Le monde des affaires recourt fréquemment à différentes formules d’intermédiaire au sein des réseaux de distribution des produits et services. Le choix de cette représentation est dicté par des considérations stratégiques, financières et fiscales. À ce titre, le traitement fiscal de l’intermédiation au regard de la TVA constitue un critère de choix déterminant.
Le champ d’application par nature de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est défini par le Code général des impôts[1](CGI) comme correspondant aux « livraisons de biens et prestations de services (iii), réalisées à titre onéreux (ii), par un assujetti agissant en tant que tel (i). »
La qualité d’assujetti (i) est accordée aux personnes qui effectuent, de manière indépendante, une activité économique. Ainsi, ni le statut juridique, ni la situation au regard des autres impôts, ni la forme ou la nature de leur intervention ne sont à prendre en considération[2]. Par conséquent, deux conditions cumulatives sont nécessaires pour être qualifié d’assujetti : l’exercice d’une activité économique et le caractère indépendant de cet exercice.
De prime abord, la qualité d’intermédiaire peut paraître difficilement conciliable avec cette exigence d’indépendance. Or l’administration énonce que « les personnes qui agissent de manière indépendante sont celles qui exercent une activité sous leur propre responsabilité et jouissent d’une totale liberté dans l’organisation et l’exécution des travaux qu’elle comporte ». Par conséquent, les commissionnaires doivent être considérés comme des entités indépendantes puisqu’ils sont des commerçants agissant en leur nom. La difficulté aurait pu persister concernant le mandataire mais l’administration précise expressément que la personne qui agit en vertu d’un contrat de mandat est réputée indépendante[3].
S’agissant de l’activité économique, celle-ci englobe l’ensemble des activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou libérales et fait l’objet d’une interprétation large par les tribunaux. Dès lors, l’intermédiation revêt sans nul doute la qualité d’activité économique. Il résulte des éléments sus énoncés que l’intermédiaire présente les caractéristiques nécessaires pour être considéré comme un assujetti.
Le caractère onéreux (ii) sera caractérisé dès lors que la valeur de la prestation que doit exécuter une partie est représentée par la valeur de la prestation que l’autre doit fournir. Or, le présent article traite de l’intermédiaire en tant que profession, ce qui implique nécessairement l’existence d’une rémunération qui représente la valeur de la prestation fournie. De ce fait, les opérations seront réputées être réalisées à titre onéreux.
Reste à s’assurer que l’action de l’intermédiaire constitue une livraison de bien ou une prestation de service (iii). Si la première qualification est exclue sans difficulté, la seconde doit être retenue notamment en raison de son acception particulièrement large.
Dès lors, si cette activité est exercée à titre onéreux, elle entre, par nature, dans le champ d’application de la TVA au sens du CGI[4]. Aussi, après l’exposé des définitions des deux catégories d’intermédiaire (I), l’article développera les régimes applicables à chacune d’elles (II).
I. La délicate qualification des intermédiaires représentant au regard de la TVA
Depuis le 1er janvier 1993, date à partir de laquelle le régime des intermédiaires a été modifié par la loi[5] relative à la mise en place du régime de TVA intracommunautaire, il y a lieu de distinguer deux catégories d’intermédiaires. A ce titre, le CGI[6] et l’administration dans ses instructions[7]60 imposent d’opérer une distinction suivant que l’intermédiaire est transparent (agit au nom et pour le compte d’autrui) ou opaque (agit en son nom pour le compte autrui). Ceci conduit à évoquer successivement la définition de l’intermédiaire transparent (A), puis celle de l’intermédiaire opaque (B).
A. L’intermédiaire transparent
De manière générale, l’intermédiaire transparent constitue le parfait représentant de son commettant[8], en ce sens qu’il agit au nom et pour le compte de ce dernier.
