- Qu’est-ce que « Football Leaks » ?
En septembre 2015, un site internet du nom de Football Leaks commence à révéler en ligne des informations sur « les curiosités autours du monde du football ».[1] Des contrats de transfert de joueurs ainsi que des contrats entre clubs et joueurs. Son auteur, toujours anonyme, aurait par la suite transmis au journal allemand Der Spiegel pas moins de 18 millions de documents confidentiels, obtenus selon ses dires, de manière légale. L’influent hebdomadaire allemand a partagé l’ensemble des documents avec l’European Investigative Collaboration (EIC), un réseau de journaux composé de 12 médias européens. Pendant 7 mois, 60 journalistes et 8 informaticiens ont analysé ces données. Les premiers éléments de l’enquête ont été révélés le 2 décembre dernier et l’affaire porte désormais le nom de « Football Leaks ».
Pourtant, tout avait été mis en œuvre pour que les révélations de l’EIC ne soient pas rendues publiques. Une injonction judiciaire a été publiée le 29 novembre par Arturo Zamarriego Fernandez, juge d’instruction madrilène, interdisant la publication du dossier par le quotidien espagnol El Mundo.[2] Elle faisait suite à la plainte d’un cabinet d’avocats de Madrid qui défend notamment les intérêts du club du Real Madrid. Le 2 décembre, ce même juge a rendu une seconde injonction afin que la coopération judiciaire européenne interdise la publication de l’affaire dans les différents pays européens.
Aucune des deux injonctions n’a été respectée par les membres de l’EIC.
- Que nous apprend l’affaire ?
L’affaire a été répartie en trois semaines de révélations. Le premier volet concerne un vaste système d’évasion fiscale mis en place, pour partie, par le super agent et très controversé Jorge Mendes qui officie, entre autres, pour Cristiano Ronaldo, l’attaquant du Real Madrid, José Mourinho, entraineur de Manchester United ou encore Radamel Falcao, attaquant de l’AS Monaco.
On y apprend que plusieurs joueurs européens, comme Cristiano Ronaldo encore deux des stars du Paris Saint-Germain, Javier Pastore et Angel Di Maria ont perçu leurs recettes de droit à l’image et de sponsor, via un système de sociétés écran installé aux Pays-Bas, sur des comptes qui se trouveraient aux Iles Vierges Britanniques pour le premier, au Panama pour le second, et en Uruguay pour le troisième. Trois territoires reconnus comme des paradis fiscaux.
Le fait d’utiliser les règles fiscales afin d’optimiser ses intérêts n’est pas en soi considéré comme une évasion fiscale. Cependant, le fait d’agir en infraction de ses mêmes règles constitue une évasion fiscale, ce que la justice devra déterminer.
- Quel est l’impact de l’affaire ?
L’impact de ces révélations sur la perception du football, bien qu’important, est à relativiser, tant les scandales se sont multipliés ces dernières années. Cela n’est en effet pas sans rappeler les affaires qui ont éclaboussé joueurs et clubs. Mentionnons ici Franck Dumas en France[3], ou, Lionel Messi en Espagne[4]. Cependant, deux différences majeures apparaissent :
Premièrement, concernant les montants allégués. Messi avait dissimulé à l’administration fiscale la somme de 4,1 millions d’euros. Selon l’IEC les sommes détournées simplement par le joueur Cristiano Ronaldo seraient de l’ordre de 150 millions d’euros, et de 180 millions pour l’ensemble de l’évasion.
Deuxièmement, les révélations de l’affaire Football Leaks semblent montrer que ce qui était considéré jusque-là comme un épiphénomène serait en fait systémique et étendu à un vaste réseau d’acteurs du football.
Cependant, la même enquête révèle également que d’autres footballeurs ont choisi au contraire de payer des impôts dans leur pays de naissance. Tel est le cas de Karim Benzema, actuel attaquant du Real Madrid, qui toujours paierait les impôts liés à son droit à l’image en France à un taux de 20% au lieu des 4% dont il pourrait bénéficier en Espagne.
En France, le fait de commettre une infraction fiscale est passible de 500 000 € d’amende et 5 ans d’emprisonnement et peut atteindre jusqu’à 2 000 000 € d’amende et 7 ans d’emprisonnement lorsque les faits ont été commis en bande organisée.
En Espagne, l’article 305 du Code pénal espagnol prévoit une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et une amende, jusqu’à six fois le montant de l’évasion.
- Que faut-il attendre de la suite ?
Le 3 décembre, à la suite de ces révélations, le Secrétaire d’Etat au Budget Espagnol a confirmé la véracité des documents de l’EIC et a indiqué que des « inspections opportunes seraient réalisées » sur la situation de Cristiano Ronaldo. Le 7 décembre, suite aux informations de l’administration fiscale, le parquet de Madrid a ouvert une procédure à l’encontre de plusieurs anciens joueurs du Real Madrid, parmi lesquels Xabi Alonso, Ricardo Carvalho mais aussi Angel Di Maria.
Les journaux membres de l’IEC ont dévoilé d’autres éléments. Deux domaines sont particulièrement visés, l’exploitation des joueurs mineurs via le contournement des règles instaurées par la FIFA, et par la suite, les pratiques et connexions mafieuses, dont le blanchissement d’argent et les pratiques autours des transferts.
La source des fuites aurait indiqué avoir pour objectif de rendre le monde du football davantage transparent. Alors que les journalistes qui auraient jusqu’alors tenté de briser l’omerta pouvaient subir des pressions, les auteurs de malversations auront sans doute désormais, à rendre compte de leurs actes.
S’il est certain que l’essor de l’économie du football a rendu ce sport extrêmement puissant, quelques dirigeants se sont parfois considérés au-dessus des lois. Pour continuer à prospérer, une mutation rapide semble nécessaire tant les affaires semblent se multiplier ces derniers temps. Le football pourrait bien être à nouveau, sujet aux lois.
Un carton jaune pour le sport le plus populaire au monde ?
Baptiste Laville
Pour en savoir plus :
L’intégralité de l’enquête est à retrouver sur le site de Mediapart :
https://www.mediapart.fr/journal/international/dossier/football-leaks-notre-dossier
[1] www.footballleaks2015.wordpress.com
[2] Zamarriego se fonde sur l’article 197.1 du Code Pénal espagnol qui protège le droit fondamental de tout citoyen à la confidentialité de ses communications face aux actes délictuels
[3] Condamné en septembre 2016 pour fraude fiscale par défaut à 3ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Caen. Après opposition, conformément à l’article 571 du code de procédure pénale, il est rejugé et la décision sera rendue le 31 janvier 2017.
[4] Condamné en juillet 2016 pour fraude fiscale entre 2007 et 2009, à 21 mois de prison ferme et une amende de 2 millions d’euros sur le fondement des articles 305 et 305 bis du Code Pénal espagnol.