Nicolas Guérin, fraichement élu président du Cercle Montesquieu, l’association des directeurs juridiques français, va avoir fort à faire. Alors que le combat pour l’avocat en entreprise n’avance pas et que de nouvelles pratiques du droit émergent avec les legal start-up, il doit concilier sa présidence du cercle avec son poste de directeur juridique du groupe Orange.
Le Grand Juriste. Quels sont vos objectifs en tant que Président du Cercle Montesquieu ?
Nicolas Guérin. Mon premier objectif est de capitaliser sur ce qui a été créé par mes prédécesseurs, et notamment les événements comme les Débats du Cercle ou bien les diners réunissant les membres qui sont très appréciés.
Le deuxième objectif est de professionnaliser notre association afin qu’elle pèse encore davantage dans les débats autour de l’évolution du droit en France. Ceci passe par exemple par l’accentuation de notre collaboration avec d’autres associations comme l’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) ou encore l’Association of Corporate Counsel (ACC). Mais cette collaboration pourra également se faire avec nos collègues avocats ou avec des professeurs de droit.
Un troisième objectif est d’internationaliser le Cercle. Très nombreux sont nos membres à avoir des équipes à l’étranger et plus nombreux encore sont ceux qui doivent intervenir dans un environnement international. A titre d’exemple, la fonction juridique d’Orange est présente dans plus de 39 pays et au siège, nous avons des juristes de 14 nationalités différentes.
Une quatrième priorité est la question de l’avocat en entreprise. Il s’agit de faire comprendre aux avocats que tout le monde a intérêt à ce que cette réforme passe pour défendre l’exercice du droit à la française. Une dernière priorité sera d’améliorer les sources de financement de l’association ainsi que le nombre et la diversité de ses membres. Notre ambition est de faire du Cercle un référent du monde juridique.
LGJ. Vous parlez de votre action en faveur du legal privilege pour les juristes, mais cela fait très longtemps que vous vous battez pour ça ! Pensez-vous que cela arrivera un jour ?
N.G. Aujourd’hui, nous ne sommes plus comme il y a quarante ans où le débat était un débat de place, un débat intellectuel. Maintenant le problème est très concret et les échéances immédiates. Toutes les professions se mondialisent. Chez Orange, j’ai dans mes équipes une ribambelle d’avocats étrangers. En France j’ai 20% de mes effectifs qui sont des anciens avocats dits “omis”. Je reçois également chaque année des avocats en détachement qui soit deviennent juristes dans l’entreprise soit retournent forts de cette expérience dans leur cabinet d’origine. Ce ne sont que des exemples des très nombreuses passerelles qui existent déjà entre le métier d’avocat et celui de juriste. Mais malgré ces réalités, certaines institutions représentatives des avocats continuent de s’opposer au rapprochement de nos professions. A l’étranger, tout ceci se fait naturellement, il n’y a qu’en France où on continue à voir un problème dans la fusion des professions juridiques.
Le CNB a lancé une consultation aux différents barreaux pour leur demander s’ils étaient pour ou contre un projet d’avocat libéral en entreprise. Il serait intéressant d’étudier attentivement les réponses apportées pour voir si tout ceci est cohérent ou bien si les positions exprimées relèvent plutôt d’une méconnaissance de ce qu’est aujourd’hui l’exercice en entreprise du droit et la collaboration très riche qui existe entre juristes d’entreprise et avocats… Mon avis, mais cela n’engage que moi, est que peu nombreux sont les avocats qui sont vraiment au courant de ce qu’est un juriste d’entreprise. Les seuls qui le savent sont les avocats d’affaires, qui eux me semblent soutenir la réforme.
LGJ. On entend souvent parler de la compétitivité du droit français, quel enjeu se cache derrière ?
N.G. Je vais vous donner un exemple très concret. La tentation est forte pour les entreprises de localiser leur direction juridique à l’étranger. Si j’émets une position juridique en France, je ne suis pas protégé alors que si je rends cet avis dans la plupart des autres pays, cet avis le sera. Quelle raison a une direction juridique d’être localisée en France alors que si elle est localisée à l’étranger, la pratique du droit par ses directions est plus sécurisée ? Et, si on localise à l’étranger une direction juridique, par exemple en Espagne, vous imaginez que l’on va essentiellement recruter des juristes locaux, et que vont faire ces juristes si ce n’est à leur tour faire appel à des avocats espagnols, saisir les juridictions espagnoles plutôt que françaises, soutenir les universités et l’enseignement local, etc.
LGJ. Dans l’optique d’une réforme, est-ce que l’on aurait que des juristes qui ont le CAPA, ou d’un côté des juristes qui ont le CAPA et d’autres seulement juristes ?
