Dans l’enseignement supérieur français, il est d’usage de penser que les Universités et les directeurs de formation peuvent sélectionner les étudiants en master 2 selon des critères qu’ils déterminent.
Pour tordre le cou à cette croyance, il faut d’abord rappeler que les études secondaires sont organisées en « cycle » Licence Master Doctorat (LMD) depuis le Décret n° 2002-482 du 8 avril portant application au système français d’enseignement supérieur de la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur.
En outre, la loi du 10 août 2007 « LRU » a inclus la Licence au sein du premier cycle de formation universitaire et le Master au sein du deuxième cycle (Article L. 612-1 du code de l’Education et Article 2 de l’arrêté du 22 janvier 2014).
Dans un communiqué du 25 juin 2014, le ministre de l’Education nationale de l’époque et la Secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur affichaient fortement leur opposition à la sélection à l’entrée du M2. Une « survivance » qu’il faut « absolument faire évoluer », estimaient-t-ils. « Il est inadmissible que nous ayons une sélection en milieu de cycle. »
Pourtant, si la sélection des candidats en master 2 est bien une survivance de l' »ancien régime » de l’enseignement supérieur, les changements juridiques intervenus dans les textes rendent cette sélection illégale.
Aucune disposition légale ou réglementaire applicable à ce jour ne permet d’opérer une sélection des candidats au sein de la formation débouchant sur le diplôme de Master et le seul argument des universités consistant à se fonder sur l’article 11 d’un arrêté du 25 avril 2002 en grande partie abrogé, contrevient à la loi précitée et codifiée.
A. LE DEFAUT DE BASE LEGALE
- La formation conduisant au diplôme de Master n’est pas une formation sélective
L’article L. 612-3 du code de l’Education prévoit :
« (…) Les dispositions relatives à la répartition entre les établissements et les formations excluent toute sélection. (…) «
Les formations sélectives sont celles prévues par la loi et répertoriées dans le Code de l’Education au même article L. 612-3 du code de l’Education :
« une sélection peut être opérée, (…) pour l’accès aux (…)
– sections de techniciens supérieurs,
– instituts,
– écoles et préparations à celles-ci,
– grands établissements et classes préparatoires aux grandes écoles »
En dehors de ces formations, point de salut. Le Master n’étant pas classé par le législateur comme formation sélective aux seins des universités publiques françaises, il va de soi que les universités ne peuvent rajouter à la loi en sélectionnant les Etudiants.
Ce serait entacher les sélections en master d’un défaut de base légale.
- Le Décret qui aurait permis de sélectionner en master n’a jamais été édicté
L’article L. 612-6 du code l’Education prévoit que :
« L’admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte à tous les titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle. (…) « .
Ainsi, tout titulaire d’une Licence dispose du droit de s’inscrire en Master.
La confusion propagée est d’indiquer que si l’inscription en Master 1 est de droit, les Universités peuvent néanmoins organiser des sélections pour l’entrée en master 2 selon des critères de places disponibles, d’obtention d’un niveau de note ou « sur dossier » apprécié par un jury.
Or, aucune disposition législative ou réglementaire ne les autorise à effectuer ce type de sélection entre les candidats comme précédemment indiqué.
En effet, l’article précité continue de prévoir de manière très explicite :
» (…) la liste limitative des formations dans lesquelles cette admission peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat, est établie par décret après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. «
Or, ce décret n’est jamais intervenu.
Les conséquences juridiques de l’absence d’un décret prévoyant des conditions d’admission à l’université ont déjà été précisées par le Conseil d’Etat :
» en l’absence du décret prévu (…) l’admission (…) ne pouvait être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat » ; (CE 27 juin 1994 n°100111).
Récemment, le Tribunal administratif de Bordeaux l’a confirmé :
» qu’il résulte des dispositions précitées qu’en l’absence du décret prévu au deuxième alinéa de l’article L. 612-6 du code de l’éducation, l’admission en deuxième année de master ne pouvait être subordonnée aux capacités d’accueil de l’établissement, au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat ; (…) Mme S., titulaire d’une licence, avait validé une première année de master (…) avait ainsi un droit à être inscrite dans la formation menant au master 2 recherche sollicité (…) « (TA de Bordeaux 5 déc. 2013, n° 1202500).
