CE, 22 novembre 2017, n°393297
L’article L. 48 du Livre des procédures fiscales (LPF) dispose qu’à l’issue d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) ou d’une vérification de comptabilité, lorsque des redressements sont prononcés, l’administration fiscale doit indiquer dans une proposition de rectification le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces redressements, avant que le contribuable ne présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés. En se fondant sur un tel article, le Conseil d’État proclame qu’en cas d’ESFP et d’une vérification de comptabilité simultanés, les conséquences financières des rectifications doivent être mentionnées dans des deux propositions de rectification distinctes, propres à chaque procédure.
En l’espèce, un contribuable exploite un fonds de commerce de restauration et fait à ce titre l’objet d’une vérification de comptabilité. Parallèlement, avec son conjoint, ils font également l’objet d’un ESFP. Les deux procédures de contrôle se soldent par des rehaussements dans la catégorie des traitements et salaires ainsi que dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Cependant, la proposition de rectification ayant trait à la vérification de comptabilité ne mentionne qu’une rectification de la base imposable. Les conséquences financières – droits et pénalités – en résultant sont quant à elles mentionnées dans la proposition de rectification relative à l’ESFP.
Contestant ces redressements, les époux saisissent le Tribunal administratif de Montreuil, qui ne fait pas droit à leur requête. Ils interjettent appel devant la Cour administrative d’appel de Versailles, qui rejette leur demande. Ils finissent par se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État.
Le Conseil d’État dut se demander dut se demander si les conséquences financières d’une vérification de comptabilité simultanée à un ESFP peuvent figurer sur la proposition de rectification relative au seul ESFP, étant précisé que les bénéfices de l’entreprise sont imposés à l’impôt sur le revenu.
Il répond par la négative, affirmant que les droits et pénalités rehaussés dans le cadre de la vérification de comptabilité doivent expressément figurer dans la proposition de rectification propre à cette procédure, cette exigence constituant une garantie substantielle pour le contribuable (I), sans quoi la vérification de comptabilité est entachée de nullité (II).
I. Une garantie substantielle pour le contribuable
Au cas d’espèce, l’administration fiscale et la Cour administrative d’appel de Versailles ont fait application d’une jurisprudence ancienne de la Cour administrative d’appel de Paris selon laquelle les redressements proposés à la suite d’une vérification de comptabilité et d’un ESFP peuvent être portés à la connaissance du contribuable soit sur deux propositions de rectification distinctes, soit sur une même proposition de rectification, à la condition que les conséquences de l’une et de l’autre y sont parfaitement distinguées [1]. Cela semblerait logique dans la mesure où le contribuable faisant l’objet de l’ESFP et de la vérification de comptabilité est la même personne physique, qui recevra donc les deux propositions de rectification. Partant, peu importerait que les conséquences financières de ces deux procédures de contrôle différentes soient mentionnées dans une proposition de rectification ou dans plusieurs.
Au surplus, au considérant 3, la Cour administratives d’appel de Versailles relève que, certes, les conséquences financières ne sont pas mentionnées dans la proposition de rectification propre à la vérification de comptabilité, mais qu’elle contient au moins l’indication du montant des rectifications en base des bénéfices industriels et commerciaux. Nous nous interrogeons néanmoins sur la pertinence de cette argumentation. En quoi la simple mention de la base d’imposition rectifiée permet-elle au contribuable d’analyser les conséquences financières du contrôle et d’être à même de les accepter ou de les contester ? En ce sens, la Cour administrative d’appel de Marseille avait pourtant déjà jugé que la seule indication du taux des intérêts de retard, sans préciser leur montant, allait à l’encontre de l’article L. 48 du LPF et entachait ainsi la vérification de comptabilité d’irrégularité [2].
La Haute juridiction administrative rappelle au considérant 2 les dispositions de l’article L. 48 du LPF. Elle ajoute que les « l’indication du montant des conséquences financières des rectifications proposées constitue une garantie pour le contribuable », ce qui implique que l’Administration doit « indiquer distinctement, dans chacune des propositions de rectification, les conséquences financières des rectifications envisagées ».
