Bête noire d’un grand nombre d’étudiants, beaucoup d’entre eux ne garderont pas un bon souvenir de cet animal curieux qu’est la cause. Celle-ci ne recueille pas l’unanimité : traitée « d’hippogriffe impossible à maîtriser » par le professeur Philippe Rémy1, elle fait également l’objet d’une plaisanterie bien connue et citée de nombreuses fois notamment par le professeur Denis Mazeaud reprenant le professeur Rouast « Si vous avez compris la cause, c’est qu’on vous l’a mal expliquée »2.
La cause, because…
Pourquoi la cause ? Qui est-elle ?
Ce n’est pas le Code civil qui peut nous aider. Pourtant, plusieurs de ses articles traitent de la cause. Elle est une condition de validité du contrat dans l’article 1108 du Code civil à côté du consentement, la capacité et l’objet tandis que les articles 1131, 1132 et 1133 du Code civil qui lui sont consacrés n’en donnent aucune définition. C’est dans les apports doctrinaux de Domat puis dans ceux de Pothier qu’il faut en rechercher la signification. En effet, leurs contributions ont convaincu les rédacteurs du Code civil d’y introduire la notion de cause.
Selon Pothier, la cause serait la réponse à la question « cur debetur » que l’on peut traduire par « pourquoi m’engager ? ». Elle s’oppose ainsi à l’objet qui lui est la réponse à la question « quid debetur » ou « à quoi je m’engage ». Il serait légitime de s’interroger sur l’opportunité de l’introduction d’une telle condition de validité du contrat. Beaucoup d’auteurs3 voient derrière cette notion de cause la notion plus sociale de l’intérêt à contracter : l’individu contracte car il y voit un intérêt. En introduisant la cause dans le Code civil comme condition de validité du contrat, les rédacteurs du Code civil ont souhaité a contrario qu’aucun contrat ne puisse exister si l’individu qui s’engage n’en retire aucun intérêt.
La notion de cause recouvre deux intérêts distincts mais interdépendants. Le premier intérêt est la contrepartie immédiate que le débiteur reçoit en contrepartie de son engagement : je paye mais c’est pour acquérir en contrepartie une voiture. Le second intérêt recouvre les mobiles qui ont pu pousser une partie à s’engager : j’acquiers une voiture car j’en ai besoin pour mon nouveau travail. Ainsi reconnaît-on derrière ces exemples la dichotomie familière entre la théorie cause objective et la théorie de la cause subjective).
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La cause objective est reprise à l’article 1131 du Code civil « Est sans effet, l’obligation sans cause ou sur fausse cause ». Ce dernier implique qu’en l’absence de contrepartie immédiate pour le débiteur d’un engagement, le contrat encourt la nullité pour absence de cause de l’obligation. Cette cause est par définition toujours la même pour le même type d’obligations ou de contrat, les mobiles ayant déterminé l’engagement sont donc exclus du contrôle de cette cause objective. Pour chaque engagement résultant d’un contrat nommé, le juge vérifie si la cause attendue en principe existe. En ce qui concerne les engagements ou contrats dits innommés car non traités spécifiquement dans le Code civil, la vérification s’effectue selon une règle simple : dans le contrat synallagmatique, générateur d’obligations réciproques, la cause de l’obligation de l’une des parties réside dans la contre-prestation constitutive de l’obligation de l’autre partie. Dans le contrat unilatéral à titre onéreux tel que la reconnaissance de dette, la cause est constituée par l’obligation antérieure en considération de laquelle la personne s’engage (par exemple, le prêt d’argent). Dans le contrat unilatéral à titre gratuit, la cause réside dans un motif : l’intention libérale. C’est là que les difficultés commencent, la cause de la théorie classique est objective, cependant dans les contrats à titre gratuit, elle est un motif4 et devient subjective.
La cause subjective s’attache aux motifs qui ont déterminé l’engagement d’une partie. Sur le fondement de l’article 1133 du Code civil, le juge contrôle leur licéité : « La cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ». C’est sur ce fondement que la célèbre jurisprudence sur les libéralités entre concubins a rayonné5.
La cause du malaise…
Lorsqu’un manuel de droit, quel qu’il soit, traite de la cause, il ne peut s’empêcher de mettre en lumière les querelles et polémiques ayant entouré l’avènement de ce concept dans le Code civil. « La cause inutile » était le slogan que scandaient les anti-causalistes du début du XIXe siècle emmenés par PLANIOL6.
