I. Un contexte délicat
L´Equateur qui, avec la Bolivie et le Venezuela, a dénoncé la Convention de Washington de 1965 instituant le CIRDI, a annoncé qu´il fondera son recours en annulation contre la décision du CIRDI sur l´opinion dissidente de l´arbitre Brigitte Stern [2], laquelle considère dans ses conclusions finales que les limites à la juridiction des arbitrages CIRDI « ont été complètement ignorées par la majorité du tribunal » (traduction libre de l´auteur, paragraphe 168 de l´opinion dissidente précitée). On notera au passage que l´Equateur avait refusé de désigner un arbitre pour cette affaire, et que l´arbitre Brigitte Stern, de nationalité française, fut désignée par le Conseil d´Administration du CIRDI ainsi que le Président du Tribunal, Yves Fortier, de nationalité canadienne (paragraphe 11 de la décision précitée).
Pour l´Equateur, cette décision constitue un «nouvel abus » [3] de la part du CIRDI. Elle tombe à point pour bon nombre de pays de la région dont hostilité est croissante vis-à-vis du CIRDI, au regard notamment de la prolifération d´affaires contre les pays d´Amérique Latine. L´annonce de l´Equateur coïncide avec celle des récents résultats électoraux au Venezuela. L´Equateur semble en outre vouloir mettre à l´épreuve la vague de sympathie que lui a signifié l´ « affaire » Assange en Amérique Latine, et qui s´est manifestée au sein de l´Organisation des Etats Américains (OEA) par la présence (quelque peu inusitée) de douze ministres des relations extérieures (Argentine, Chili, Colombie, Equateur, Haiti, Guyana, Mexique, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay et Venezuela).et d´un Vice Ministre (Guatemala) ayant tenu à faire personnellement le déplacement à Washington, lors de la Réunion de Consultation des Ministres des Relations Extérieures le 24 août 2012 dernier [4].
II. Le CIRDI dans l’hémisphère Américain
Comme nous avions eu l´occasion de le signaler en mai dernier à propos des retraits à la Convention CIRDI de la parte de la Bolivie, de l´Equateur et du Venezuela [5], de nombreux Etats de la région maintiennent toujours leur distance avec le CIRDI : la République Dominicaine, le Canada, Cuba, le Mexique, et certains membres de communauté d´Etats anglophones des Caraïbes comme Antigua et Barbuda, Belize, la Dominique (Commonwealth of) et le Suriname ne sont pas partie à la Convention de 1965 instituant le CIRDI. Le Brésil n’a ni ratifié ni même signé la convention de 1965 et aucun signe ne permet de déceler un intérêt quelconque de le faire de la part de la sixième économie mondiale : une entrevue avec des experts brésiliens dénote que la stratégie brésilienne s´est avérée concluante et qu´il n´y a aucun motif pour la modifier [6].
III. Les TBI ou la relance du recours au CIRDI
Il est bon de rappeler que jusqu´en 1996, le CIRDI avait fonctionné de manière extrêmement sporadique : 1972 est la date de la première affaire (la seule de l´année), l´année 1974 suivit avec 4 affaires, et de nombreuses années creuses sans aucune affaire (1973, 1975,1979, 1980, 1985, 1988, 1990 et 1991) selon les statistiques officielles [7]. L´envolée du nombre d´affaires par an depuis 1996 (1997: 10 affaires par an contre 38 affaires pour 2011) et que certains experts qualifient de véritable « prolifération » s´explique par l´effet des nombreux accords bilatéraux de protection et de promotion des investissements (plus connus sous le nom de « TBI ») signés a partir des années 90, et qui représentent 63% de la base du consentement à la compétence du CIRDI de toutes les affaires [8]. Ce pourcentage s´élève a 78% pour les affaires enregistrées uniquement pour l´année 2011. Pour prendre un exemple cher aux investissements français à l´étranger, les 58 TBI signés par l´Argentine dans les années 90 expliquent en partie le nombre extrêmement élevé d´affaires portées à son encontre devant le CIRDI l´Argentine est devenu un cas d´étude [9] de la part de spécialistes du droit international des investissements, mais, pour certains économistes, la conclusion est toute autre: ces traités bilatéraux constituent de véritables obstacles au développement économique des pays d´Amérique Latine [10].