Au regard de sa définition juridique, le mandataire est naturellement considéré comme tel. En effet, le code civil [9] définit le mandat comme étant « l’acte par lequel une personne (mandante) donne à une autre (mandataire) le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.» Dès lors, le mandataire agit au nom et pour le compte du mandant. Il réalise la vente des produits ou des services sans qu’à aucun moment la propriété de ces derniers ne lui soit transférée. De toute évidence il s’agit d’un intermédiaire transparent.
Ainsi, l’éventuel transfert de la propriété, des biens ou services distribués, à l’intermédiaire est un critère d’appréciation retenu par la jurisprudence pour connaître du caractère opaque ou transparent de l’intermédiaire[10].
Cette solution se trouve expressément énoncée par la jurisprudence qui considère qu’ « un intermédiaire transparent est un mandataire agissant au nom et pour le compte d’autrui : qu’il soit qualifié d’agent commercial, de mandataire ou de courtier, il n’acquiert à aucun moment, dans le circuit économique, la propriété des marchandises destinées au client final[11] »
Toutefois, contrairement à ce que l’attendu énonce, la qualification du mandataire en intermédiaire transparent ne doit pas être automatique. En effet, le juge a le devoir de se livrer à une appréciation des faits afin de redonner à la situation sa juste qualification[12]. À ce titre, la qualité d’intermédiaire transparent sera refusée au mandataire s’il s’avère que ce dernier n’est pas à l’initiative du rapprochement entre le mandant et le tiers cocontractant. Tel sera également le cas lorsque l’action de l’intermédiaire n’est pas, notamment en raison d’une absence de reddition de comptes, subordonnée aux directives du mandant[13].
De plus, il convient de constater que ce procédé de qualification n’est pas conforme aux exigences de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En effet, celle-ci a énoncé que pour déterminer si un assujetti se comporte ou non en tant qu’intermédiaire « transparent», il faut tenir compte de l’ensemble des données de l’espèce, et notamment de la nature des obligations contractuelles de l’intéressé à l’égard de ses clients. Le juge national doit opérer une vérification concrète de nature à établir si, au vu de l’ensemble des données de l’espèce, l’intéressé agit effectivement en son nom propre. [14]
Enfin, conformément à la lettre de cet attendu, seuls les mandataires et les courtiers peuvent être qualifiés d’intermédiaires transparents. Dès lors, cette position jurisprudentielle est en décalage par rapport à celle retenue par l’administration[15], et confirmée par le Conseil d’État dans des arrêts antérieurs[16]. En effet, ces derniers adoptent une qualification bien plus large, qui s’appuie sur l’analyse des documents contractuels et des factures. Cette dernière consiste à considérer comme transparent l’intermédiaire qui met en relation deux personnes qui contractent entre elles (courtier). La qualification sera identique concernant l’intermédiaire qui contracte personnellement avec le tiers (commissionnaire) lorsque :
- Le contrat mentionne expressément qu’il agit au nom d’autrui ;
- En l’absence de contrat écrit, la facture est établie directement par le commettant, ou est établie par l’intermédiaire mais fait mention du nom ou de la raison sociale, de l’adresse ainsi que du numéro d’assujetti du commettant ;
- Dans l’hypothèse d’une opération réalisée avec un non-assujetti qui ne donne pas lieu à facturation, les circonstances de droit (clause unissant l’intermédiaire et le commettant) ou de fait permettent d’établir que le tiers avait connaissance du fait que l’intermédiaire agissait au nom d’autrui ainsi que du nom ou de la raison sociale, de l’adresse ainsi que du numéro d’assujetti du commettant ;
Dès lors, la définition retenue par Bercy s’attache à une analyse factuelle des situations. À ce titre, elle accorde une attention toute particulière au fait que le tiers a connaissance de la qualité d’intermédiaire de son cocontractant. Cette conception permet de s’affranchir des qualifications juridiques classiques. Ainsi, d’un point de vue strictement fiscal et sous certaines conditions, les intermédiaires juridiquement autonomes, car agissant en leur nom propre (commissionnaire ou le courtier), seront considérés comme agissant au nom d’autrui (transparent).
