Qui peut aujourd’hui dire qu’il n’a jamais utilisé le moteur de recherche de Google ? Ce dernier représente actuellement 90,4% des recherches effectuées par les internautes français1. Deux techniques permettent le référencement d’un site dans un moteur de recherche ou un annuaire : le référencement naturel et le référencement Adwords.
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Le référencement naturel s’effectue par l’indication de mots-clés dans le code source de chaque page d’un site. Ces mots-clés reflètent l’objet de la page. Lorsqu’un internaute interroge un moteur sur l’un de ces mots-clés, l’adresse du site apparaît dans la liste des résultats. Ce référencement est gratuit.
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Depuis 2000, Google a mis en place un système de référencement dit payant, appelé Adwords. Par ce système, Google propose aux annonceurs un affichage privilégié de l’adresse de leur site qui apparait sur fond jaune, en tête et en bas de page de résultats. Les annonceurs choisissent les mots-clés, souvent sur proposition de Google qui leur suggère les plus saisis par les internautes selon l’activité concernée. Ces liens sont dits commerciaux, car Google est rémunéré par le système dit du « pay per clic »2
L’apparition de ce référencement payant pose des problèmes de droit, notamment de propriété intellectuelle, lorsqu’un annonceur emploie comme mot-clé la marque d’un tiers sans son autorisation. Toute la question est de déterminer les responsables et le (s) fondement(s) sur le(s)quel(s) ces derniers peuvent être poursuivis.
Les annonceurs qui sélectionnent la marque d’un tiers pour référencer leur site peuvent être poursuivis pour contrefaçon dès lors que les conditions de cette action sont réunies. Cependant il est quelquefois difficile de découvrir l’identité des annonceurs qui sont, de surcroit, parfois insolvables. C’est pourquoi plusieurs titulaires de marques ont choisi de poursuivre Google, pour qui la question de la solvabilité ne se pose pas… En effet, dans le système Adwords, cette société encourage les annonceurs à employer des marques comme mots-clés.
Saisie par la Cour de cassation de questions préjudicielles, la Cour de justice de l’Union européenne3 se prononce sur la question dans un arrêt du 23 mars 20104. Dans cette affaire, la CJUE statue sur le point de savoir si Google peut être considéré comme un contrefacteur de marque, et, dans la négative, s’il peut néanmoins voir sa responsabilité engager et sur quel(s) terrain(s).
La CJUE considère en l’espèce que Google n’est pas contrefacteur, car toutes les conditions de la contrefaçon de marque ne sont pas réunies, en particulier celle tenant à l’usage du signe contrefait dans la vie des affaires ; ce n’est pas en effet Google qui réalise l’usage contrefaisant du signe litigieux. Néanmoins, la Cour estime que la responsabilité délictuelle de droit commun5 de Google peut être engagée s’il est démontré que ce dernier a eu un rôle actif dans le choix des mots clés litigieux. Sur ce point, la Cour laisse au juge national le soin de déterminer quel a été le rôle de Google au sein des différentes affaires qui lui sont soumises.
Si le juge national considère que Google a eu un rôle actif dans le choix des mots-clés, sa responsabilité délictuelle de droit commun peut être engagée : Google sera considéré comme un éditeur de contenu. La jurisprudence doit encore définir à quoi correspond ce rôle actif. A l’inverse, si le juge estime que Google n’a eu qu’un rôle passif, sa responsabilité est atténuée ; il sera qualifié d’hébergeur6. Dans ce dernier cas, Google est présumé irresponsable des contenus hébergés. Pour que sa responsabilité de droit commun soit engagée, il appartient alors au titulaire de la marque de prouver que ce dernier a eu connaissance de l’usage illicite du signe protégé et qu’il n’a pas réagi.
A la lumière des réponses données par la CJUE, la chambre commerciale de la Cour de cassation a, par quatre arrêts en date du 13 juillet 20107, jugé que Google n’a eu qu’un rôle passif dans le choix des mots clés litigieux, et qu’ainsi sa responsabilité ne peut être engagée. Elle a, en effet, jugé que les éléments de preuve apportés par les demandeurs ne suffisaient pas à caractériser le rôle actif de Google. Il en résulte que Google est présumé hébergeur, il revient alors au demandeur de démontrer le rôle actif pour renverser cette présomption.
Parmi les éléments de preuve tendant à démontrer le rôle actif, la Cour a refusé d’admettre le fait que Google conseille les annonceurs sur la rédaction des liens commerciaux, qu’elle perçoive une rémunération substantielle, qu’elle encourage à augmenter l’enchère de l’annonceur pour être en meilleure position dans la liste des résultats ou encore qu’elle propose à ce dernier une liste de mots-clés.