Aujourd’hui, la cause a acquis un rayonnement qui dépasse les prévisions de 1804. Les arrêts Point vidéo7 et Chronopost8 en sont les plus fiers exemples. Ceux-ci participent au mouvement jurisprudentiel de subjectivisation de la cause objective. Dans la première espèce, un couple avait souhaité créer un vidéo club dans une commune de 1318 habitants. Pour cela, les époux avaient loué à une société deux cent vidéos cassettes pour une durée de huit mois moyennant le versement d’une somme de 40 000 francs hors taxe. Saisis d’une demande en paiement de la somme par la société locataire des cassettes, les époux refusent de payer. La Cour de cassation décide alors, en rendant un arrêt surprenant de soutenir la Cour d’appel qui avait déduit du cas d’espèce que la cause, mobile déterminant ayant incité le couple à contracter, était la diffusion certaine des cassettes vidéos auprès de leur clientèle. Elle en avait donc conclu que dans une commune comportant un nombre aussi restreint d’habitants, l’objectif de diffusion certaine ne pouvait être atteint et que le contrat ne pouvait être exécuté selon l’économie voulue par les parties, ce qui justifiait de prononcer la nullité pour absence de cause.
Dans l’arrêt Chronopost, une société comptait sur la rapidité de l’envoi Chronopost pour qu’une soumission à adjudication parvienne à destination dans les 24 heures de l’envoi. Or par deux fois, la société Chronopost a failli à sa mission entraînant un manque à gagner certain pour la société expéditrice. Alors que la société Chronopost se prévaut d’une clause limitative de responsabilité, l’expéditrice saisit la justice. La Cour de cassation décide alors au visa de l’article 1131 du Code civil, que cette clause vidait de sa substance l’obligation essentielle de rapidité et que par conséquent, elle devait être réputée non écrite.
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Ces deux arrêts sont en contradiction flagrante avec le principe de la cause objective. Dans la première espèce, les juges retiennent que la cause objective du contrat est le profit que les époux auraient pu réaliser alors quil s’agit là d’un motif et que la cause objective aurait dû seulement être cantonnée à la mise à disposition des vidéos cassettes. Il en est de même dans l’arrêt Chronopost : par le visa qu’ils utilisent, les juges rattachent l’obligation essentielle à la notion de cause. On peut donc en déduire que, selon eux, l’obligation de rapidité était la cause de l’engagement de payer de la société expéditrice. Ceci contribue à mettre encore à mal la théorie de la cause objective qui, si on l’appliquait, conduirait à déduire que la cause de l’engagement de payer de la société expéditrice est le simple envoi du pli. En incluant la rapidité de l’envoi dans le contrôle de l’existence de la cause, la Cour de cassation s’attache aux motifs qui ont poussé la société expéditrice à contracter, motifs qui sont normalement exclus de ce contrôle.
Ces arrêts sont donc des pierres participant à l’édifice d’une nouvelle cause objective dite subjectivisée. Appliquée dans de nombreux autres arrêts, cette cause dérange car elle est génératrice de dérives. Elle laisse toute liberté au juge pour rechercher parmi les motifs qui ont poussé les parties à contracter, celui qui aurait déterminé le consentement, et pour évaluer si le contrat a permis de réaliser ce motif. En outre, tout contractant déçu par une affaire pourrait arguer de ce que le contrat est nul pour absence de cause pour se dégager d’une affaire devenue encombrante. Cependant ces arrêts peuvent être salués car ils s’adaptent au marché. Il est évident dans l’arrêt Chronopost que l’intérêt de contracter avec Chronopost est la garantie de rapidité, à défaut, l’expéditrice n’aurait pas contracté avec cette société.
La cause objective a dépassé les prévisions de 1804. Elle est devenue aujourd’hui un instrument pour le juge de réfaction des contrats au nom d’un idéal de justice contractuelle.
Il faut le rappeler, de prime abord, le contrôle de l’existence de la cause ne donne pas lieu à un contrôle de l’équivalence des prestations. Le juge doit seulement vérifier que la cause de l’engagement existe ou qu’elle n’est pas dérisoire. L’obligation de l’un des contractants a une cause dès lors que l’autre partie lui fournit une contrepartie réelle, même si celle-ci est inférieure à la première9.