B. L’intermédiaire opaque
On procède ici à une qualification par la négative. Est un intermédiaire opaque celui qui ne remplit pas les conditions pour être qualifié d’intermédiaire transparent. Tel est notamment le cas de celui qui agit en son nom propre lorsqu’il ne remplit pas les conditions susmentionnées qui permettent de considérer qu’il agit au nom d’autrui.
II. Le régime applicable aux différentes catégories d’intermédiaires
Cette seconde partie exposera successivement le régime applicable à l’intermédiaire qualifié de transparent (A), puis celui appliqué à l’intermédiaire opaque (B)
A. Le régime applicable à l’intermédiaire qualifié de transparent
Dès lors que l’intermédiaire est qualifié de transparent, ses opérations d’entreprise sont regardées comme des prestations de services. La détermination de la territorialité de l’opération n’appelle aucune règle spécifique. Ainsi, il est fait application des dispositions communes à toutes les prestations de service.
En revanche, l’existence d’un intermédiaire induit certaines subtilités concernant la détermination de la base d’imposition des prestations de service.
En principe, la base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par toutes les sommes reçues en contrepartie du service rendu y compris celles destinées à être rétrocédées. Toutefois, cela appelle deux précisions concernant d’une part les sommes remboursées par le client (i), d’autre part les réductions de prix accordées par l’intermédiaire au consommateur final (ii). Il conviendra également d’évoquer le sort de l’indemnité de rupture versée à l’intermédiaire (iii).
Les sommes remboursées par le client (i) ne sont pas soumise à la TVA[17] car elles n’entrent pas, du point de vue de la comptabilité, dans la composition du chiffre d’affaires de l’intermédiaire. Cette exclusion de l’assiette de la TVA n’est possible que si les conditions cumulatives suivantes sont remplies par l’intermédiaire :
- Les remboursements correspondent à des dépenses engagées au nom et pour le compte du mandant. À ce titre, l’intermédiaire doit agir dans le cadre d’un contrat explicite conclu préalablement à l’engagement de ladite dépense. Le mandat tacite peut être admis dans la mesure où il apparaît comme étant suffisamment vraisemblable pour ne pas être remis en doute. Dans une telle hypothèse, la preuve de ce dernier pourra être apportée par tout moyen[18] ;
- Les remboursements ont donné lieu à une reddition de compte précise à destination du mandant. Cette dernière doit porter sur l’engagement de la dépense, ainsi que sur son montant ;
- Les remboursements sont inscrits dans des comptes de passage. Ainsi, si l’intermédiaire est astreint aux règles de la comptabilité commerciale[19], il s’agira de comptes de tiers (classe 4). Si tel n’est pas le cas, il s’agira de comptes spécifiques ;
- Les remboursements sont justifiés, par tous moyens appropriés (factures, copie des comptes, etc.), dans leur nature où leur montant exact auprès de l’administration. Cette obligation à pour objectif d’empêcher une dissociation arbitraire entre le prix de l’opération réalisée et les dépenses constituant de simples charges d’exploitation.
Une attention particulière doit être portée au champ d’application de ce dispositif. En effet, ledit texte ne concerne que les remboursements. Par conséquent, au sein des sommes versées par le commettant à l’intermédiaire, il convient de distinguer la quote-part correspondant au prix de la prestation (comprise dans l’assiette de la TVA) et celle correspondant à des remboursements (exclue de l’assiette de la TVA).
Également, aux termes du texte, seuls les remboursements de dépenses engagées, par l’intermédiaire, au nom et pour le compte de son commettant, sont concernées. Dès lors, ce retraitement d’assiette ne saurait concerner ceux correspondant à des dépenses engagées, par l’intermédiaire, dans sa propre entreprise.
