La Commission européenne a, ce mercredi 27 juin, infligé une amende record de 2,42 milliards d’euros en matière d’abus de position dominante à l’Américain Google. Cette affaire permet de rappeler la notion d’abus de position dominante en droit européen et les griefs adressés par la Commission européenne au géant Google.
L’abus de position dominante
La notion de position dominante a été définie dès 1978 par la Cour de justice de l’Union européenne comme « une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs »(Arrêt du 14 février 1978, United Brands / Commission, 27/76, EU:C:1978:22, paragraphe 65).
Comme l’a rappelé durant sa conférence de presse Margrethe Vestager, la commissaire chargée de la politique de concurrence, le fait d’occuper une position dominante sur le marché européen n’est pas illégal per se; seul l’abus de position dominante est répréhensible au titre de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
L’article 102 du TFEU cible, non exhaustivement, quatre hypothèses dans lesquelles une entreprise abuse de sa position dominante: lorsque l’entreprise (i) impose des conditions de transaction non équitables; (ii) limite sa production ou la qualité de ses produits au détriment des consommateurs; (iii) traite de manière inégale ses partenaires commerciaux pour des prestations équivalentes ou (iv) subordonne la conclusion de contrats avec les partenaires à l’acceptation de prestations supplémentaires.
Il appartient ainsi aux entreprises bénéficiant d’une position dominante sur un marché de veiller à ne pas restreindre l’accès et le maintien de leurs concurrents sur ce marché; mais cela signifie également pour une entreprise dominante sur un marché de ne pas restreindre la concurrence sur des marchés distincts.
L’abus de position dominante suppose ainsi une étude en trois temps : la première étape consiste en la délimitation du marché pertinent ; vient ensuite la détermination de la position dominante d’une entreprise sur ce marché ; puis l’identification d’un abus par l’entreprise de cette position dominante. Dans le cas d’espèce, la Commission européenne a dès lors opéré une enquête en deux temps afin de conclure sur l’abus de position dominante de la multinationale.
L’enquête menée par la Commission sur le géant Google
La Commission ne s’est pas directement attaquée au moteur de recherche de Google, qui génère plus de 90% des profits de l’entreprise, mais à son service de comparaison de prix en Europe lancé en 2004, « Google Shopping ». Ce service permet aux consommateurs de comparer des produits et leurs prix ainsi que de trouver les meilleures offres des revendeurs en ligne.
L’enquête a permis d’établir que Google a, depuis 2008, favorisé son service de comparaison de prix en lui offrant une position de premier plan dans ses résultats de recherche; mais l’entreprise a également soumis les services de comparaison de prix concurrents à un algorithme de recherche générique ayant pour conséquence leur rétrogradation dans les résultats de recherche. Les consommateurs ayant tendance à cliquer sur les premiers résultats apparaissant sur le moteur de recherche, Google Shopping a dès lors bénéficié d’un trafic plus important.
La Commission a d’abord conclu que Google occupe une position dominante sur les marchés de la recherche générale sur Internet dans l’ensemble de l’Espace économique européen (États membres de l’Union européenne, Islande, Norvège, Liechtenstein) en prenant en compte deux facteurs: les parts de marché de Google, atteignant 90% dans certains Etats membres, ainsi que les barrières élevées restreignant l’entrée de ses concurrents sur ce même marché.
L’institution européenne a ensuite conclu que Google a abusé de sa position dominante sur le marché de la recherche générale sur Internet en conférant un avantage illégal à son propre service de comparaison de prix.
L’amende prononcée par l’institution, d’un montant de plus de 2,42 milliards d’euros, prend en compte la durée et la gravité de l’infraction sur le territoire européen. Prononcée à l’encontre d’Alphabet Inc., la société mère de Google, elle est toutefois à relativiser: alors même qu’il s’agit de la plus forte amende jamais prononcée en matière d’abus de position dominante – le précédent record de 1,06 milliard était détenu par l’entreprise Intel , nous sommes encore loin du montant maximum que pouvait prononcer la Commission à l’encontre de Google (10% du chiffre d’affaires annuel total de l’entreprise, soit 9 milliards d’euros). Google a cependant deux mois pour former un recours contre la décision devant la Cour de justice de l’Union européenne au titre de l’article 263(4) du TFUE.
Outre le montant de l’amende en jeu, la décision de la Commission quant à la position dominante de Google sur le marché de la recherche générale sur Internet constitue un précédent qui facilitera les enquêtes de la Commission sur toute présomption d’abus du géant américain en lien avec d’autres marchés. Deux enquêtes à l’encontre de Google sont encore en cours concernant son système d’exploitation Android et sa plate-forme publicitaire AdSense . La saga « Commission vs Google » est donc loin d’être finie.
Pour en savoir plus :
Article 102 du TFUE:
“Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.”
Communiqué de presse de la Commission européenne du 27 juin 2017 relatif à l’amende inflingée à Google, accessible sur http://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-1784_fr.htm.
Communiqué de presse de la Commission européenne du 13 mai 2009 relatif à l’amende infligée à Intel, accessible sur http://europa.eu/rapid/press-release_IP-09-745_en.htm?locale=FR.
Communiqué de presse de la Commission européenne du 20 avril 2016 relatif à l’enquête sur Android, accessible sur http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-1492_fr.htm.
Communiqué de presse de la Commission européenne du 14 juillet 2016 relatif à l’enquête sur AdSense, accessible sur http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2532_fr.htm.