Selon le droit international coutumier issu de la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 relative à l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, les Etats ne peuvent renoncer à leur immunité d’exécution que de manière « expresse et spéciale », en mentionnant les biens ou la catégorie de biens pour lesquels la renonciation a été consentie.
Mais par un arrêt du 13 mai 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur sa décision en supprimant l’exigence de la mention « spéciale » cassant ainsi l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 15 novembre 2012 aux motifs que « le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution ».
Le principe de l’immunité d’exécution des Etats
Traditionnellement, les États ainsi que certains de leurs organes bénéficient d’une immunité de juridiction et d’exécution. L’immunité de juridiction dont bénéficient les Etats fait obstacle à ce qu’un Etat étranger ou l’un de ses démembrements organiques soit attrait devant les tribunaux d’un autre Etat. La jurisprudence a limité l’immunité de juridiction aux actes de puissance publique ou accomplis dans l’intérêt d’un service public[1].
L’immunité d’exécution, quant à elle, permet à un Etat de faire obstacle à toute mesure d’exécution forcée tant sur la personne de ses représentants que sur les biens lui appartenant, lorsque l’acte litigieux participe, tant par sa nature que sa finalité, à l’exercice de la souveraineté de cet Etat[2]. En effet, « l’immunité d’exécution dont jouit l’État étranger est de principe [pour le fonctionnement de sa représentation ainsi que pour les besoins de sa mission de souveraineté] ; il en est autrement lorsque le bien saisi se rattache, non à l’exercice d’une activité de souveraineté, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice »[3]. Dans ce cas, le bien serait exclu de toute immunité.
Une solution identique a été adoptée concernant l’application de l’immunité d’exécution aux comptes bancaires des ambassades d’un Etat étranger ou de sa mission diplomatique, dans l’affaire « Société NML Capital c/ République Argentine » du 28 novembre 2011.
Cependant, dans son arrêt du 13 mai 2015 la Cour de cassation précise qu’il appartient à l’Etat de prouver que les comptes avaient été ouverts pour l’exercice de ses missions diplomatiques, de sorte que les fonds déposés bénéficiaient de la présomption d’affectation à l’exercice de ses missions et donc de l’immunité d’exécution.
La continuité de la jurisprudence : l’exigence d’une double condition de renonciation
Dans cette affaire, alors que la République du Congo s’était engagée, à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d’exécution, une société de commission de transport a fait pratiquer, entre les mains d’une banque, une saisie-attribution des comptes ouverts au nom de la mission diplomatique à Paris de cet Etat et de sa délégation auprès de l’UNESCO.
La Cour d’appel de Versailles a alors répondu dans un arrêt du 15 novembre 2012 que « le droit international coutumier prévoit que les missions diplomatiques des Etats étrangers bénéficient d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ».
Une décision qui a par la suite été confirmée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans trois arrêts du 28 mars 2013[4].
En effet, selon le droit international coutumier, les États peuvent renoncer, par contrat écrit, à leur immunité d’exécution sur des biens ou des catégories de biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques. Cependant, dans ses arrêts du 28 mars 2013 la Cour de cassation a insisté sur la double condition « expresse et spéciale ». Par conséquent, comme le souligne le rapport de la Commission du droit international de 1991, « une renonciation générale ou une renonciation concernant tous les biens situés sur le territoire de l’État du for, qui ne mentionnerait aucune des catégories spécifiques, ne suffirait pas à autoriser des mesures de contrainte à l’égard des biens relevant des catégories énumérées au paragraphe 1 » de l’article 18 (Rapport 1991, page 62)[5].
Le déséquilibre des intérêts en présence : la suppression de la condition spéciale :
L’État a la possibilité de renoncer à son immunité d’exécution mais cette renonciation doit être non équivoque. Néanmoins, la jurisprudence n’a pas toujours été uniforme sur cette question puisque, au regret de certains juges du fond, la Cour de cassation avait notamment admis que l’engagement d’un État à exécuter une sentence arbitrale valait renonciation implicite à l’immunité d’exécution[6].
La Cour d’appel de Paris a ensuite exigé qu’une telle renonciation soit « expresse » et non simplement « implicite »[7].
Dans son arrêt précité du 28 novembre 2011, la Cour de cassation a ensuite adopté une conception bien plus stricte en énonçant que, selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de leurs représentations et les besoins de leur mission de souveraineté, d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon « expresse et spéciale ».
Elle a par la suite étendu cette solution dans ses arrêts du 28 mars 2013 pour les créances fiscales et sociales ainsi que pour des créances correspondant à des contributions fiscales ou parafiscales. De ce fait, toute saisie qui porterait sur des créances se rattachant « nécessairement à l’exercice par l’État des prérogatives liées à sa souveraineté » serait nulle.
Cependant, récemment la Haute juridiction semble opérer un revirement partiel de jurisprudence puisque, dans son arrêt du 13 mai 2015, elle écarte toute exigence de renonciation « spéciale ». En effet, elle considère que les missions diplomatiques des Etats étrangers ne bénéficient pas d’une immunité d’exécution autonome de celle accordée à l’Etat dont elles dépendent. Aucune renonciation spéciale propre aux immunités des missions diplomatiques des Etats n’est donc requise.
Laury Maestre
Pour en savoir + :
François MELIN, « Condition de la renonciation à l’immunité d’exécution des États », Dalloz actualité, 29 mai 2015.
Valérie AVENA-ROBARDET, « Les règles de l’immunité d’exécution des Etats étrangers », Dalloz actualité, 16 avril 2013.
[1] Cass. 1ère civ, 25 février 1969, n°67-10.243
[2] Cass. 1ère civ, 19 novembre 2008, n°07-10.570
[3] Cass. 1ère civ, 14 mars 1984, n°82-12.642
[4] Cass. 1ère civ, 28 mars 2013, n°10-25.938, 11-10.450 et 11-13.323
[5] http://legal.un.org/ilc/reports/reports1990.shtml
[6] Cass. 1ère civ, 6 juillet 2000 n°98-19.068
[7] CA Paris, 26 septembre 2001 RG n°2001/12633