Enfin, le Conseil d’État a jugé que cela ne bénéficie qu’aux personnes qui interviennent pour l’exécution d’actes juridiques dans l’intérêt de leurs mandants[20]. Ainsi, la jurisprudence semble restreindre l’application du dispositif aux seuls mandataires. Toutefois, cela ne résulte pas du texte qui vise expressément les « intermédiaires ».
Par conséquent, l’apport de cet arrêt semble résider dans la notion d’action réalisée dans l’intérêt du commettant. Cette dernière conduirait, logiquement, à ce que seules les sommes correspondant à des dépenses engagées dans l’intérêt du commentant puissent être qualifiées de remboursement et exclues de la base de TVA.
En revanche, contrairement à ce qui semble résulter de la jurisprudence susmentionnée, ledit texte doit bénéficier à l’intégralité des intermédiaires répondant aux conditions de transparence qui ont été énoncées. En effet, si tel n’est pas le cas, les sommes ne pourront en aucun cas être considérées comme ayant été engagées au nom d’autrui. Par conséquent, elles sont exclues des retraitements d’assiette visés à l’article 267 II du CGI.
Enfin, il est indispensable que lesdits remboursements correspondent à des dépenses qui ne se rattachent pas à l’opération d’entremise.
Le traitement des les réductions de prix accordées, par l’intermédiaire, au consommateur final (ii) est en revanche complètement différent. En effet, confirmant sa position adoptée dans l’affaire Elida Gibbs[21], la CJUE a réaffirmé le principe selon lequel les réductions de prix accordées au consommateur final par un intermédiaire, de sa propre initiative et à ses propres frais, ne peuvent entraîner aucune diminution de la base d’imposition à la TVA de l’intermédiaire ni de celle de l’opérateur principal[22].
Il est acquis que les mandants qui recourent à des intermédiaires peuvent soustraire de leur base d’imposition à la TVA les sommes remboursées aux détaillants ou aux consommateurs au titre des bons de réduction ou de remboursement qu’ils ont émis, même en l’absence de relation directe avec les détaillants ou les consommateurs.
En revanche, la CJUE confirme que cette prérogative ne peut trouver à s’appliquer dans le cas d’une réduction de prix accordée par un intermédiaire, de sa propre initiative et à ses frais, au consommateur final. Elle justifie cette prohibition par le fait que l’intermédiaire, en tant que simple prestataire de service, ne se trouve pas à la tête de la chaîne d’opérations. En d’autres termes, l’intermédiaire fournit un service d’intermédiation distinct de celui fourni par le mandant. En effet, il se contente d’établir la relation commerciale et reçoit sa commission, sans exercer une quelconque influence sur l’opération principale.
Par conséquent, la réduction de prix, accordée par l’intermédiaire au consommateur final, n’est pas de nature à affecter ni la contrepartie reçue par le mandant ni la commission de l’intermédiaire pour son service d’intermédiation. C’est ce qui explique qu’une telle réduction de prix ne peut entraîner aucune réduction de la base d’imposition.
Enfin, il convient de s’interroger sur l’assujettissement de l’éventuelle indemnité de rupture octroyée à l’intermédiaire (iii) à l’issue de sa coopération avec le mandant. La réponse résulte du champ d’application par nature de la TVA tel qu’il résulte de l’article 256 du CGI. En effet, l’assujettissement d’une somme à la TVA implique qu’elle constitue la contrepartie directe et immédiate d’une prestation de service individualisée.
Or de toute évidence, l’indemnité versée en réparation d’un préjudice subi, par un intermédiaire du fait de la rupture de son contrat par le mandant, ne rémunère pas l’une des obligations de l’intermédiaire. À ce titre, il convient de considérer que cette indemnité est exclue du champ d’application de la TVA.
Un raisonnement analogue a été tenu par la Cour d’appel de Bordeaux pour exonérer de TVA l’indemnité légale de rupture versée, par le mandant, à un agent commercial[23].
