Faire des plateformes développées par les legal startups l’outil privilégié des juristes, accompagner l’essor des digital workplace, et consacrer ce temps gagné au profit de l’humain. Tels sont les projets d’Alexandre Morey, directeur juridique, optimiste et idéaliste, de SNCF Transilien. Rencontre avec un geek du droit.
Une croissance exponentielle de la LegalTech
Les plateformes numériques créées par les legal startups prolifèrent depuis quelques mois dans l’univers juridique. Adulées ou décriées par les juristes et les avocats, elles s’imposent comme une étape stratégique de l’histoire du monde du droit.
Pour Alexandre Morey, les services proposés par les legal startups constituent un point de rupture positive en matière de qualité et de facilité d’accès au droit.
« Les solutions disponibles ou en cours de conception permettent d’accéder à un niveau de performance très positif pour l’avenir des professions du droit. L’innovation digitale va permettre de dépasser les vaines querelles de positionnement, pour augmenter la volumétrie du travail à haute valeur ajoutée et opérationnaliser le savoir-faire »
En matière de recherche juridique par exemple, une start-up comme Doctrine.fr introduit une évolution majeure. Si les sites traditionnels offrent de nombreuses qualités, ils souffrent d’une double limite liée au degré de pertinence des réponses apportées, ainsi que d’une accessibilité technique et financière réservée aux seuls experts. Cette nouvelle offre digitale bouleverse les codes de la profession, en proposant une application concrète de la vision du futur du droit.
Une mutation des carrières juridiques
Si la LegalTech bouscule les modes classiques de travail et réinvente l’accès au droit, cette médaille peut présenter un revers. Que vont devenir les secrétaires juridiques, paralegal, ou encore les juristes junior à qui l’on attribue traditionnellement les tâches très formelles voire répétitives ?
« Grâce à la robotisation grandissante de nombreuses tâches chronophages (NDA, due diligence, portefeuille de marques …) il est évident que plusieurs métiers vont devoir progressivement évoluer, notamment vers un positionnement « data » qui constituera une ressource essentielle au sein des DJ »
Les juristes ne vont pas disparaître au profit des robots, mais ils devront évoluer en s’adaptant à cette (r)évolution amorcée. « Les juristes, et notamment les générations Y et Z, ont une capacité d’innovation exceptionnelle. On dépeint souvent à tort les juristes comme ayant des difficultés à évoluer. Il y a clairement des réticences, peu importe d’ailleurs le nombre d’années d’expérience ou le niveau hiérarchique des personnes concernées, mais celles-ci sont rapidement levées lorsque les perspectives bénéfiques sont expliquées et que la capacité d’adaptation est souhaitée et encouragée par le top management. »
Le temps gagné grâce à ces solutions numériques doit par ailleurs permettre aux juristes, aux étudiants, de concrétiser leur réelle ouverture au monde qui les entoure, via par exemple le mécénat de compétences ou les legal clinic. « Le temps gagné grâce à la machine doit bénéficier au plus grand nombre, et contribuer à l’universalité de l’accès au droit ».
Cet accès au droit doit également être facilité en interne, les directions juridiques souffrant encore aujourd’hui de l’image du juriste difficilement accessible, qui n’a pas tous les outils utiles pour être aussi réactif et efficient que les opérationnels le souhaiteraient. Avec les promesses offertes par les IA, comme Ross Intelligence (Watson), ou un simple chatbot, les opérationnels pourraient accéder en temps réel à une première phase de compréhension de leur problématique, lire des réponses formatées sur des sujets simples, mais surtout être orienté sur le bon interlocuteur, et pourquoi pas consulter des notes et mémos rédigés par la direction juridique. « L’objectif est très clairement de toucher l’ensemble des salariés sur les problématiques juridiques de chaque business unit. Amener la fonction juridique au plus près des opérationnels est un défi immense, mais qui répond à l’évolution du monde des affaires, et la révolution digitale peut permettre de trouver une solution qu’aucune structure n’est à ce jour en mesure de proposer ».
Une mutation induite par la génération Y
« Les étudiants d’aujourd’hui et demain sont précurseurs, ils manient au quotidien leur smartphone qui est devenu leur outil privilégié de communication, d’interaction, de partage, avant, pendant et après les cours. Il faut réussir à mobiliser ces outils dans le monde professionnel ». Ce cloisonnement entre outils professionnels et personnels, parfaitement intégré par les étudiants au gré des cours et analyses de jurisprudences sur l’utilisation des réseaux sociaux, est aujourd’hui en train de disparaître.
