Le 36, quai des Orfèvres s’est surpassé ces dernières semaines : après le sexe,[1] la drogue[2] ; après un viol, un vol.
Dans la nuit du 24 au 25 juillet 2014, 52,6 kg de cocaïne d’une valeur marchande de 2 millions d’euros ont, en effet, disparu de la salle des scellés. L’ampleur de l’affaire ne doit cependant pas laisser penser qu’il s’agit d’un acte isolé. Revenons sur la gestion des scellés pour comprendre comment cela est possible…
La question de la gestion des scellés a fait l’objet de plusieurs rapports de l’IGPN[3] et du Sénat[4] ces dernières années, ainsi que d’une circulaire importante.[5]
Avant toute discussion, le scellé en cinq questions :[6]
– pourquoi ? Les scellés permettent, en particulier, la conservation des preuves ;
– comment ? Ils contiennent généralement les objets, valeurs ou documents saisis dans le cadre de l’enquête et de l’instruction ;
– quand ? Les objets saisis doivent, en principe, être immédiatement placés sous scellés ;
– où ? Sauf objets dangereux ou volumineux, les scellés sont conservés au Greffe du tribunal.
– qui ? La responsabilité du placement sous scellé judiciaire relève des magistrats enquêteurs, quand la responsabilité relative à la conservation et à la destruction de ces derniers revient au Greffe.
Les difficultés liées à la gestion des scellés sont de deux ordres : d’une part, la gestion du stock en lui-même (espaces et coûts de stockage) ; d’autre part, la sécurité.
En effet, les rapports de l’IGPN faisaient déjà état d’incidents (pertes, dégradations). Ils relevaient que ces difficultés étaient liées à une chaîne de traitement désorganisée, avec de multiples acteurs, des locaux inadaptés et une gestion non-informatisée du flux et des stocks.[7]
En ce qui concerne la multiplicité des intervenants
La chaîne des scellés est relativement simple à concevoir. Les objets sont saisis, souvent, à l’occasion de perquisitions.
Il existe une différence notoire et qui pourrait constituer une faille dans cette chaîne : les objets saisis pendant la phase d’enquête (notamment de flagrance) ne sont placés sous scellé qu’après sa clôture, à l’ouverture de la phase d’instruction.[8] Entre temps, les objets saisis ne sont pas sous la responsabilité de l’autorité judiciaire mais seulement des services de police.
Dans la phase d’information, ils doivent immédiatement être placés sous scellés, sous le contrôle du magistrat instructeur. Par la suite, les scellés sont enregistrés au Greffe où ils sont entreposés, jusqu’à leur sortie (destruction, remise au Domaine ou restitution à la personne).
Dans cette chaîne, se trouvent de nombreux intervenants : policiers, magistrats, greffiers. Lorsque les scellés sont ouverts (on dit « brisés ») pour les besoins de l’enquête, ils passent aussi dans les mains d’experts privés ou, pour les besoins du procès, ils sont transportés à la Cour.
Cette seule circonstance fait du scellé judiciaire un objet susceptible d’être soustrait par un certain nombre de personnes. Par conséquent, dès lors que le délinquant procède discrètement, il devient impossible de savoir où la sortie a pu se faire.
En ce qui concerne les locaux de stockage
Les limites matérielles empêchent une conservation des scellés sans gestion. C’est pourquoi le cadre spatio-temporel du scellé judiciaire est étroit : il existe des durées limites de conservation[9] et des consignes concernant le stockage.
Par exemple, « il est de bonne pratique de recourir à leur échantillonnage afin de limiter l’encombrement du local ».[10] C’est notamment le cas pour les produits stupéfiants. Ainsi, la destruction de ces produits illicites ou dangereux est-elle susceptible d’ajouter à la chaîne des scellés un agent, souvent de droit privé.[11]
Afin de rationaliser la gestion des stocks, les scellés judiciaires sont désormais gérés par informatique. De plus, tout nouveau programme immobilier destiné au stockage des scellés doit répondre à des critères de sécurité renforcés. En effet, les différents rapports ont tous constatés que de nombreux locaux sont encore trop peu sécurisés.
L’avenir des scellés judiciaires
La garde des Sceaux avait annoncé le 5 mars 2014, sur France Inter : « Nous sommes en train de réorganiser les scellés parce qu’il y a un relatif arbitraire dans la façon de les conserver, dans la durée de leur conservation et ce malgré des circulaires qui existent déjà sur leur gestion. Nous avons conduit une étude d’évaluation par l’administration centrale qui a travaillé sur vingt-huit tribunaux de grande instance et sur vingt-et-une cours d’appel. (…)
Nous sommes donc en train d’avancer, nous sommes en train de développer des résultats parce qu’il faut rationaliser ».
Bonus : l’affaire du 36’
Que risquent les policiers qui auraient délesté les locaux du 36, quai des Orfèvres de 50 kg de cocaïne ?
Les auteurs de l’infraction, s’il s’agit effectivement de policiers, risquent les peines suivantes :
– 10 ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende pour soustraction, par une personne dépositaire de l’autorité publique, de tout objet qui lui est remis en raison de ses fonctions (C. pén., art. 432-15) ;
– 10 ans d’emprisonnement et 7 500 000 euros d’amende pour transport et détention illicite de stupéfiants (C. pén., art. 222-37 ; infraction susceptible de faire l’objet d’une mesure de sûreté) ;
– 10 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende pour blanchiment aggravé (C. pén., art. 324-1 et 324-2).
Les suspects ont été mis en examen et seront donc renvoyés devant le Tribunal correctionnel de Paris si le juge d’instruction le décide au terme de son information.
Antonin Péchard
[1] V. par ex. TABET M.-C., « Quai des Orfèvres : l’ADN qui compromet les policier », Le journal du dimanche, 29 juin 2014 (http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Viol-presume-du-36-quai-des-Orfevres-l-ADN-qui-compromet-les-policiers-673831).
[2] V. dernièrement SEELOW S., « Vol de cocaïne au « 36 » : le deuxième policier suspendu », Le Monde.fr, 7 août 2014 (http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/08/07/vol-de-cocaine-au-36-le-deuxieme-policier-suspendu_4468817_3224.html)
[3] IGPN, « Rapport sur la gestion des véhicules en fourrière et des objets sous scellés judiciaires », déc. 2007 ; « Rapport sur la gestion des scellés », déc. 2009.
[4] TASCA C., « Projet de loi de finances pour 2014 : Justice judiciaire et accès au droit », Rapport rendu au nom de la commission des Lois du Sénat, 21 nov. 2013.
[5] Circ. conjointe relative à la gestion des scellés (NOR : JUSB1134112C), 13 déc. 2011.
[6] V. en particulier : C. pr. pén., art. 56, 74, 76 et 97.
[7] Depuis la mise en place de CASSIOPEE, les scellés judiciaires sont enregistrés sur une base nationale accessible dans tous les tribunaux de France, mais ne concerne que les objets saisis depuis 2011.
[8] C. pr. pén., art. 19.
[9] Pour les besoins de la Cour d’assises, le condamné peut désormais s’opposer à la destruction des scellés judiciaires le concernant lorsque le Procureur en fait la demande (C. pr. pén., art. 41-6 ; L. n° 2014-640 du 20 juin 2014, art. 1).
[10] Circ. précit.
[11] Circ. précit. : concerne les munitions, les armes, les contrefaçons, les faux documents, les machines à sous, les stupéfiants et matériel de fabrication, les papiers d’identité, etc.