En janvier 2009 et face à l’engorgement de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’actuel Président, Jean-Paul Costa, a appelé à une conférence internationale réunissant l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe. La Suisse, qui assume actuellement la présidence semestrielle tournante du comité des ministres du Conseil, a saisi cette opportunité pour faire de la réforme de la Cour de Strasbourg, une des trois priorités de son mandat.
Le nombre d’affaires traitées par la CEDH a atteint l’année dernière le chiffre record de 119 300 dossiers, soit une hausse de 23% par rapport à 2008. Plus de la moitié des requêtes proviennent de la Russie (28,1%), de la Turquie (11%), de l’Ukraine (8,4%) et de la Roumanie (8,2%). Afin de faire face à cette situation, le Comité des Ministres, principal organe décisionnel du Conseil de l’Europe, a lancé un vaste projet de réforme de la Cour. La première étape s’est concrétisée par l’élaboration du Protocole additionnel numéro 14 et la seconde par la « Conférence ministérielle sur l’avenir de la CEDH » des 18 et 19 février à Interlaken, au cœur de la Suisse.
Afin d’assurer un meilleur fonctionnement de la Cour par le filtrage des affaires qui ont peu de chances d’aboutir, le Protocole 14 a été ouvert à la signature de tous les Etats membres le 13 mai 2004. Le texte prévoit, par exemple, qu’un juge unique, au lieu de trois actuellement, pourra décider de la recevabilité des affaires présentées devant la Cour. De même, en cas de requêtes répétitives portant sur des affaires similaires, la décision pourra être rendue par trois juges au lieu de sept. Ou encore, le Comité des ministres pourra saisir la Cour si un Etat refuse d’exécuter un jugement à son encontre. Dernier Etat à ne pas avoir ratifié le Protocole, la Russie l’a finalement adopté lors de la Conférence d’Interlaken permettant son entrée en vigueur au 1er juin 2010.
La Conférence de février a également permis la rédaction d’une déclaration réaffirmant les principes fondamentaux guidant la Cour. C’est le cas notamment du droit au recours individuel, de l’importance du principe de subsidiarité, ou encore de l’exécution des jugements. Un « Plan d’Action » a également été adopté imposant notamment aux Etats membres, au Comité des Ministres ou encore à la Cour elle-même d’assurer le respect des principes réaffirmés et l’exécution du Protocole 14. Le Comité dispose de cinq ans pour s’assurer que les mesures prises sont suffisantes et agir dans le cas contraire.
Si le protocole 14 et la Conférence d’Interlaken ont apporté des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par la Cour, d’autres questions restent en suspens, deux principalement.
La première touche à l’adhésion de l’Union Européenne à la CEDH. En effet, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne au 1er Décembre 2009, l’Union Européenne (UE) a acquis la personnalité juridique. Grâce à ce nouveau statut et à la ratification du Protocole 14, l’UE est désormais membre à part entière de la CEDH. C’est une grande avancée, cependant rien n’a été prévu quant aux modalités de mise en œuvre. Comment la CEDH et la Cour de Justice de l’Union Européenne vont-elles désormais interagir ? Les 27 membres de l’UE vont-ils se retirer au profit d’une présence unique ou sera-t-elle traitée comme un 28e membre ?
La seconde fait suite aux constatations du rapport de la Cour de 2008. Avec 94% d’affaires irrecevables, la CEDH a de facto abandonné sa mission de protection individuelle des droits de l’Homme pour se concentrer uniquement sur les questions de Droit les plus importantes. Certains Etats et personnalités comme Luzius Wildhaber, magistrat Suisse et prédécesseur de Jean-Paul Costa, souhaiteraient que le modèle de la Cour Suprême Américaine soit adopté donnant ainsi un statut « de jure » à la situation décrite. Cette position ne fait pas l’unanimité et a rencontré une vive opposition. L’avenir de la Cour sort donc clarifié de cette conférence, son modèle, hélas, plus incertain.
Olivier Broussais
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