Depuis le 1er Janvier 2012, la Hongrie s’est dotée d’une nouvelle Loi Fondamentale qui n’a pas manqué de faire parler d’elle. De nombreuses protestations d’ordre politique avaient émergé, et restent toujours d’actualité. D’un point de vue plus strictement juridique, d’autres questionnements méritent une attention toute particulière, à commencer par la question des relations complexes entre Etat de Droit et pouvoir exécutif.
Ces interrogations ont semblé trouver, pour un temps au moins, une oreille attentive et influente avec la Cour Constitutionnelle hongroise, auteur de ce qui a été qualifié de véritable Fronde. Celle-ci, dès 2010, s’est inscrite en véritable « canon braqué sur le gouvernement », pour parodier sans malice l’expression de Charles Eisenmann. Un véritable conflit prît alors forme, qui ne cessa pas malgré la nomination de nouveaux juges constitutionnels en septembre 2011. Cette lutte désormais ouverte entre exécutif et juge constitutionnel a connu, tout récemment d’ailleurs, un développement assez troublant. Une réforme électorale obligeant les électeurs à s’inscrire sur une liste électorale au plus tard deux semaines avant le scrutin, et qui limitait fortement la campagne électorale dans le temps avait été approuvée par le Parlement en novembre dernier : coup de théâtre en Hongrie, ce texte fortement critiqué par l’opposition de centre-gauche a tout simplement été jugé contraire à la Constitution le 4 janvier dernier, relançant avec force cet antagonisme. La Cour a jugé que les limitations imposées à la campagne électorale attentaient gravement à la liberté d’opinion et de la presse, tandis que l’enregistrement précoce des électeurs était de nature à mettre en danger les droits et libertés de ces derniers.
Il n’est pas difficile de voir là, sans porter de jugement de valeur sur la question, une véritable lutte ouverte entre prééminence du pouvoir exécutif et défense des libertés fondamentales. Au fond, la véritable difficulté réside ici dans le fait que ce même pouvoir exécutif a été gratifié, dans des conditions démocratiques, du pouvoir de révision constitutionnelle, qu’il n’a d’ailleurs pas hésité à utiliser. Ainsi, la récente annonce du gouvernement hongrois de procéder à une nouvelle révision de la Constitution de 2012, n’étonnera guère compte tenu de l’ampleur sans précédent de cette bataille rangée. Cette modification de la Loi Fondamentale viendra réduire la liberté de jugement de la Cour Constitutionnelle, puisque celle-ci ne pourra plus se fonder sur des textes à valeur constitutionnelle antérieurs au 1er Janvier 2012. Pour comparaison, il faut imaginer une révision similaire en France : celle-ci reviendrait à interdire au Conseil Constitutionnel de se fonder sur la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, ou encore au Préambule de la Constitution de 1946. De manière plus radicale encore, aucun jugement antérieur pris par la Cour ne pourra désormais être pris en compte, ce qui revient indirectement à limiter les juges constitutionnels hongrois à un pur contrôle de constitutionnalité vis-à-vis du texte brut, sans place pour l’émergence de principes annexes ou de références autres. Un véritable « verrouillage » assumé du contrôle de constitutionnalité, en somme.
Quoique l’on en pense, ces récentes évolutions méritent que l’on s’y attarde. Elles témoignent d’un véritable questionnement profond à venir sur la légitimité du juge constitutionnel, et de ses rapports avec le pouvoir exécutif. Plus généralement, c’est bien la question des rapports entre Etat de droit et pouvoir exécutif qui est posée : a fortiori, dans nos sociétés démocratiques, l’écho désormais lointain de la pensée tocquevillienne vient nous frapper avec force. La démocratie et la liberté, socles de notre vision de l’Etat, semblent souffrir de leurs incompatibilités. Cette dialectique puissante n’est pas sans laisser augurer d’authentiques dangers.
Romain SIMMARANO
Pour en savoir plus
Rapport d’information de M. Bernard Piras sénateur de la Drôme, Démocratie, Finances, Europe : les déficits hongrois, Commission des affaires européennes, n° 684, 2011-2012
Claire Estagnasié, La nouvelle constitution jugée conservatrice de la Hongrie, un danger pour la démocratie ?, lepetitjuriste.fr, 2011.