C’est bel et bien un cadre pluriannuel qui a été choisi pour atteindre l’équilibre budgétaire ce qui en fait une règle plutôt souple. En outre, l’inscription à l’article 34 de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques lors de la révision constitutionnelle du 23 Juillet 2008, qui n’est pas une loi de finances mais une loi ordinaire, va dans le même sens. La règle d’or ne fixant pas d’échéancier précis comme le mécanisme allemand, c’est au législateur organique qu’il appartient de définir une trajectoire de retour à l’équilibre budgétaire. Il sera donc lié uniquement par une date qu’il aura bien voulu définir pour autant que les objectifs définis soit conformes à l’exigence constitutionnelle de retour à l’équilibre. Hormis le fait de rassurer les marchés, adopter une telle règle au niveau constitutionnel reste au fond symbolique et son effectivité dépendra notamment du contrôle de constitutionnalité des textes budgétaires dont le Conseil constitutionnel sera saisi.
La règle d’or française repose essentiellement sur le pouvoir de contrôle et de sanction du juge constitutionnel. Celui-ci devra s’assurer que les lois cadres respectent le principe constitutionnel d’équilibre des finances publiques, le contrôle de ces lois étant automatique à l’instar des lois organiques et des règlements des assemblées et s’opérera au regard de la date de retour à l’équilibre des finances publiques qui aura été fixée. Il devra également s’assurer que les lois de finances respectent les prescriptions de la loi-cadre de programmation même si le contrôle de constitutionnalité des lois de finances n’est pas systématique. Le Conseil constitutionnel se voit ainsi clairement renforcé dans son contrôle de la constitutionnalité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.
Cependant, plusieurs zones d’ombres persistent. Quelles seront les méthodes qu’emploiera le Conseil constitutionnel pour s’assurer qu’une loi cadre s’inscrit bien dans une trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques ? A ce titre, il faut souligner que l’effectivité d’un tel dispositif constitutionnel de retour à l’équilibre budgétaire dépend étroitement de la capacité du Conseil constitutionnel à exercer son pouvoir de contrôle en fonction de critères clairement établis qui restent à inventer au regard de la configuration inédite des finances publiques contemporaines [4]. En outre, l’efficacité de ces deux contrôles de constitutionnalité sur les lois cadres et sur les lois de finance dépendra du contrôle de constitutionnalité opéré sur la loi organique fixant la date de retour à l’équilibre budgétaire au regard de l’objectif d’équilibre des finances publiques figurant à l’article 34 de la Constitution. Il en résulte que compte tenu notamment du contrôle juridictionnel minimal opéré sur les choix politiques du législateur, ce dernier ne sera lié que par une date qu’il aura bien voulu se fixer et qu’il pourra modifier à tout moment [5]. Finalement, la « règle d’or » semble bien ne pas être une règle d’airain.
Hicham EL MAANNI
Notes :
[1] Cons. const. n° 79-110 DC du 24 déc. 1979, loi de finances pour 1980.
[2] La règle d’or allemande fixe un retour à l’équilibre budgétaire des dépenses et des recettes sans recours à l’emprunt. En outre, le déficit doit atteindre 0,35% du PIB en 2016 au niveau fédéral et être supprimé à partir de 2020 pour les Länders. Des aides de consolidation sont également prévues par la Fédération.
[3] BOUVIER (M.), « La règle d’or : un concept à construire ? » in Revue française des finances publiques, 01 Février 2011, n°113, p. V
[4] Ibid.
[5] « Le retour à l’équilibre des finances publiques et la Constitution. Examen critique des propositions du rapport Camdessus » in Constitutions, 2011, p. 355 |
Pour en savoir plus
Rapport du groupe de travail présidé par M. Camdessus, 21 Juin 2010
SOULAY (C.), « La ‘règle d’or’ des finances publiques en France et en Allemagne : convergence au-delà des différences ? » in Revue française des finances publiques, 01 Novembre 2010, n°112, p. 187 |