Par un arrêt du 19 février 2013, la Cour de cassation limite la liberté des contractants en matière de gage des stocks, en retenant une application impérative du régime spécial prévu par le Code de commerce lorsque ses conditions sont réunies.
Le gage fait l’objet de dispositions concurrentes au sein, notamment, du Code civil (articles 2333 et suivants) et du Code de commerce (articles L. 521-1 et suivants). Alors que le Code civil prévoit les dispositions applicables au gage en général, le Code de commerce prévoit des dispositions particulières au gage commercial portant sur certaines choses mobilières. En particulier, l’articulation entre gage des stocks du Code de commerce et gage de droit commun a fait l’objet d’interrogations importantes d’une partie de la doctrine à l’issue de l’ordonnance du 23 mars 2006 ayant réformé le droit des sûretés.
On sait que le gage de droit commun est susceptible de porter sur « un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs » ; au vu de la rédaction de ce texte, il semble donc possible de constituer un gage des stocks de droit commun. Néanmoins, l’article L. 527-1 du Code de commerce établit un régime spécial de gage des stocks, lequel « peut » être contracté à l’occasion de « tout crédit consenti par un établissement de crédit à une personne morale de droit privé ou à une personne physique dans l’exercice de son activité professionnelle ».
Le régime dérogatoire du Code de commerce étant plus contraignant que le droit général du gage, et donc moins attractif pour les établissements de crédit (notamment par son formalisme et l’impossibilité de mettre en œuvre un pacte commissoire), ces derniers se sont interrogés sur la possibilité de contracter un gage de droit commun alors même que les conditions prévues au texte des articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce seraient réunies.
La cour d’appel de Paris avait, le 3 mai 2011, admis cette possibilité, en estimant que (i) l’utilisation du mot « peut » au sein de l’article L. 527-1 du Code de commerce (« Tout crédit (…) peut être garanti par un gage sans dépossession des stocks ») devait s’entendre comme conférant aux parties la possibilité de ne pas recourir au régime spécial, au profit du droit commun du gage, et (ii) que l’article 2354 du Code civil, prévoyant que les règles du régime général « ne font pas obstacle à l’application de règles particulières prévues en matière commerciale », n’édicte pas une interdiction de recourir au régime de droit commun en présence de règles particulières. La cour en déduisait la faculté, pour les parties, de recourir au gage de droit commun nonobstant le régime spécial.
La Cour de cassation, par un arrêt du 19 février 2013 (11-21.763) promis à une large diffusion, casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, au visa des articles 2333 du Code civil et L. 527-1 du Code de commerce. La cassation est particulièrement sèche : « s’agissant d’un gage portant sur des éléments visés à l’article L. 527-3 du code de commerce, les parties, dont l’une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession ». La sanction pour les gages ainsi constitués est sévère puisqu’ils semblent devoir être frappés de nullité en application des articles L. 527-1, 3° et L. 527-4 du Code de commerce.
La solution n’était pas certaine, de nombreux auteurs s’étant réjouis du parti pris en 2011 par la cour d’appel de Paris[1]. On sait que, par principe, les règles spéciales priment les règles générales. Néanmoins, l’application de l’adage specialia generalibus derogant ne doit valoir que dans l’hypothèse où le législateur a effectivement souhaité mettre en place une dérogation au régime général, et non pas une faculté ouverte aux parties[2]. En ce sens, l’interprétation de l’expression « Tout crédit (…) peut être garanti par un gage sans dépossession des stocks », et en particulier du mot « peut », est délicate en l’absence de toute précision complémentaire. On peut relever que la solution de la Cour de cassation conduit à estimer qu’il faut l’entendre non pas comme la faculté de conclure un gage soumis, au choix des parties, au régime général ou au régime spécial (thèse retenue par la cour d’appel de Paris), mais plutôt comme celle de conclure ou non un gage.
Dans ces circonstances, et en l’absence d’une disposition expresse relative à l’exclusivité du régime spécial, on aurait pu néanmoins penser que la Cour de cassation ferait une plus grande place au principe de liberté contractuelle. Tel n’est pas le cas, l’arrêt consacrant ici l’exclusivité d’un régime spécial qui ne brille que par les critiques dont il a fait l’objet[3].
On pourrait aussi tenter d’expliquer l’application obligatoire du régime spécial par la volonté de protection du cocontractant de l’établissement de crédit[4]. En effet, l’article L. 527-2 prohibe le pacte commissoire dans le cadre du régime spécial. Un auteur a cependant montré l’utilité fort limitée de cette disposition[5].
Dans ce cadre, il semble possible que la décision ait été guidée par des circonstances d’opportunité, la solution ayant le mérite de la clarté[6]. Des auteurs ont montré qu’un choix laissé aux parties soulèverait de nouveaux problèmes[7] et ne serait guère cohérent avec l’existence même d’un régime spécial[8]. Dans l’attente d’une nouvelle réforme ?
Raphaël DURAND
[1] Th. de Ravel d’Esclapon, Gage des stocks : exclusivité du régime, Dalloz actualité, 22 février 2013
[2] Voir, pour cet argument, P. Crocq, Gage de choses fongibles du code civil ou gage des stocks du code de commerce : le choix est-il possible ?, RTD Civ. 2011 p. 785
[3] Certains regrettant la création de cette sûreté (L. Aynès, La réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, D. 2006 p. 1289), d’autres y voyant des dispositions « inutiles » (S. Prigent, La réforme du droit des sûretés : une avancée sur la voie de la modernisation, AJDI 2006 p. 346), d’autres enfin un régime « aussi superflu qu’anachronique » (R. Dammann, La réforme des sûretés mobilières : une occasion manquée, D. 2006 p. 1298)
[4] R. Dammann, op.cit. : « Vu son caractère pénalisant, un établissement de crédit peut-il soumettre le gage des stocks au droit commun ? Il semble que la réponse soit négative. Dans le cas contraire, il serait possible de contourner les dispositions protectrices édictées en faveur du constituant »
[5] P. Crocq, op. cit. : « Outre le fait que l’on se demande bien quelle peut être la justification de cette étrange interdiction (on ne voit pas pourquoi, en effet, les débiteurs professionnels devraient ici être mieux protégés que des non professionnels), cette interdiction est d’une utilité fort limitée puisqu’en cas de difficultés financières, le constituant pourra bénéficier de l’application du droit des procédures collectives et que la mise en œuvre du pacte commissoire sera alors paralysée en application des articles L. 622-7-I, al. 3, et L. 641-3 du code de commerce »
[6] Th. de Ravel d’Esclapon, op. cit.
[7] D. Legeais, Gage sur stocks, RTD Com. 2006 p. 639 : « Autoriser le choix c’est par la même susciter des conflits qui seront inévitablement délicats à résoudre. Par exemple, si les publicités s’opèrent sur des registres distincts, comment s’opérera le classement entre les créanciers ? Les tiers devront-ils toujours consulter deux registres ? »
[8] Th. de Ravel d’Esclapon, op. cit. : « Il est plus cohérent de se dire que si un régime spécial est prévu, il n’est pas nécessairement heureux que celui-ci vienne en concurrence avec le régime général »