Pour comprendre la décision du Conseil d’État, il convient d’analyser le pendant de l’article L. 48 du LPF, à savoir l’article L. 47 de ce même Code. Ce dernier impose à l’Administration d’envoyer un avis de vérification de comptabilité avant le début du contrôle pour prévenir le contribuable et lui permettre de se préparer. D’ailleurs, c’est pourquoi les informations recueillies à l’occasion d’un ESFP ne peuvent servir à redresser un contribuable en matière professionnelle qu’après la conduite d’une vérification de comptabilité, quand bien même il serait question de comptes bancaires mixtes, servant à la fois pour un usage privé et pour un usage professionnel [3].
Par ailleurs, lorsque la vérification de comptabilité concerne une société soumise à l’impôt sur le revenu, comme c’est le cas en l’espèce, la proposition de rectification doit être adressée à ladite société, et non à ses associés pris en cette seule qualité, quand bien même elle serait adressée directement au siège social [4]. Nous voyons bien que chaque procédure de contrôle doit être suivie à la lettre, et qu’il faut faire abstraction du fait que le contribuable est, directement ou indirectement, une personne identique.
Dès lors, si le contribuable bénéficie de garanties avant le début du contrôle, il est parfaitement cohérent qu’il bénéficie de garanties similaires lorsque celui-ci se clôture. L’article L. 48 du LPF va ainsi dans la continuité de l’article L. 47 du même Code, et enjoint à l’administration fiscale de mentionner les conséquences financières résultant d’une procédure de contrôle – ESFP ou vérification de comptabilité – dans une proposition de rectification qui lui est propre.
II. Une nullité certaine de la procédure
L’article L. 48 du LPF renvoie à l’article L. 57 de ce même Code. L’alinéa premier de celui-ci dispose que « L’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ».
Or, d’après l’article L. 55 du LPF, lorsqu’une procédure contradictoire – ESFP ou vérification de comptabilité – est engagée, l’Administration doit suivre la procédure indiquée à l’article L. 57 du LPF, c’est-à-dire envoyer une proposition de rectification comportant toutes les mentions nécessaires. Ce faisant, lorsque l’administration fiscale engage un ESFP et/ou une vérification de comptabilité, elle est dans l’obligation d’envoyer deux propositions de rectification relatives à chaque procédure de contrôle et doit y faire figurer l’ensemble des éléments nécessaires à la défense du contribuable, dont les conséquences financières.
En vertu de l’article L. 80 CA du LPF, le juge « prononce la décharge de l’ensemble [des droits et pénalités] lorsque l’erreur a eu pour effet de porter atteinte aux droits de la défense ou lorsqu’elle est de celles pour lesquelles la nullité est expressément prévue par la loi ou par les engagements internationaux conclus par la France ».
En l’espèce, en ne faisant figurer sur la proposition de rectification afférente à la vérification de comptabilité que les rectifications portant sur les bases d’imposition et non pas le montant des droits et pénalités rectifiés, à la lecture de ce seul document, le contribuable n’était pas en mesure de formuler ses observations ou son acceptation. Une erreur substantielle a donc porté atteinte aux droits de la défense du contribuable, et partant, l’ensemble de la procédure de vérification de comptabilité est annulée. La procédure ayant toutefois été respectée pour l’ESFP, ce dernier est régulier et n’est donc pas annulé en l’espèce.
L’arrêt du Conseil d’État en date du 22 novembre 2017 est à rapprocher d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux selon lequel les conséquences financières d’une vérification de comptabilité doivent être mentionnées dans la proposition de rectification y afférente, quand bien même le contribuable aurait simultanément fait l’objet d’une taxation d’office sur l’impôt sur le revenu, étant précisé que l’article L. 48 du LPF ne s’applique pas aux procédures d’office [5].
En conclusion, dès qu’une procédure contradictoire est mise en œuvre – ESFP ou vérification de comptabilité –, de manière isolée ou simultanée à une autre procédure, contradictoire ou non, l’article L. 48 du LPF trouve à s’appliquer. En conséquence, les droits et pénalités rectifiés à la suite d’une procédure contradictoire doivent obligatoirement apparaître dans la proposition de rectification propre à ce contrôle.
Vincent LEPAUL
[1] CAA Paris, 4 octobre 1994, n° 92310
[2] CAA Marseille, 27 mai 2007, n° 00MA00409
[3] CE, 6 janvier 1993, n° 64209, PERERA
[4] CE 7 juillet 2006, n° 277199, SNC Pierre Curie
[5] CAA Bordeaux, 13 octobre 2005, n° 01BX02802