La justice contractuelle s’est d’abord matérialisée au moyen de la jurisprudence sur les obligations essentielles donnant à la cause objective un rôle de « Police des clauses ». L’arrêt le plus connu en la matière est bien évidemment notre célèbre arrêt Chronopost. Cet arrêt à ceci de particulier que les juges de cassation exhortent ceux du fond à réputer non écrite une clause limitative de responsabilité « satisfait ou remboursé » applicable à la mauvaise exécution ou à l’inexécution d’une obligation essentielle rattachée par le visa de l’arrêt à la cause objective.
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Cet arrêt est remarquable car il utilise l’article 1131 du Code civil pour éliminer une clause problématique d’un contrat. Le juge s’octroie ainsi un véritable pouvoir de réfaction des contrats. Mais pourquoi cette clause est-elle éliminée et plus encore sur le fondement de la cause ?
Les juges justifient cette élimination par le fait que son existence vide la cause de l’obligation essentielle de rapidité de sa substance. Pour que cette obligation puisse avoir de nouveau une cause, cette clause doit être éliminée. C’est donc un raisonnement à revers de celui qui est classiquement adopté concernant l’existence de la cause : ce n’est plus « éliminer car vidée mais éliminer car vide ». Deux lectures de cette jurisprudence peuvent être effectuées : la plus logique consiste à dire qu’évidemment, une clause « satisfait ou remboursé » ne fait pas prendre de risque à la société Chronopost. S’il n’y a aucun risque pour le débiteur de l’obligation de rapidité à ne pas l’exécuter, aucune contrepartie n’est offerte à son contractant10. En deuxième lecture, on pourrait déduire de cet arrêt que la Cour de cassation condamne systématiquement l’existence de clauses limitatives de responsabilité concernant l’inexécution d’obligations essentielles.
L’arrêt dit « Faurecia » rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble nous faire pencher pour la deuxième lecture11. En l’espèce, la clause limitative de responsabilité était tout de même plafonnée à la somme de 200.000 euros. La Cour de cassation énonce cependant que l’inexécution d’une obligation essentielle est de nature à faire échec à une clause limitative de réparation.
Les professionnels ne pourraient donc plus limiter le montant dû au titre des réparations en cas d’inexécution de l’obligation essentielle. Le raisonnement de la Cour de cassation sur le fondement de la cause attire des critiques : le contrôle de l’existence de la cause mène le juge à constater qu’un contrat ou une obligation n’a pas de cause si celle-ci n’existe pas ou est dérisoire. En l’espèce, rien de dérisoire dans la somme de 200.000 euros. Cette jurisprudence plus qu’incertaine est très handicapante pour le monde des professionnels dont le travail est de négocier des contrats commerciaux. En outre, cette jurisprudence est une atteinte à la liberté des parties d’établir leur contrat sans l’intervention de l’Etat12.
Preuve que la justice contractuelle est une préoccupation du juge aujourd’hui, la cause de l’article 1131 du Code civil a fait l’objet d’une énième déformation, permettant au juge de contrôler sur son fondement, l’équivalence des prestations dans un contrat.
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En marge de l’absence de cause, l’article 1131 du Code civil traite également de la fausse cause. La jurisprudence et la doctrine ne lui portent que très peu d’intérêt car elles l’ont très tôt confondue avec l’absence de cause. Etant définie comme l’absence objective de toute raison d’être de l’obligation qui n’a d’autre fondement que l’erreur, il est logique de dire que si l’obligation a été contractée sur fausse cause, l’obligation n’a alors pas de cause.
Cette théorie a cependant connu dernièrement un regain d’intérêt de par l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 mars 200313. En l’espèce, une vieille femme avait consenti une reconnaissance de dette au profit de son neveu d’un montant de huit cent mille francs, censée correspondre à un prêt que celui-ci lui aurait consenti. Quelque temps plus tard, elle agit en annulation de l’acte. La Cour d’appel constate qu’elle était bien débitrice à l’égard de son neveu mais d’une somme moindre et prononce la nullité de la reconnaissance de dette pour fausse cause. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour violation de l’article 1131 du Code civil au motif que la fausseté partielle de la cause n’entraînerait pas l’annulation de l’obligation mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante. Cet arrêt consacre donc un principe d’équivalence des prestations, sur le fondement duquel, le juge pourra s’introduire dans un contrat, apprécier la valeur de chaque prestation, et les réduire et les augmenter à sa guise afin de parvenir à l’équilibre absolu du contrat.