B. Le régime applicable à l’intermédiaire qualifié d’opaque
Assimilé à une entité autonome, l’intermédiaire opaque se voit appliquer le régime de TVA de droit commun. En effet, le code général des impôts dispose expressément que « la base d’imposition à la TVA est constituée par le montant total de la transaction pour les opérations réalisées par un intermédiaire mentionné au V de l’article 256 du CGI et au III de l’article 256 bis » du même Code[24]. Le premier pose ce principe au sujet de l’intermédiaire partie à une opération ne présentant pas d’élément d’extranéité[25]. Le second étend cette solution aux opérations de livraisons intracommunautaires[26].
Il apparaît clairement que les intermédiaires opaques sont considérés comme des « acheteurs et revendeurs » des biens ou services considérés. Conséquemment, l’intermédiaire opaque est réputé livrer lui-même le bien, ou rendre lui-même le service au commettant s’il s’agit d’achat ou au tiers contractant s’il s’agit d’une vente. Par conséquent, sa base d’imposition est constituée par le montant total de la transaction[27], c’est-à-dire par le prix acquitté par le tiers ou le commettant, commission comprise.
Toutefois, la détermination des règles applicables fait apparaître une incohérence intellectuelle. En effet, il convient de raisonner par transparence… L’intermédiaire opaque, si indépendant, est soumis à des règles qui résultent de celles applicables à l’opération au sein de laquelle il s’entremet. En effet, les règles applicables à l’opération dans laquelle intervient l’intermédiaire vont s’appliquer à l’opération d’intermédiation. Il en résulte, notamment, les conséquences suivantes :
- Le taux applicable, aux opérations opaques d’intermédiations correspond à celui du bien ou du service objet de la transaction dans laquelle il s’entremet ;
- L’intermédiaire opaque doit facturer la TVA sur la vente du bien ou du service qu’il est réputé réaliser. À ce titre, il est soumis à l’obligation de facturation de droit commun. Précisons que cette obligation de facturation incombe également au commettant qui fait appel à l’intermédiaire opaque ;
- L’intermédiaire opaque exerce son droit à déduction dans les conditions de droit commun ;
- Lorsque la transaction dans laquelle il s’entremet se voit appliquer des règles particulières de base d’imposition, ces dernières sont également applicables à l’intermédiaire. Aussi, l’intermédiaire qui intervient dans une transaction exonérée bénéficie de cette exonération[28]
- Pour l’application des règles de franchise en base et des régimes d’imposition, le chiffre d’affaires des intermédiaires opaques est déterminé compte tenu du montant total des transactions dans lesquelles ils s’entremettent. L’explication de cette solution impose de se tourner, comme souvent en matière de TVA, vers la jurisprudence de la CJUE[29]. En l’espèce, un intermédiaire s’entremettait en son nom, mais pour le compte d’autrui, dans une activité de prise de paris bénéficiant d’une exonération de TVA. Dans sa décision, la CJUE précise son interprétation du paragraphe 4 de l’article 6 de la directive d’harmonisation des législations des États membres relatives à la TVA[30]. Ledit texte dispose que « lorsqu’un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, s’entremet dans une prestation de services, il est réputé avoir reçu et fourni personnellement les services en question ». C’est de ce fondement que résulte la transparence quant aux règles applicables à l’intermédiaire opaque.
En effet, la CJUE énonce expressément que « les articles 6, paragraphe 4, et 13, B, sous f), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doivent être interprétés en ce sens que, pour autant qu’un opérateur économique s’entremet en son nom propre, mais pour le compte d’une entreprise exerçant une activité de prise de paris, dans la collecte de paris relevant de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée prévue à cet article 13, B, sous f), cette dernière entreprise est réputée, en vertu de cet article 6, paragraphe 4, fournir audit opérateur une prestation de paris relevant de ladite exonération ».