Par conséquent, il n’y a pas lieu de distinguer entre M1 et M2 comme le font les universités. Les sélections d’étudiants ne peuvent avoir lieu durant le suivi de la formation conduisant au diplôme de Master.
B. LA VIOLATION DE LA LOI
- La distinction entre Master 1 et Master 2 est contraire à la notion légale de « cycle »
En 2011, la Médiatrice de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Monique Sassier, avait rappelé dans son rapport :
» la notion de cycle d’enseignement incite à retenir une architecture cylindrique ou tubulaire, et non une architecture pyramidale avec une base large et un sommet étroit ».
Le système par cycle « LMD » prévoit un diplôme à Bac+3 (Licence) Bac+ 5 (Master) et Bac + 8 (Doctorat). Aucun diplôme intermédiaire à Bac +4 (Master 1) n’existe dans les textes.
Il n’y a donc pas de distinction à opérer entre Master 1 et Master 2 pour mettre en place des critères de sélection puisqu’aucun diplôme n’est délivré à l’issue des deux premiers semestres de formation mais uniquement, en cas de validation, à la fin des quatre semestres.
L’arrêté du 22 janvier 2014 qui fixe le cadre national du diplôme de Master l’a confirmé. Le cycle master est organisé en 4 semestres, non en 2 semestres + 2 en option (ou sous conditions), mais 4 au total.
Une fois admis en deuxième cycle, rien ne permet aux universités de mettre un terme au master à la fin des deux premiers semestres.
Une fois à l’intérieur du cycle, l’étudiant a le droit de poursuivre sa formation pour essayer d’obtenir des crédits suffisants et à l’issue, être diplômé. Le cycle doit être suivi pendant 4 semestres. Reste à l’étudiant de les valider, fussent-ils par le jeu des compensassions, les rattrapages, que les universités organisent.
Aucun texte ne prévoit la possibilité d’être exclu au milieu du cycle ; ce serait contraire à cette notion cyclique.
Outre que la distinction M1/M2 n’existe plus, la distinction master pro/recherche a été abrogée avec l’Arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale.
- L’indifférenciation entre master « professionnel » et master « recherche »
Pour prétendre que la sélection en master 2 est possible, les universités se fondent sur l’article 11 arrêté du 25 avril 2002 qui prévoyait que l’admission en master pro ou recherche était soumis à la décision du directeur de formation.
Or, aujourd’hui c’est bien le seul arrêté du 22 janvier 2014 qui réglemente le diplôme de Master, pas l’arrêté du 25 avril 2002.
L’arrêté du 25 avril 2002 précité faisait la distinction mais celle-ci a été abrogée par l’arrêté du 7 août 2006 relatif aux études doctorales qui autorise l’inscription en doctorat des titulaires de master, sans mention obligatoire de spécialité ; abrogation confirmée par l’arrêté du 22 janvier 2014.
L’article 16 de l’arrêté du 22 janvier 2014 prévoit en effet :
» (…) La formation comprend obligatoirement une initiation à la recherche (…) Elle prévoit une orientation adaptée au projet professionnel de l’étudiant et assure une préparation à son insertion dans le milieu professionnel. «
Enfin, l’arrêté de 2002 était applicable aux masters quand ceux-ci appartenaient au troisième cycle (doctorat -où les sélections sont toujours possible bien que ne faisant pas partie des formations « sélectives ») mais la loi LRU de 2007 a inclus les master en deuxième cycle, où les sélections ne sont plus possibles en l’absence du décret prévu par l’article L. 612-6 du code de l’Education.
Par conséquent, les universités ne peuvent prétendre pouvoir mettre un terme au deuxième cycle suivi par l’étudiant au motif de la dite distinction.
Florent Verdier
Avocat (www.verdieravocat.com)