L’arrêt rendu par la même chambre civile de la Cour de cassation le 3 avril 2007 instaure une limite à ce principe d’équivalence en refusant de l’appliquer dans le cadre de contrats synallagmatiques14. La solution de 2003 semble donc être cantonnée aux contrats unilatéraux.
L’utilisation de la cause pour éliminer les clauses problématiques d’un contrat et rééquilibrer les contrats, procède d’une démarche noble mettant en avant la justice contractuelle. Cependant, c’est la liberté contractuelle qui en « prend un coup ». Le contrat qui devrait être la loi des parties devient la loi du juge qui n’hésite pas à déformer la notion de cause pour arriver à ses fins.
La cause est devenue une notion trouble, difficile à maîtriser. Elle apparaît aujourd’hui comme un « instrument tentaculaire » qui trouve à s’appliquer là où personne ne l’attendait. Comme le dit le professeur Jacques Ghestin : « L’obscurité de cette notion, la diversité de ses définitions selon la fonction qu’elle est amenée à remplir, en font la providence des plaideurs, parfois des juges et même des auteurs en panne d’arguments juridiques15. » De nombreuses critiques s’élèvent contre la cause, certaines préconisant sa suppression du Code civil.
A l’heure où l’Union Européenne souhaite élaborer un Cadre commun de référence codifiant au niveau européen le droit des contrats16, à l’heure où en France l’ancien projet dit « Catala » et aujourd’hui le nouveau projet de la Chancellerie s’engagent à réformer le Titre III du Livre III du Code civil concernant la matière contractuelle, quel avenir pour la cause ?
Au niveau international, quatre projets de droit des contrats retiennent l’attention : le projet de code européen des obligations ou projet Gandolfi, les principes européens du droit des contrats établis par la commission Lando, les Principes directeurs du droit des contrats ainsi que les principes d’UNIDROIT. Dans ces nombreux projets, au mécanisme de l’existence de la cause est préféré celui de la « lésion qualifiée ». La lésion qualifiée permet le rééquilibrage du contrat en cas de disproportion évidente entre les prestations si cette disproportion a été déterminée par l’exploitation de la gêne, de la légèreté, de l’inexpérience de l’une des parties par l’autre. Le juge devrait donc, pour pouvoir procéder à la rescision du contrat, apprécier la disproportion manifeste entre les prestations, la valeur du consentement lésé, la faute de l’autre partie. On est très loin de la théorie classique de l’absence de cause. La lésion qualifiée ne propose qu’un rééquilibrage des contrats en faveur du plus faible tandis que la cause assure l’accomplissement de son intérêt pour tout contractant. Ces projets signent donc l’arrêt de mort de la cause franco française.
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Ces projets européens n’ont cependant pas mené la cause à l’échafaud. Au contraire, celle-ci fut à l’honneur dans le projet Catala, légitimée dans toutes ses applications jurisprudentielles dérangeantes. Le terme « cause » n’est toutefois pas repris dans le nouveau projet de la Chancellerie. Celui d’ « intérêt » lui a été préféré. Cela change-t-il quelque chose ? Non, le terme est abandonné mais l’esprit est bien là. L’existence de l’intérêt au contrat sera contrôlée par les tribunaux français à l’instar de l’existence de la cause aujourd’hui. Les auteurs de ce projet rassurent sur cette notion d’intérêt : celle-ci ne recouvrira pas les motifs qui ont pu déterminer le contrat. La jurisprudence « Point vidéo » est donc révoquée à jamais. Cependant, la notion très subjective d’intérêt pourra-t-elle éviter de telles dérives ?
Chers étudiants, la cause n’est pas encore prête à disparaître de notre programme de droit des obligations. « Diviser pour mieux régner », c’est un peu l’histoire de notre chère cause.
Elise MIALHE
Avocate-stagiaire
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Notes |
[1] RDC 2004 p. 1169 obs. Ph. RÉMY |
Merci pour cet article explicatif , la cause est une notion qui me passionne beaucoup en droit des obligations.
ne pourriez-vous pas me faire , si possible , parvenir quelques articles concernant cette notion en pdf sur mail !