Les règles de droit du travail ne s’appliquent pas au travail en prison. Le Conseil économique, social et environnemental qualifie même les prisons de « zones de non-droit du travail »[1]. Le travail en prison est organisé de manière spécifique et suppose le respect d’une certaine procédure. Par ailleurs, le travail carcéral a fait l’objet de nombreux débats récents, tenant notamment à son régime juridique dérogatoire et peu protecteur.
L’organisation du travail carcéral
Si depuis la loi du 22 juin 1987, le détenu n’est plus contraint de travailler, il lui incombe cependant une obligation d’activité. Aux termes de l’article 27 de la loi du 24 novembre 2009 « toute personne condamnée est tenue d’exercer au moins l’une des activités qui lui sont proposées par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité ».
Parmi ces différentes activités figurent notamment le travail. Ainsi, selon l’article 717-3 du Code de procédure pénale, « toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande ». Cette demande doit être envoyée au chef de l’établissement pénitentiaire qui réunit et dirige alors une commission pluridisciplinaire composée notamment du responsable du travail et du chef de détention, afin d’examiner la requête formulée par le détenu. Si la Commission rend un avis favorable, une décision de classement du détenu sera alors prononcée, ce dernier étant alors autorisé à travailler mais selon une organisation particulière.
- Le travail interne à la prison
Selon l’article D 103 du Code de procédure pénale, « le travail est effectué dans les établissements pénitentiaires sous le régime du service général, de la concession de main d’œuvre pénale ou dans le cadre d’une convention conclue entre les établissements pénitentiaires et le service de l’emploi pénitentiaire ». Ressortent ainsi de cet article trois organisations possibles du travail en prison.
Tout d’abord, le travail peut être exécuté par le détenu dans le cadre du service général. Ce dernier est ainsi employé par l’administration pénitentiaire « en vue de maintenir en état de propreté les locaux de la détention et d’assurer les différents travaux nécessaires au fonctionnement des services[2] ». Il peut ainsi s’agir d’activités de cuisine, jardinage ou coiffure.
Le travail peut par ailleurs être réalisé en concession. Le détenu est alors mis à la disposition d’une entreprise privée afin de réaliser des travaux de production dans des locaux ou ateliers situés à l’intérieur de la prison. Un contrat de concession est signé entre l’établissement pénitentiaire représenté par le directeur et l’entreprise. Au terme de ce dernier, le concessionnaire fait travailler les détenus, fournit les outils et assure la vente des produits. L’administration pénitentiaire, quant à elle, demeure l’employeur. Le travail réalisé en concession peut porter sur la fabrication de panneaux de signalisation routière.
Enfin, le détenu peut être affecté à la régie industrielle de l’établissement pénitentiaire. Il est directement employé par ce dernier qui « sous-traite » néanmoins l’organisation des activités de production généralement exercées au sein d’ateliers au service de l’emploi pénitentiaire. Le détenu peut alors être chargé de la réalisation du mobilier ou d’uniformes du personnel destinés à être vendus par le service de l’emploi pénitentiaire.
- Le travail externe à la prison
La personne détenue peut bénéficier d’un régime particulier de détention l’autorisant à quitter l’établissement pénitentiaire afin d’exercer une activité professionnelle mais aussi de suivre un enseignement ou une formation professionnelle. L’objectif est de favoriser la réinsertion et prévenir ainsi les risques de récidive.
Le régime juridique du travail carcéral
La peine privative emporte, pour toutes les personnes à qui elle est infligée, une multitude de restrictions, notamment à leurs droits et libertés fondamentales. Parmi celles-ci, l’exclusion du contrat de travail et ses conséquences juridiques qui en découlent.
- L’absence de contrat de travail
Le travail au sein de la prison se singularise par l’absence de contrat de travail. L’article 717-3 du Code de procédure pénale précise en effet que les relations de travail des personnes détenues ne font pas l’objet d’un contrat de travail mais d’un acte d’engagement établi par l’administration pénitentiaire. Cet acte doit être signé par le chef d’établissement et le détenu avant toute prise de fonction[3]. Ainsi, cet acte se présente comme un substitut au contrat de travail mais il s’agit bien d’une décision administrative.
Une question reste toutefois en suspens : puisque les détenus peuvent travailler, pourquoi n’auraient-ils pas droit à un contrat de travail ?