La doctrine a immédiatement souligné le caractère inédit de la solution. Depuis son entrée en vigueur en 1993, le régime applicable aux intermédiaires opaques en services exonérés n’avait fait l’objet d’aucune précision particulière. Le caractère tardif de la décision ne fait qu’accentuer les interrogations qui l’entourent. Aussi, l’arrêt fournit un éclairage intéressant sur la distinction entre le mandataire et le commissionnaire ainsi que sur les conséquences de cette distinction en ce qui concerne l’application des exonérations de TVA.
Toutefois, deux critiques juridiques majeures semblent pouvoir être formulées à son encontre.
D’une part, cette solution provoque une distorsion de concurrence entre l’intermédiaire transparent et l’intermédiaire opaque. Le premier, qui agit au nom et pour le compte d’autrui, verrait la commission payée soumise à la TVA.
En effet, le cas du commissionnaire est traité par l’article 6, paragraphe 4, de la 6e directive, qui crée la fiction juridique selon laquelle celui-ci « est réputé avoir, dans un premier temps, reçu les services [pour la prestation desquels il s’entremet] de l’opérateur pour le compte duquel il agit, qui constitue le commettant, avant de fournir, dans un second temps, personnellement ces services au client ».
Ainsi, « si la prestation de services dans laquelle le commissionnaire s’entremet est exonérée de la TVA, cette exonération est de même applicable à la relation juridique entre le commettant et le commissionnaire » (points 35 et 36 de l’arrêt commenté). Rien ne justifie, selon la cour, que cette conclusion ne s’applique pas à l’exonération prévue, en ce qui concerne les opérations de paris, par l’article 13, B, sous f), de la 6e directive.
D’autre part, cette position apparaît contraire au principe, à valeur constitutionnelle, d’égalité de traitement cher à la CJUE[31]. Toutefois, la Cour de cassation ajoute que celui-ci ne s’oppose pas à l’application de l’exonération à la prestation du commissionnaire. En effet, les intermédiaires « opaques » sont, en vertu de l’article 6, 4 précité, expressément soumis à des règles particulières qui différent de celles régissant les intermédiaires « transparents ».
Dès lors, cette solution ne présente aucune logique juridique, car les principes généraux du droit communautaire et les règles spécifiques de TVA s’y opposent. En réalité, il s’agit d’une décision d’opportunité visant à éviter une fraude à la TVA.
Malgré les critiques, cette perception par transparence a trouvé écho au sein des juridictions françaises. À ce titre, le tribunal administratif de Paris l’a étendu à la détermination du taux applicable à l’opération de l’intermédiaire opaque[32]
Certaines spécificités concernant le fait générateur et les opérations de commerce extérieur doivent, à présent, être abordées.
Ainsi, la connexité entre opération d’intermédiation opaque et la transaction au sein de laquelle elle trouve sa place atteint son paroxysme concernant le fait générateur. En effet, pour les livraisons de biens, prestations de service et les acquisitions intracommunautaires réputées être effectuées à un intermédiaire opaque ou par lui, le fait générateur se produit « au moment où l’opération dans laquelle cet assujetti s’entremet est effectuée[33] ». En d’autres termes, la livraison de bien ou la prestation de service dont le fait générateur sert de référence est celle qui intervient entre l’intermédiaire et le tiers cocontractant.
Les intermédiaires opaques intervenant dans des opérations intracommunautaires sont soumis aux règles applicables aux livraisons et aux acquisitions intracommunautaires de biens et aux obligations qui en découlent.
La qualification de l’intermédiaire résulte d’une appréciation des contrats liant le représentant au représenté. Ainsi, la rédaction de ce dernier devra être particulièrement soignée afin de garantir le bénéfice de la formule désirée. Chacun des régimes considérés présentent des singularités qui devront être prises en compte afin de déterminer le régime le plus adapté à la situation.
Toutefois, le fait que le régime applicable à l’intermédiaire opaque soit fonction de l’opération, dans laquelle il s’entremet, est de nature à générer certaines difficultés dans le cadre d’un cadrage de TVA. Ainsi, la ventilation des comptes de produits en fonction du taux de TVA applicable sera insuffisante pour permettre un recoupement des informations. De fait, il sera nécessaire de mettre en place un système de traitement comptable plus précis permettant une ventilation en fonction du type d’opération.
