Le 21 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), réunie en sa cinquième section, a rendu un arrêt dans les deux affaires « Foulon et Bouvet contre France »1 . Les requérants alléguaient du fait que le Gouvernement français, en ayant refusé de transcrire l’acte de naissance indien des trois enfants concernés sur les registres de l’état civil français, avait violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit pour toute personne au respect de sa vie privée et familiale.
Dans sa décision, la CEDH a condamné une nouvelle fois la France pour avoir refusé de procéder à la transcription sur les registres de l’état civil français, des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger de mères porteuses. La CEDH a ainsi estimé que la France s’était rendue coupable d’une violation du droit à la vie privée des enfants, mais non pas – comme cela avait été invoqué par les parties – d’une violation du droit des requérants au respect de leur vie familiale.
L’Etat français a ainsi été condamné à devoir verser la somme de 5000 € à chacun des trois enfants au titre du dommage moral subi ainsi que la somme de 15000 € à chacun des deux requérants.
Un renvoi opéré aux célèbres affaires Labassee et Mennesson
La Cour de Strasbourg opère par ailleurs un renvoi aux arrêts « Labassee » et « Mennesson » et considère que la situation des requérants est en l’espèce similaire à celle des requérants dans les affaires « Labassee » et « Mennesson ».
Pour rappel, la Cour de cassation, réunie en sa première chambre civile2 avait considéré, par trois arrêts rendus le 6 avril 2011, que « les enfants ne sont pas privés d’une filiation maternelle et paternelle que le droit étranger leur reconnaît, ni empêchés de vivre avec les requérants, de sorte que les impératifs du respect de la vie privée et familiale de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou la prise en compte primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré par la Convention de New-York, ne commandent pas, en l’espèce, que la contrariété à l’ordre public international français de ces jugements étrangers soit écartée3 ». Elle était ainsi allée dans le sens d’un refus d’établissement du lien de filiation.
Or, la Cour européenne des droits de l’Homme n’avait pas tardé à sanctionner l’Etat français et dans deux arrêts « Labassee et Mennesson contre France » rendus le 26 juin 2014 , la Cour de Strasbourg avait condamné la France en considérant que le fait pour l’Etat français d’avoir interdit totalement l’établissement du lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques nés d’une gestation pour autrui à l’étranger était contraire à la Convention. La Cour avait ainsi conclu à la non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale mais bien à une violation de l’article 8 s’agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée4.
La CEDH considère ainsi qu’il y a en l’espèce lieu de conclure de la même manière que dans les affaires «Mennesson » et « Labassee ».
De surcroît, la Cour relève qu’en l’espèce, des éléments nouveaux sont intervenus depuis le dépôt des requêtes par les requérants le 24 et 29 janvier 2014 :
- L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence par deux arrêts rendus le 3 juillet 20155 et par lesquels elle considère qu’une gestation pour le compte d’autrui ne justifie pas, à elle seule, le refus de transcription à l’état civil français de l’acte de naissance étranger d’un enfant ayant un parent français6.
En l’espèce, était en cause le refus par le procureur de la République français de procéder à la transcription des actes de naissance des enfants à l’état civil français, actes de naissance ayant été établis en Russie et reconnaissant en qualité de père le requérant de nationalité française et en qualité de mère la femme de nationalité russe ayant accouché.
- Le 7 juillet 2015, la Garde des Sceaux a adressé aux Parquets une dépêche par laquelle elle affirme qu’il y a lieu de procéder à la transcription des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger d’une convention de mère porteuse, sous réserve de leur conformité à l’article 47 du code civil7.
Une prise de position européenne équivoque
La CEDH ne prend en réalité pas de position claire. Tout en reconnaissant, comme elle l’avait précédemment fait en 2014, le droit à la France de prohiber la gestation pour autrui, elle considère que le fait de refuser la transcription à l’état civil français des actes de naissance d’enfants nés à l’étranger de mères porteuses viole le droit à la vie privée des enfants.
Nicolas HERVIEU, juriste spécialiste de la CEDH, affirmait que « ces deux nouveaux arrêts de la CEDH confirment que la France doit reconnaître légalement la filiation avec le parent biologique des enfants nés par gestation pour autrui à l’étranger »8.
Rappelons que la loi française prohibe strictement la pratique de la gestation pour autrui – autrement appelée convention de mère porteuse – l’article 16-7 du Code civil indiquant que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Cette règle est d’ordre public9.
L’intervention récente du Conseil d’Etat
Enfin, le 3 août dernier, le Conseil d’Etat a ordonné au Ministère des affaires étrangères de laisser entrer un enfant né en Arménie d’une femme de nationalité française reconnue comme étant la mère sur les actes civils arméniens, bien que des soupçons de gestation pour autrui soient avérés. Le Conseil d’Etat oriente sa décision sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui nécessite de le laisser entrer sur le territoire français.
Ces récents rebondissements remettent sur le devant de la scène le débat houleux opposant ceux qui sont en accord avec la reconnaissance entière sur le sol français des enfants nés à l’étranger de mères porteuses et ceux qui militent contre, mettant en exergue le fait que cette reconnaissance reviendrait en fait à nier le principe français d’indisponibilité du corps humain.
Le débat ne risque dans tous les cas pas de s’affaiblir. Figure de prou du mouvement contestataire qui continue de faire rage, « la Manif pour tous » a appelé à se mobiliser le 16 octobre prochain afin de faire entendre sa voix à l’égard de ce que les membres du mouvement nomment les « nouvelles offensives contre la famille »10. D’autres évènements doivent également avoir lieu avec notamment un premier colloque scientifique international sur le phénomène de la gestation pour autrui qui se tiendra à Paris les 17 et 18 novembre prochains11.
Laetitia Maroussie
1 http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-164968
2 https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/369_6_19630.html : Arrêt n° 369 du 6 avril 2011, pourvoi n° 09-66.486
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/370_6_19628.html : Arrêt n° 370 du 6 avril 2011, pourvoi n° 10-19.053
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/371_6_19627.html :Arrêt n° 371 du 6 avril 2011, pourvoi n° 09-17.130
3 Voir communiqué de la présidence de la Cour de cassation, consultable à l’adresse: https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/presidence_relatif_19635.html
4 Voir communiqué de presse du Greffier de la Cour européenne des droits de l’Homme, CEDH 185 (2014), 26 juin 2014
5 Cour de cassation, Assemblée plénière, pourvois n° 14-21.323 et 15-50.002 : consultables sur :https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/619_3_32230.html
https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/620_3_32232.html
6 Voir le communiqué de la Cour de cassation relatif aux arrêts rendus concernant l’inscription à l’état civil d’enfants nés à l’étranger d’une gestation pour le compte d’autrui : consultable sur https://www.courdecassation.fr/IMG/Communiqu%C3%A9%20%C3%A9tat%20civil%20et%20GPA%20.pdf
7 L’article 47 du Code civil énonçant que le refus de transcription doit être uniquement motivé par la présence « d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte de l’état civil lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
8 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/07/21/01016-20160721ARTFIG00126-gpa-la-france-a-nouveau-condamnee-par-la-cedh.php
9 Code civil, article 16-9
10 http://www.francesoir.fr/politique-france/pma-et-gpa-la-manif-pour-tous-appelle-manifester-le-16-octobre-prochain
11 http://tetu.com/2016/08/04/gpa-france-de-nouveau-condamnee/