IV. L’hostilité affichée vis-à-vis du CIRDI
Parallèlement à la dénonciation de la Convention CIRDI, l´Equateur a procédé à dénoncer une dizaine de TBI, notamment ceux conclus avec l´Allemagne et le Royaume-Uni [11]. Pour sa part, le Venezuela a précédé sa dénonciation de la Convention CIRDI en janvier 2012 de celle du TBI avec les Pays-Bas en 2008 : on lit dans une étude récente que le choix de ce TBI s´explique par le fait qu´il a dû «être particulièrement gênant pour le pays car il a servi de base à au moins 10 affaires CIRDI contre le Venezuela ». L´Equateur a annoncé le 10 octobre 2012 lors d´une réunion de la Communauté d´Etats d´Amérique Latine et des Caraïbes (CELAC) tenue à Quito, qu´il ferait appel à la « solidarité régionale » dans son combat contre les abus du CIRDI: cette annonce renvoie également à diverses initiatives tendant à chercher un mécanisme alternatif au CIRDI. Un récent colloque organisé par les chambres d´arbitrage à Caracas présente l´idée l´utiliser l´Union des Nations Sudaméricaines (UNASUR) pour régler ce type de différends [12] : il s´agit d´une idée lancée il y a quelques années déjà, et qui n´est pas sans poser de sérieux défis à la région [13]. Récemment des universitaires en Colombie ont proposé l´élaboration d´un « décalogue de propositions conciliatrices » [14] pour tenter d´enrayer l´hostilité croissante vis-à-vis du CIRDI au sein des opinions publiques latino-américaines: l´image récente de l´Eglise Catholique salvadorienne implorant « la pitié » aux arbitres du CIRDI dans l´affaire Pacific Rim (du nom de la société minière canadienne) en 2010 reste fraîche dans bien des esprits [15].
L´appel lancé à la solidarité régionale par l´Equateur trouvera sûrement un écho dans la région, s´agissant de la seule au monde qui, dès les années 60, s´était montrée hostile à la création du CIRDI : le premier projet de convention préparé en 1963 avait été approuvé par le Conseil des gouverneurs de la Banque Mondiale le 10 septembre 1964 lors de la réunion annuelle de la Banque mondiale à Tokyo. Les Etats d’Amérique latine (ainsi que l’Irak et des Philippines) avaient alors voté contre (ce vote est connu dans la littérature spécialisée[16] sous le nom de « Non de Tokyo »), à savoir: l´Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, la République Dominicaine, l´Equateur, El Salvador, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou, l´Uruguay et le Venezuela.
Nicolas Boeglin
Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR)
Notes
[1] Décision CIRDI ARB/06/011 du 5 octobre 2012. Disponible ici. [2] Opinion dissidente de Brigitte Stern, arbitre du CIRDI, en date du 21 septembre 2012. Disponible ici [3] Note de presse: DIsponible ici. [4] Cf. Communiqué de presse officiel du Secrétariat Général de l´OEA en date du 24 août 2012, disponible ici. [5] Cf. notre article, BOEGLIN N., « Argentine : vers un nouveau retrait du CIRDI ? », Le Petit Juriste, 13 mai 2012. Disponible ici. [6] Entrevue organisée par l´Institut International du Développement Durable. dans laquelle on y lit même que : « To be honest, I do not see any negative consequences for Brazil should it continue with its current strategy regarding the treatment of foreign investors within its economy. Brazil will continue to attract foreign investment, and it will continue to protect such interests by negotiating contracts that provide foreign investors the protection they require without sacrificing Brazil’s sovereignty ». Disponible ici. [7] Cf. graphique page 7, Statistiques Officielles, du CIRDI ; Affaires du CIRDI- Statistiques, numéro 2012-1). disponible ici. [8] Ibidem, graphique page 10 [9] Cf. par exemple BACHAUD R., « Les poursuites CIRDI contre l´Argentine », Note de recherche CEIM, disponible ici [10] Cf. par exemple ZABALO P., «Los acuerdos internacionales sobre inversiones: otro obstáculo para el desarrollo de América Latina”, disponible ici. [11] Cf. ANDRADE MALO E., “Denuncia de los tratados bilaterales de inversión Alemania y Reino Unido”. Fundación Ecuador Libre, Disponible ici [12] Cf. programme du colloque, disponible ici. [13] Cf. FIREZZONI S. K.., “The challenge of UNASUR Members to replace ISCID Arbitration”, article disponible ici. [14] FACH GOMEZ K., “Proponiendo un decálogo conciliador para América Latina y el CIADI”, 2010, Revista Facultad de Derecho y Ciencias Políticas, Vol 40 (2010), pp.439-454.Disponible ici [15] Note de la presse salvadorienne. La Prensa Gráfica. Disponible ici. [16] Cf. ICSID, History of the ICSID Convention. Documents Concerning the Origin and the Formulation of the Convention on the Settlement of Investment Disputes between States and Nationals of Other States, Washington, DC, ICSID, vol. II-1, pp.606-608. Cf. aussi FACH GOMEZ K., “Latin America and ICSID: David versus Goliath”, Disponible ici,, page 2: Certains auteurs de langue anglaise font même reference a l´expression espagnole “No-de-Tokio” comme par exemple, VINCENTELLI I.A., “The uncertain future of ICSID in Latin America”, Research Paper, December 2009.. Disponible ici:, pp. 9-10. |