Ugo Vianez
[1] Article 256 du CGI
[2] Article 256 A du CGI
[3] BOI-TVA-CHAMP-10-10-20-20131120 n°20 35
[4] Article 256 du CGI
[5] 92-677 du 17 juillet 1992
[6] Article 256 V, 256 bis III et 2661b1 du CGI
[7] Inst. 31 juillet 1992, 3 CA-92 n° 77 ; D. adm. 3 B-1123 n° 14, 18 septembre 2000 ; BOI-TVA- CHAMP-10-10-40-40 n° 10.
[8] Inst. 31 juillet 1992, 3 CA-92 n° 78 ; D. adm. 3 B-1123 n° 15, 18 septembre 2000 ; BOI-TVA-10- 10-40-40 n°20
[9] Article 1984 du code civil
[10] CE 21 novembre 2011 n° 320089, 8e et 3e s.-s., SARL Editions Ixora : RJF 2/12 n° 113, concl. L. Olléon BDCF 2/12 n° 17.
[11] CAA Bordeaux 28-2-2008 n° 06-253
[12] Article 12 du Code de procédure civile
[13] CE 26 mars 2012 n° 323375, 10e et 9e s.-s., Sté Editions Atlas SAS : RJF 6/12 n° 580.
[14] CJUE 14-7-2011
[15] Inst. 31 juillet 1992, 3 CA-92 n° 79 à 81 ; D. adm. 3 B-1123 n° 15, 18 septembre 2000 ; BOI-TVA- CHAMP-10-10-40-40 n°20
[16] Notamment CE 8-12-2003 n° 251275 et CE 10-3-2004 n°251273 s 39
[17] Article 267 II-2° du CGI, Inst. 31 juillet 1992, 3 CA-92 n° 83 et 84 ; D. adm. 3 B-1123 n° 17, 18 septembre 2000 ; BOI TVA CHAMP 10 10 40 40 n°40
[18] CE 4-3-1987 n°70321 : RJF 5/87 n°503
[19] Article L 123-12 du Code de commerce
[20] CE 15-2-1982 n°27954 : RJF 4/82 n°351 42
[21] 77 Affaire Elida Gibbs CJUE 24-10-1996 aff. 317/94
[22] 78 CJUE 16-1-2014 aff. 300/12 43
[23] CAA Bordeaux 24 janvier 2012 n° 10BX02695, 5e ch., Ministre du budget c/ D. 44
[24] Article 266, 1-b-1er alinéa du CGI (dans sa rédaction issue de l’article 19 de la loi 92-677 du 17 juillet 1992)
[25] L’article 256, V du CGI (issu de l’article 1 de la loi 92-677 du 17 juillet 1992) « l’assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, qui s’entremet dans une livraison de bien ou une prestation de services, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien, ou reçu et fourni les services considérés »
[26] L’article 256 bis, III du CGI (issu de l’article 2 de la loi 92-677 du 17 juillet 1992) « un assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d’autrui, qui s’entremet dans une acquisition intracommunautaire, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien »
[27] Article 266 1-b du CGI
[28] CJUE 14 juillet 2011 aff. 464/10, 7e ch., Belgique c/ Henfling
[29] CJUE 14 juillet 2011, aff. 464/10, 7e ch., Pierre Henfling, Raphaël Davin et Koenraad Tanghe
[30] Les articles 6, paragraphe 4, et 13, B, sous f), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977 87 RJF 11/11 n°1254
[31] C-174/08 NCC Construction Danmark A/S contre Skatteministeriet, arrêt du 29 octobre 2009
[32] TA Paris 18 février 2013 n° 1114235, 2e sect., 2e ch., EURL Studio Infini
[33] Article 269 1-a ter du CGI