L’un des principaux enseignements de la crise que nous traversons aujourd’hui est qu’aucune institution n’est à l’abri : les entreprises les plus robustes et les organismes financiers les plus réputés continuent de s’enfoncer inéluctablement alors que les plans de sauvetage massifs mis en place par les autorités publiques peinent à rassurer les marchés.
Dans ce contexte, les fonds souverains occupent une place de plus en plus importante. Dédaignés dans la phase pré-subprimes, puis courtisés par obligation, ils suscitent une appréhension croissante.
Avec des ressources qui concentrent plus de 3000 milliards d’euros, les fonds souverains ont ainsi participé depuis le début de l’année à la recapitalisation de plusieurs institutions financières de premier plan. Dans la plus grande discrétion, ils entrent au capital des géants de l’industrie, de l’aéronautique et du secteur bancaire. Leurs investissements, au gré des défaillances et des renversements d’alliances, devraient aller en s’accélérant, soulevant de manière de plus en plus aigüe la question de leur gouvernance d’entreprise.
Concernant plus précisément les fonds souverains du Moyen-Orient, il faut comprendre que leurs investissements sont l’expression d’une confiance en notre avenir et d’une volonté d’accompagnement sur le long terme. Les fonds des émirats du golfe arabo-persique sont d’ailleurs généralement invités à entrer au capital des sociétés et ont pris l’habitude d’éviter les situations hostiles.
La stratégie des fonds du Golfe est d’ailleurs très claire : leur participation au capital des très grandes sociétés se veut minoritaire, 5%, rarement au-delà de 10%. Ils ne demandent aucune participation au management opérationnel et n’exigent aucune contrepartie particulière, que ce soit en matière de transfert de technologie ou d’engagement industriel.
Ce qui est souvent analysé comme de l’opacité dans leur conduite des affaires relève plutôt de la précaution. Les fonds souverains du Moyen-Orient souhaitent rester discrets sur leurs intentions pour éviter toute spéculation sur leurs actifs. Ils ont en effet parfois souffert d’être considérés comme des sources d’argent facile alors que leur vocation première est de protéger l’argent public et de construire l’avenir de leurs pays et celui des générations suivantes, en préparant l’après pétrole.
Le rôle que vont jouer à l’avenir les fonds souverains, et notamment ceux du Moyen-Orient, dans l’économie mondiale sera de toute manière très significatif et doit être perçu davantage comme une chance pour le système financier, les entreprises et les emplois, qu’une menace.
Ce constat ne nous exempte pas de prendre un certain nombre de précautions structurelles, permettant de concilier notre souci légitime de garantir la pérennité de nos grandes entreprises et la volonté des fonds souverains de bénéficier pleinement de la valeur générée. Pourquoi ne pas créer, à l’initiative de la France, un fonds de fonds souverains dont les règles de gouvernance garantiraient cette double légitimité dans la durée ? L’argent des fonds souverains pourrait venir en appui du fonds stratégique proposé par le Président de la République, donnant à cet outil une réelle force de frappe pour encourager la reprise.
Le monde de l’après-crise ne sera plus occidental mais ne sera pas non plus « chinois », ni « arabe » ; ce sera un monde plus équilibré tant en matière d’influence financière et politique qu’en terme de répartition des richesses mondiales. Il est du devoir de nos dirigeants d’expliquer à nos concitoyens la logique positive de ces investisseurs, tout en définissant un cadre partenarial protégeant les intérêts vitaux de chacun.
C’est en bâtissant ensemble une histoire commune et un partenariat fort que nous pourrons être partie prenante du redressement de notre économie.
Guy ALVES
Co-Président du groupe BYGMALION
Maître de conférences à Sciences Po Paris