La mise en place d’agents conversationnels sur des plateformes que tout le monde utilise, à l’instar de Facebook Messenger, la maîtrise de la blokchain, la gestion de projet juridique et contractuel via le cloud ou sur une plateforme collaborative (ex : Slack), la construction d’un schéma narratif avec une IA … Qui d’autres que les étudiants actuels et futurs sont les mieux placés pour manier et développer ces outils ?
« Les legal start up vont permettre de rendre les directions juridiques encore plus accessibles et performantes. Les IA, que ce soit celles promettant des gains de performance ou celles analysant l’aléa judiciaire, permettront de mettre le droit au cœur de tous les processus décisionnels, et au service de celles et ceux qui en exprime le simple besoin ».
« Passons d’un discours de volonté de réforme perpétuelle des professions du droit, à l’action concrète de modernisation de la fonction juridique. L’innovation digitale est une chance immense pour les juristes, et un avantage décisif pour celles et ceux qui s’inscriront positivement dans cette démarche »
Pour faire un focus sur une matière enseignée par ce directeur juridique au sein de l’UFR Droit et Science politique de l’Université de Bourgogne, les juristes spécialisés en contrats et marchés publics exécutent un très grand nombre d’actes de formalisme, ce qui peut se révéler décourageant, surtout pour un jeune juriste. Il peut être nécessaire, dans ce cas, qu’une solution digitale prenne le relai. Or, les directions juridiques sont les seules capables de comprendre et maîtriser l’intégralité de la chaîne de savoir et d’expertise interne, et donc l’efficience opérationnelle de chaque structure. « Les juristes ont un avantage théorique exceptionnel : réussir, grâce à l’appui de ces solutions numériques et au data, à réaliser la synthèse des différents défis touchant tous les milieux du droit. »
« Un directeur juridique, un associé, se doit de rechercher la mise en œuvre de toutes les ressources digitales permettant d’améliorer le temps passé et la qualité de vie au travail. Les juristes doivent pouvoir travailler en parfaite autonomie, et ce en tous lieux et selon leur propre équilibre, le plus important étant à mon sens d’avoir un(e) juriste motivé(e) et compétent(e) »
En définitive, non seulement les juristes ne sont pas voués à disparaitre, mais les IA et autres legal robotsrenforceront au contraire leur prédominance au sein du monde de l’entreprise et de la relation client/avocat.
La justice prédictive, un outil intéressant pour la prise de décision
« Les plateformes de justice prédictive sont des outils intéressants pour tous les juristes qui sont confrontés à un volume de contentieux conséquent, notamment sur des problématiques commerciales ou sociales ». Le potentiel de cette solution d’analyse prédictive de l’aléa judiciaire est prometteur sur au moins deux aspects, d’une part la capacité offerte aux juristes de bénéficier d’une recherche analytique sur les conséquences financières de chaque problématique concernée, d’autre part et surtout, pouvoir anticiper et adapter au besoin la stratégie contentieuse et gagner en efficacité dans le processus d’aide à la décision du top-management.
Le niveau de maturité de cette solution étant à ce jour à consolider, comme pour beaucoup d’autres legal startup, les avantages promis par la LegalTech (Case Law Analytics ou Predictice par exemple) sont à appréhender favorablement par les juristes et avocats concernés qui auront un véritable rôle de co-conception à jouer.
« La vision statique du droit est périmée, l’évolution technologique garantit l’objectif d’une sécurité juridique dynamique »
L’ordre des avocats doit-il garder la mainmise sur les legal startups ?
Le prochain bâtonnier de Paris, Marie-Aimée Peyron, envisage de garder le contrôle sur l’ensemble des legal startups. Certes, le bâtonnier de Paris n’est que le bâtonnier de Paris, mais il représente près de la moitié des avocats français, ses actions servent en général de modèle.
« S’intéresser aux legal startups, créer un incubateur, participer à des conférences sur la LegalTech, me semble traduire une volonté aussi louable que nécessaire. Si cette démarche s’inscrit en revanche dans une logique d’intégration contrainte au sein de l’ordre ou de certaines de ses règles spécifiques, cela risque de n’avoir que peu d’impact sur l’évolution du centre de gravité de la relation client qui tend vers toujours plus de sécurité juridique et de qualité du conseil, mais aussi toujours plus d’innovation et de rapidité ».
Propos recueillis par Pierre Allemand @Pierre_Ald