Devant la rigueur dont fait preuve la Cour de cassation quant à l’appréciation des éléments de preuve du rôle actif de Google, il semble que cette présomption simple selon laquelle Google est hébergeur, devienne, en pratique, difficile à renverser. D’ailleurs, plusieurs arrêts postérieurs8 sont allés dans le même sens et ont rejeté la responsabilité de Google en tant qu’éditeur en raison de la difficulté de prouver son rôle actif.
La responsabilité étant difficile à engager, les titulaires de marques doivent donc continuer de poursuivre les utilisateurs de Google Adwords, à savoir les annonceurs, plus particulièrement les plus importants et les plus solvables. C’est le cas d’eBay qui utilise Adwords notamment pour renvoyer les utilisateurs vers son site d’enchères en sélectionnant des signes utilisés par des marques tels que Lancôme par exemple.
Dans un arrêt du 12 juillet 20119, la CJUE a considéré qu’eBay n’était pas contrefacteur car toutes les conditions de la contrefaçon n’étaient pas satisfaites10. Néanmoins, elle a admis que la responsabilité d’eBay pouvait être engagée selon le rôle actif ou passif de ce dernier dans le choix des mots-clés utilisés pour le référencement11. La responsabilité de l’annonceur peut enfin être engagée sur le terrain de la protection spéciale reconnue aux marques renommées lorsque le signe en cause est si célèbre qu’il mérite cette qualification. Selon la CJUE, le titulaire d’une marque renommée peut interdire à un concurrent d’utiliser cette marque, dans un système de référencement payant, pour promouvoir ses produits et services si cette utilisation ternie ou dilue la marque renommée. En l’espèce, Mark & Spencer avait sélectionné dans la liste proposée par Adwords le signe Interflora détenu par la société du même nom, afin de promouvoir son nouveau service de livraison floral.
Cependant, malgré les précisions résultant de la jurisprudence de la CJUE, le débat n’est pas clos. En effet, le 4 novembre 2011, Google a mis en place un nouveau système, nommé Google Adwords Express, destiné aux PME. Grâce à ce système, Google choisit des mots-clés à la place des PME afin que celles-ci aient une meilleure visibilité sur la toile. Google permet ainsi aux PME d’être mieux référencées selon leurs critères13. Ce nouveau système relance la réflexion quant au rôle actif ou passif de Google et à sa qualité présumée d’hébergeur, puisqu’il semble que l’utilisateur ne choisisse pas les mots-clés. De plus, certaines décisions de juges du fond laissent pointer la possibilité d’une évolution de la jurisprudence14.
Ludovic Lambert et Morgane Wurmser
Master 2 de droit du multimédia et des systèmes d’information Université de Strasbourg
1 Sources AT Internet novembre 2011 consultable ici
2 Google est rémunéré à chaque clic des internautes sur le lien en question. La rémunération est fixée par l’annonceur par un système d’enchères. En effet, à mots-clés identiques, l’annonceur qui propose l’enchère la plus importante voit l’adresse de son site en tête de la page de résultats.
3 Ci-après CJUE.
4 CJUE 23 mars 2010 (Affaires jointes C-236/08 à C-238/08), consultable ici.
5 Articles 1382 et suivants du Code civil.
6 Pour engager la responsabilité d’un hébergeur, il faut démontrer soit l’absence de réaction soit la lenteur de la réaction après notification, par un tiers ou un titulaire de droit, de la présence d’un contenu illégal ou portant atteinte aux droits d’un tiers. L’hébergeur ne peut être responsable du simple fait de la présence du dit contenu.
7 Com. 13 juillet 2010,n°08-13944, n°06-20230, n°06-15136 et n°05-14331,Legipresse n°288, pages 638-644.
9CJUE 12 juillet 2011, L’Oréal SA e.a./eBay International AG e.a. (Affaire C-324/09), consultable ici.
10 Notamment la condition tenant à l’usage du signe pour des produits ou services identiques ou semblables à ceux du titulaire de la marque, qu’on nomme principe de spécialité.
11 Pour plus de détails se référer à l’article rédigé par nos camarades Paul, Ralph et Antoine sur le même site.
13 Selon notamment le territoire, le nombre de clics quotidiens moyens, le placement.
14 En outre, une décision récente du Tribunal de Grande Instance de Paris, rendue le 14 novembre 2011 (consultable ici), a remis en cause cette jurisprudence. En effet, les juges ont considéré que Google, via son service de référencement payant Adwords, est un éditeur, ce qui permet ainsi d’engager sa responsabilité délictuelle de droit commun. Cependant, cette décision, qui reste pour l’instant isolée, a été rendue sur le terrain des droits de la personnalité et n’a pas encore été revêtue de la force de chose jugée. Peut-on espérer que cette solution soit transposée en droit des marques ?