La conciliation entre le droit à la preuve d’un employeur et le respect de la vie privée d’une salariée

Le 30 septembre 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt important (2) venant concilier le droit à la preuve d’un employeur et le droit à la vie privée d’une salariée.

Le code civil dispose que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée » (3), et parallèlement, la Haute juridiction de l’ordre judiciaire a jugé que : « Toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée » (4).

Néanmoins, l’articulation de ce droit avec celui, tout aussi fondamental, du droit à la preuve soulève un problème de droit dans l’affaire soumise aux juges du droit.

Les faits – la réalisation d’une faute grave :

Une salariée, cheffe de projet chez « Petit bateau », a assisté à la présentation de la nouvelle collection printemps/été 2015. Ladite présentation était réservée aux commerciaux de la société. Pendant cette présentation, la salariée a pris des photos qu’elle a, par la suite, publié sur son compte Facebook. Ce compte était personnel à la salariée, seulement ses amis pouvaient accéder au contenu publié. Cependant, une de ses « amis Facebook » était salariée d’une entreprise concurrente…

Informé de la publication de la photo montrant la présentation de la nouvelle collection, l’employeur a fait constater la publication litigieuse par voie d’huissier. Pour ce motif, la salariée est licenciée pour faute grave le 15 mai 2014.

La contestation de licenciement :

La salariée a alors contesté ce licenciement mais la contestation ne reposait pas sur l’existence, ou non, d’une faute grave. En effet, la cheffe de projet a estimé que la preuve, en l’espèce l’extrait du compte Facebook, était illicite car attentatoire à la vie privée. Quant à lui, l’employeur auteur de la lettre de licenciement invoque son droit à la preuve, reconnu comme « le droit de produire des preuves » ou « le droit d’obtenir des preuves ».

La conciliation opérée par les juges du droit :

Les juges du droit se sont alors demandés s’il était indispensable de porter atteinte à la vie privée de la salariée pour rapporter la preuve de la faute grave commise.

En accord avec l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation a estimé que la fourniture de la publication Facebook de la salariée était indispensable pour prouver la faute grave commise. De surcroît, ce caractère indispensable est complété par la proportionnalité de la preuve apportée par l’employeur. En effet, ce dernier s’est borné à faire constater, par voie d’huissier, qu’une seule publication, celle estimée litigieuse.

Ainsi, en se fondant sur des textes internationaux (5) et nationaux (3) (6), les juges ont rejeté le pourvoi formé par la salariée. Effectivement, il résulte de l’arrêt présenté que « le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».

 

(1) https://www.facebook.com/FacebookParis/photos/a.158650430819691/638853852799344/

(2) Soc. 30 septembre 2020, pourvoi n°19-12.058

(3) Article 9 du code civil

(4) Civ 1ère. 23 octobre 1999, pourvoi n°82-13.163

(5) Articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

(6) Article 9 du code de procédure civile

 

Arthur Réau, étudiant en M1 Droit social à l’Université Clermont Auvergne

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