Indemnisation de la perte d’emploi résultant d’un accident du travail : compétence du juge prud’homal ou des juridictions de sécurité sociale ?

Par trois arrêts du 3 mai 2018[1], et un autre du 10 octobre 2018[2], la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le Conseil de prud’hommes est compétent pour allouer une indemnité au titre d’un préjudice résultant d’une rupture du contrat de travail même si celle-ci est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Pour mémoire, le Code du travail prévoit que le Conseil de Prud’hommes est compétent pour trancher les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail[3] ; alors que l’application de la législation relative aux conséquences des accidents et maladies professionnelles relève de la compétence exclusive du Tribunal des affaires de sécurité sociale[4].
Dans ces affaires, trois salariés d’entreprises différentes ont été victimes d’un accident du travail et ont été licenciés pour inaptitude. Le quatrième salarié dont la maladie professionnelle a été reconnue a également été licencié sur le même fondement. Ces événements ayant pour origine un manquement à l’obligation de sécurité[5] de leurs employeurs, les salariés ont saisi le Conseil de prud’hommes afin de faire reconnaitre leur licenciement comme abusif et obtenir une indemnité en réparation du préjudice résultant de la perte de leur emploi.
La question était alors de savoir si la juridiction prud’homale est compétente pour indemniser un préjudice qui trouve son origine dans un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Une des Cour d’appel a retenu la compétence de la juridiction prud’homale au motif que la salariée réclamait des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice pour licenciement abusif et non pas d’un préjudice résultant de son accident du travail[6].    L’employeur, dont le salarié a ainsi été indemnisé, a contesté la décision des juges du fond en considérant que ce sont les juridictions de sécurité sociale qui sont compétentes.

Les juges du fond des trois autres affaires ont la compétence du juge du contentieux du travail exclu car selon elles, il s’agit d’une demande de réparation des conséquences de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle dont l’appréciation relèverait de la compétence exclusive du Tribunal des affaires de sécurité sociale[7].  Les salariés, déboutés, ont formé un pourvoi en cassation et ont invoqué la violation des textes relatifs à la compétence des juridictions prud’homales.
Dans les quatre affaires et au visa des articles L.1411-1 du Code du travail, L.451-1 et L.142-1 du Code de la sécurité sociale, la Cour de cassation a considéré que le Conseil de prud’hommes est compétent pour allouer une indemnité en réparation du préjudice résultant de la perte d’un emploi suite à un accident ou une maladie professionnelle. Pour la Cour de cassation « (..), si la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’ils soient ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ».
La Cour de cassation invite ainsi les juges à qualifier l’objet de la demande non pas en fonction de la nature de la faute commise, mais selon la nature même de l’indemnité demandée. Dès lors que l’indemnité peut être rattachée à la rupture du contrat de travail, la compétence est celle de la juridiction prud’homale. À l’inverse, dès lors qu’il s’agit de compenser les conséquences de la rupture et non la rupture elle-même (perte de l’emploi, perte des droits à retraite, perte de chance de promotion professionnelle, etc.), la compétence relèverait des juridictions de la sécurité sociale.

 

Marie BAYRAKCIOGLU, étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1, Apprentie à la SNCF

Yann LE MOING, étudiant en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Université de Paris 1, Apprenti à l’UNMI

 

[1] Cass. soc., 3 mai 2018, n°16-26.850 Cass. Soc., 3 mai 2018, n°17-10.306 ; Cass. Soc., 3 mai 2018, n° 16-18116

[2] Cass. soc., 10 octobre 2018 n°17-11.019

[3] Art. L. 1411-1 C. trav.

[4] [4] Art. L. 451-1 et L. 142-1 C. séc. soc.

[5] Art. L. 4121-1 C. trav. : « L’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (…)»

[6] Cass. soc., 3 mai 2018, n°17-10.306

[7] Cass. soc., 3 mai 2018, n°16-26.850 ; Cass. Soc., 3 mai 2018, n° 16-18.116 ;

[7] Cass. soc., 10 octobre 2018 n°17-11.019

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