Le Conseil constitutionnel a été saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur les dispositions de l’article 717-3. Ces demandes étaient fondées principalement sur le non-respect des principes énoncés dans le préambule de la Constitution de 1946 prohibant toute discrimination dans son travail en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances et affirmant le droit à l’action syndicale et le droit de grève.
Par une décision en date du 14 juin 2013[4] « Yacine T. », le Conseil a affirmé qu’il revenait au législateur d’organiser le travail des détenus. Ainsi, le refus de leur accorder un contrat de travail et donc de les intégrer dans le droit commun du travail ne viole pas le Préambule de la Constitution de 1946. En outre, le Conseil a estimé qu’il n’y avait pas d’atteinte au principe d’égalité dans la mesure où les personnes détenues n’étaient pas dans une situation identique à celles des salariés de droit commun.
Deux ans après ce premier échec, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une seconde QPC, abordant le problème dans l’autre sens. Au lieu de contester l’absence de contrat de travail, le requérant a remis en cause l’acte d’engagement lui-même.
Dans une décision « Johnny M. » du 25 septembre 2015[5], le Conseil constitutionnel s’est donc prononcé sur le droit au travail des personnes détenues. Le recours a été introduit par l’une de ces dernières, qui contestait le retrait par l’administration pénitentiaire de son autorisation de travailler en prison. Le Conseil a considéré que les dispositions de l’article 717-3 étaient conformes à la Constitution. En effet, il précise que le législateur peut apporter des limitations à la liberté contractuelle, dès lors qu’elles sont liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général et qu’elles ne sont pas disproportionnées au regard du but recherché.
Ces deux décisions ont été largement critiquées dans la mesure où elles ne permettent pas la reconnaissance d’un véritable droit du travail aux personnes détenues.
- Les conséquences découlant de l’absence de contrat de travail
L’article R 57-9-2 du Code de procédure pénale prévoit que l’acte d’engagement doit indiquer « la description du poste de travail, le régime de travail, les horaires de travail, les missions principales à réaliser et la rémunération ».
La rémunération est encadrée par l’article 32 de la loi du 24 novembre 2009 qui précise qu’elle ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance. En pratique, les personnes travaillant en production pour le compte d’entreprises privées doivent percevoir une rémunération horaire brute équivalente à 45 % du SMIC (soit 4,32 euros au 1er janvier 2015). Pour celles travaillant au « service général », le taux varie selon la classification du poste : 33 % du SMIC pour un poste de classe I (soit 3,17 euros) ; 25 % pour un poste de classe II (soit 2,40 euros) et 20 % pour un poste de classe III (soit 1,92 euro).
Concernant le temps de travail, le Code de procédure pénale énonce que « la durée du travail ne peut excéder les horaires pratiqués en milieu libre dans le type d’activité considéré ». Par ailleurs, le texte précise que « le repos hebdomadaire et des jours fériés doit être respecté ». Cependant, en pratique, le droit au repos hebdomadaire et aux jours fériés n’est pas toujours respecté, notamment au sein du service général. Dans certains cas, les personnes travaillent tout le mois, sans journée de repos.
Privé de contrat de travail, le détenu est également privé des garanties légales attachées à sa conclusion. Ainsi, il ne peut prétendre aux congés payés ou au versement d’indemnités en cas de chômage, d’arrêt maladie ou d’accident du travail. Il ne peut non plus se prévaloir des règles encadrant les procédures de licenciement. Il n’y a par ailleurs, en prison, ni droit d’action collective, ni droit à représentation collective.
Charlotte Krief, Mathilde Chouvy, Tiphaine Gaubert
[1] Avis du Conseil Économique Social et Environnemental du 9 décembre 1987
[2] Articles D 105 et D 433-3 du Code de procédure pénale
[3] Article R 57-9-2 du Code de procédure pénale
[4] Décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013
[5] Décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015
Pour en savoir plus
E. Allain, « La prison : un lieu de travail comme les autres ? » AJ Pénal 2013 p.63
C. Wolmark, « Le travail en prison », Constitutions 2015 p.579
C. Fleuriot, « Le Conseil constitutionnel n’exige pas de réforme du travail en prison », Dalloz Actualité 28 septembre 2015