Les intelligences artificielles (IA) entraînent une transition technologique modifiant profondément le monde du travail et sont sources de nombreuses peurs et d’incertitudes chez les chercheurs d’emploi mais aussi chez les salariés. Il convient de savoir quelles sont les conséquences de leur utilisation sur les emplois des salariés et sur leur bien-être.
La formation : un outil incontournable à l’adaptation des salariés
En cas de changement technologique majeur prévisible dans une entreprise, il est important de se soucier de l’état de ses salariés. Par conséquent, les entreprises doivent former leurs employés aux changements. Certaines doivent les intégrer dans leurs politiques de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). La GPEC a pour but d’anticiper les évolutions au sein de l’entreprise afin de prévoir et permettre sa bonne organisation, productivité, ainsi que la bonne gestion des carrières. L’un de ses atouts majeurs est la mise en place du plan de formation des collaborateurs. Dans ce cadre, l’employeur doit proposer une formation à ses employés pour se conformer aux changements à venir.
Il s’agit de respecter l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur. Elle a deux objectifs principaux. En effet, l’adaptation des employés, grâce à la formation, fait en sorte qu’ils ne soient pas face à de grosses difficultés lors de l’accomplissement de leurs futures tâches. De plus, l’employeur est le garant de l’employabilité du salarié et doit maintenir ses capacités pour qu’il puisse exercer son emploi. Il s’agit d’une obligation de moyen importante. Par conséquent, l’employeur peut être sanctionné s’il n’obéit pas à cette règle. A titre d’exemple, un employeur sera sanctionné dans le cas où il licencierait un salarié pour insuffisance professionnelle alors que cette insuffisance trouve sa source dans le manquement à l’obligation d’adaptation.
En cas de refus de la formation par le salarié ou s’il se trouve incapable de gérer son emploi après la formation, l’employeur est en droit de le licencier. La Cour de cassation a jugé un licenciement réel et sérieux lorsque ce dernier avait pour cause une insubordination du salarié liée à son refus de suivre une formation d’adaptation aux évolutions technologiques dans l’entreprise. Cette formation nécessaire constituait une « modalité d’exécution du contrat de travail ».
Cette obligation d’adaptation permettra de mettre en place une complémentarité homme/machine productive et efficace. L’IA aura pour but de seconder l’homme, et non de le remplacer. Toutefois, la peur de perdre son poste subsiste et l’intelligence artificielle pourrait vite apparaître, pour les salariés, comme un danger pour leur poste.
La prolifération de l’IA en entreprise : un danger pour les salariés ?
L’article L1233-3 du code de travail prévoit que les mutations technologiques constituent un motif de licenciement économique. En pratique, peu de jurisprudence existe en la matière. Toutefois, l’installation des IA au sein des entreprises pourrait entrer dans les conditions. Pour cela, ces installations doivent impérativement créer un changement radical dans le processus de production et de travail au sein de l’entreprise.
Néanmoins, l’article L1233-4 du code de travail met en place un garde-fou permettant aux salariés de ne pas se retrouver sans emploi aussi facilement. En effet, quel que soit le nombre de salariés qu’il détient, l’employeur doit respecter une obligation de reclassement lors d’un licenciement pour motif économique. Il doit proposer d’autres postes aux employés lésés. Cette obligation est accompagnée d’une obligation de formation qui, en cas de nécessité, permettra aux salariés d’être formés afin d’acquérir des connaissances supplémentaires et utiles à leur reclassement.
Parallèlement, par manque de moyens financiers, des entreprises pourraient se retrouver en position de faiblesse face à leurs concurrents dotés d’IA. Par conséquent, elles seront probablement amenées à licencier des employés pour motif économique (du fait d’absence d’investissements ou d’une baisse de production par exemple) ou à une réorganisation de l’entreprise pour sauvegarder leur compétitivité.
De manière générale, le droit du travail permet aux entreprises d’être opérationnelles, stratégiques et de se conformer aux nouvelles évolutions. Toutefois, le déploiement de l’IA peut représenter un danger pour les salariés. Il sera du rôle de l’Etat d’encadrer convenablement et raisonnablement les avancées technologiques afin d’éviter les comportements excessifs que pourraient avoir certaines entreprises. Ainsi seront respectées les préconisations de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) selon lesquelles il faut « promouvoir l’utilisation responsable de l’IA au travail, renforcer la sécurité des travailleurs et la qualité des emplois ».
Conditions de travail : une conciliation entre performance et bien-être permise par les IA
Utilisée de manière raisonnable et responsable, la multiplication des IA pourrait avoir des conséquences négatives sur le bien-être au travail, c’est-à-dire sur la perception personnelle des salariés, sur leur satisfaction et leur épanouissement au travail. La prolifération d’IA au sein des entreprises pourrait donner encore plus de force au « culte de l’urgence » présent dans le monde du travail et, donc, mener à une gestion des salariés sous l’emprise de la vitesse et de l’adage « le temps c’est de l’argent ». Cela participerait à la création d’une ambiance encore plus stressante et pesante sur le lieu de travail créant des pathologies telles que le stress, l’angoisse, la dépression ou même des risques psychosociaux chez certains salariés.
Alors que certains dirigeants ont pour souhait que les salariés soient aussi rapides que les machines, d’autres profiteront de l’utilisation des IA pour essayer d’améliorer le bien-être des collaborateurs dans les entreprises. Dans cette seconde optique, l’IA pourrait permettre aux collaborateurs d’économiser un temps considérable dans l’élaboration de leurs tâches professionnelles et, ainsi, augmenter leur productivité en améliorant parallèlement le bien-être et la qualité de vie dans l’entreprise. Grâce à cela, on pourrait imaginer que le législateur, ainsi que les DRH et dirigeants, seraient davantage amenés à mettre en œuvre plus de mesures visant à augmenter le bien-être et la qualité de vie des salariés au travail en multipliant les activités intra-entreprises par exemple.
Mais plus important encore, le gain de temps généré par les IA pourrait permettre de se pencher sur le cœur même du bien–être des salariés. En effet, plus de place serait laissée à la création et à la modification de processus d’intégration des salariés, à une meilleure reconnaissance hiérarchique et aux liens sociaux dans l’entreprise. C’est ce qui permettra aux salariés d’être encore plus à l’aise et par ricochet, d’être plus confiants, performants, créatifs et impliqués. Ainsi, une ambiance davantage positive régnera au sein des lieux de travail avec des salariés engagés.
Cela constituerait un avantage pour la productivité et la performance de l’entreprise. Il s’agit de trouver un équilibre entre performance et bien–être grâce aux nouvelles technologies.
Enfin, les conséquences qu’auront les IA dans le monde du travail dépendent de l’homme, de l’utilisation qu’il y entrevoit ainsi que son objectif. Il est donc important de l’encadrer.
Pour plus d’informations :
Cass. Soc. 29/05/2002 n°0040996
Cass. Soc. 03/12/2008 n°07-42196
« Recommandations du Conseil sur l’intelligence artificielle », OCDE, 29/05/2019
« Le Culte de l’urgence – La société malade du temps », Nicole AUBERT, Paris, Flammarion, 2003