N.G. Il y a énormément de projets différents. Dans le projet dans sa dernière version, il y a un “double tableau”. Un tableau A avec des avocats classiques, qui peuvent plaider, avoir plusieurs clients, etc. Et un tableau B avec des avocats qui ne peuvent pas plaider et ayant un seul client : une entreprise. L’idée n’est pas d’avoir une profession totalement harmonisée, mais d’avoir une seule profession connue et reconnue avec des passerelles pour passer facilement d’un tableau à un autre.
LGJ.Vaut-il mieux avoir le CAPA et/ou avoir fait ses armes en cabinet pour être juriste ?
N.G. Je ne pense pas qu’il soit indispensable d’avoir fait une formation de 18 mois quand on a déjà fait par exemple cinq ans de droit, surtout quand la formation est en partie axée sur des matières qui ne seront pas indispensables pour un juriste d’entreprise.
En entreprise ce que nous cherchons c’est au contraire la diversité. Dans notre département concurrence par exemple, nous allons chercher à recruter un juriste qui est passé par un cabinet d’avocats et qui a fait du contentieux, un autre qui a fait du droit des concentrations, un juriste qui n’a fait que du terrain et par exemple un“ultra-expert”en droit qui pourrait être un thésard ou un enseignant. Nous allons mélanger ces profils et avec cette diversité, le résultat sera bien meilleur que si nous prenions sept anciens avocats ou sept juristes.
LGJ Comment arrivez-vous à concilier votre poste de directeur juridique et de président de Cercle Montesquieu ?
N.G. Et je suis président d’une commission du MEDEF en plus ! Soit vous êtes dans l’action individuelle et là vous ne survivrez pas, soit vous êtes dans une action qui est collective. Et c’est vrai pour tous mes postes. Que ce soit pour mon poste de directeur juridique du groupe Orange, de président du Cercle Montesquieu ou de la commission du MEDEF, il y a toujours des personnes compétentes autour de moi. Il faut donc les faire travailler, s’appuyer sur elles et leur faire confiance. Au Cercle Montesquieu il y a 3 vice-présidents, un secrétaire général, et 21 membres du conseil d’administration qui sont là pour m’aider.
LGJ. Quel regard portez-vous sur les start-up du droit comme legalstart, captain-contrat etc. qui proposent notamment des contrats automatisés ?
N.G. Dans une entreprise d’une taille comme Orange, nous sommes complètement en dehors de cela : nous avons en interne des outils qui nous permettent d’automatiser certaines tâches depuis des années. Attention à ne pas automatiser entièrement le droit qui reste et doit rester une prestation intellectuelle. On en revient au sujet de tout à l’heure, les professions juridiques (puisque je ne peux pas dire la profession) doit se méfier d’évolutions vers des modèles trop automatiques ou économiquement destructeurs. J’ai par exemple vu en Espagne, un abonnement qui vous permet pour 65 euros d’avoir la garantie d’une aide juridique par un cabinet tout au long de l’année. Cette forme de forfaitisation ou ce type de mode d’assurance des prestations juridiques devraient beaucoup plus inquiéter nos camarades avocats que le rapprochement des professions.
LGJ. Si vous aviez un conseil à donner à un jeune qui veut s’insérer dans le marché du droit ?
N.G. Passion, passion et passion. Quand on veut faire du droit, il faut vraiment aimer le droit et être passionné, c’est une matière complexe qu’il faut toujours travailler. La deuxième chose à surtout ne pas oublier est “amusez-vous”. Il faut s’amuser dans la vie et le droit peut aussi être une source d’amusement, attention sinon au stress permanent. Un dernier conseil est d’être patient et de savoir saisir les opportunités, n’ayez peur de rien vous êtes capable de tout. Je me suis toujours appliqué ces conseils.
Propos recueillis par Hugo Bettahar et Laura Lizé
LE CERCLE MONTESQUIEU
Le Cercle Montesquieu fut créé en 1993. C’est une association loi 1901. Il fédère les directeurs juridiques d’associations, d’entreprises, ou d’institutions tous secteurs confondus.
Le Cercle a diverses missions, notamment :
• Représenter ses membres et assurer la promotion de la fonction de directeur juridique • Être un centre de débats, d’études et d’événements pour ses membres
• Promouvoir une éthique du directeur juridique dans ses relations entre membres
• Mettre en place divers services pour ses membres : cartographies, rapports, études…
Le Cercle est géré par un Conseil d’administration élu par l’assemblée générale. Le Conseil d’administration est composé d’un président, de 3 vice-présidents, et d’un secrétaire général et trésorier.